LE CENTRE D'ÉTUDES ARCTIQUES
Témoignages de fidèles du Centre d'Études Arctiques
Il était une fois, il y a longtemps, longtemps,
un Centre de Recherche arctique français, si petit, si petit,
qu'il n'était encore qu'une cellule embryonnaire, au 54, rue de
Varenne ; c'est là que je l'ai connu
Par Arlette Fraysse,
Arlette Fraysse, ducumentaliste au Centre d'Etudes Arctiques depuis
1970, est chargée plus particulièrement du secteur soviétique
et a constitué une bibliothèque nord-sibérienne
tout à fait remarquable et unique en France de plus de 10 000
titres. Elle assure un très important programme de traductions. |
L'École Pratique
des Hautes Études, VI' section (Sciences Économiques et
Sociales), était alors, malgré tout son prestige de la Nouvelle
Histoire et l' École des Annales, l'appui de la Fondation américaine
John Rockfekker et Ford ¹, rassemblée
à l'étage supérieur d'un petit hôtel particulier,
face à Matignon et où F. Braudel et L. Febvre, les célèbres
historiens - fondateurs de l' École -, se partageaient par rotation
un seul petit bateau. Le Centre d' Études Arctiques, fondé
par Jean Malaurie et Fernand Braudel, comprenait en tout deux pièces
: un bureau directorial-bibliothèque (petit, petit) et une bibliothèque-bureau,
aux murs surchargés, déjà, de livres et de revues.
Mais pour la " vérité historique ", il faut préciser
qu'avant son installation rue de Varenne le premier lieu " habité
" par le Centre d'Etudes Arctiques avait été - en 1957,
date de sa fondation - le 19 de la rue Huysmans : un demi-bureau avec
un quart de fenêtre et une salle de bibliothèque dotée
d'une table, d'une chaise et
d'un dictionnaire Larousse
Rue de Varenne oeuvraient,
en 1970, date de mon arrivée, quatre personnes : Françoise
Fleury, secrétaire, qui venait chaque jour de Rouen, Cécile
Sales, documentaliste, spécialisée dans l'Arctique sibérien,
une Franco-Allemande, Ursula Leyendecker, et Arlette Fraysse, alias Coppier-Giroud,
c'est-à-dire moi-même, doyenne des collaborateurs du Centre.
Des linguistes savants, des géomorphologues, des ethnologues, français
et étrangers (finlandais, suédois, américains
),
venaient se mêler à plusieurs étudiants pour se livrer
à de difficiles recherches sur le Grand Nord et suivre les séminaires
d'anthropogéographie arctique du jeune maître Jean Malaurie.
L'Arctique ? Un centre
sur l'Arctique, unique dans l'enseignement supérieur français
; quel intérêt ? Immense a toujours et inlassablement répondu
son promoteur et directeur, Jean Malaurie, navré, comme l'avait
été Charcot, son prédécesseur, de l'indifférence
de la recherche universitaire française pour les hautes latitudes.
Je me permettrai, ici,
d'évoquer - comme j'ai cru les comprendre - quelques-uns des mouvements
d'idées qui ont animé le Centre d'Études Arctiques,
dès le début de ses activités et de citer quelques
noms qui y sont brillamment associés.
Dans l'esprit des Hautes Études, il n'est d'approche d'une société,
d'une civilisation que globale, de l'environnement physique à la
géohistoire. Une vérité partielle est déjà
un faux sens. L'enseignement de géographie arctique avec les chargés
de conférence qui se joignent à Jean Malaurie se veut résolument
pluridisciplinaire et plurinational. Ainsi l'éminent ethnobotaniste
Jacques Rousseau, du Québec, est-il venu pendant deux ans assister
Jean Malaurie, dès 1959, avec des cours passionnants sur l'ethnobotanique
dans l'Ungava et la baie d'Hudson.
Jean Malaurie, géomorphologue
de formation, avec sa grande et pionnière thèse : "
Thèmes de recherche géomorphologique dans le nord-ouest
du Groenland ", a assuré durant plusieurs années un
enseignement de géomorphologie arctique qui a permis notamment
à deux chercheurs, Thierry Brossard et Daniel Joly, venus de Besançon,
de poursuivre pendant douze ans (1975-1987), sous sa direction de recherche,
des thèses de géomorphologie arctique se concrétisant
par deux brillants doctorats d' État. D'autres recherches sur les
géoclimats ont été conduites par Jean Malaurie avec
Jacques Labeyrie, du Centre des Faibles Radioactivités du CNRS,
le Centre d' Études Arctiques considérant que la géohistoire
commence par l'analyse fine de certains processus d'écosystèmes
arctiques, dans un esprit systémique, et qu'il est nécessaire
de comprendre l'environnement physique dans sa dialectique pour tenter
de saisir l'anthropologie culturelle d'une population. Dans cet esprit,
le Centre a toujours coopéré avec les spécialistes
du périglaciaire européen et de la préhistoire française,
en les faisant bénéficier de sa connaissance directe et
intime des phénomènes du froid contemporain.
Jean Malaurie, dans ses
séminaires, a souvent tenu a rappeler l'importance de l'uvre
de Jean-Louis Giddings, archéologue et géomorphologue de
l'Alaska, dont il a préfacé le superbe livre Dix milles
ans d'histoire arctique : " Pour cette pluridisciplinarité
si nécessaire, Giddings, hélas trop tôt disparu, est
un modèle
", affirme Jean Malaurie.
C'est plus tard, si je
me reporte à l'annuaire de l' École qui, chaque année,
publie les comptes rendus d'enseignement des Directeurs d' Études
², que le Centre d' Études Arctiques a privilégié
l'étude de l'histoire de l'exploration sur la côte ouest
du Groenland. Des héros arctiques français méconnus,
comme Blosseville, Bellot, de Bray, ont été analysés.
Mais c'est sans conteste en anthropogéographie des peuples arctiques,
Inuit, Sâmes et même nord-sibériens, que le Centre,
dès 1961, a porté son effort particulier, selon une méthode
braudélienne et l'on pourrait même dire aussi malaurienne
³. Jean Malaurie, devant ses étudiants-chercheurs,
analysait ses travaux de mission, dès son retour, et procédait
pendant des semaines à l'analyse critique de sa recherche en élaboration.
Tel est l'esprit de l' École. L'enseignant, comme dans un laboratoire,
recherche devant les étudiants, jugés les égaux des
professeurs.
En tant que bibliothécaire
il m'est permis de dire combien les travaux arctiques français
ont été pionniers dans l'étude de la dialectique
homme/nature. Le premier dialogue franco-soviétique à Leningrad
4 à témoigné de la
vigueur de la pensée de la délégation française.
Autre domaine privilégié
: le mal-développement, la défense de l'unité culturelle,
par les douze colloques internationaux du Centre. Les quatre colloques
historiques 5 du Centre d' Études
Arctiques (1966, 1969, 1973, 1983) ont montré combien la communauté
internationale, en venant à Paris, a été sensible
à l'uvre pionnière et de premier plan des chercheurs
français du Centre d'Etudes Arctiques et notamment de son directeur,
dans ce domaine de géographie humaine, d'anthropologie culturelle,
de sociologie et d'histoire politique.
Enfin, en géostratégie,
grâce à l'action de l'amiral Besnault et une coopération
avec le Service Hydrographie de la Marine, la recherche française
a été enfin présente dans le Grand Nord. La célèbre
revue Hérodote lui a fait écho.
Le Centre d' Études
Arctiques s'est vivement intéressé également à
l'uvre du commandant Charcot qui fut directeur du Laboratoire maritime
de l'Ecole des Hautes Etudes depuis 1910 - ce laboratoire n'étant
autre que le célèbre Pourquoi pas ? qui a sombré
en 1936. Elu Directeur d'Etudes à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes
en 1957, Jean Malaurie succédait donc au commandant Charcot, comme
aimait à le lui rappeler Fernand Braudel 6.
Inlassablement, envers
et contre l'inertie des " bureaux " et administrations, Jean
Malaurie s'est fait le chantre d'une recherche arctique française
active et n'a eu de cesse de lui attirer des sympathisants et des partisans
non seulement parmi les universitaires, mais aussi parmi les hommes de
terrain et d'action. Foisonnant d'idées, doué d'un indéniable
charisme, il a su intéresser qui de droit, au prix d'un effort
jamais relâché et cela parfois - et combien il le déplorait
! - au détriment de ses propres travaux. Mais c'est ainsi qu'il
a réussi à obtenir crédits et subventions, afin d'élargir
considérablement, grâce à de nombreuses fondations
et créations originales, l'audience du Centre d'Etudes Arctiques.
Toujours sur la brèche,
Jean Malaurie part régulièrement chez les Inuit pour poursuivre
un programme très précis d'études micro-économiques
d'isolat et d'observations sociogéographiques sur le mal-développement.
Depuis son expérience d'instituteur en 1987, en Terre de Baffin,
dans l'école primaire de Clyde River, il se passionne pour les
problèmes de la nouvelle génération inuit et se propose
de poursuivre son expérience au Groenland, en Alaska et en Sibérie
: les articles, les livres s'ajoutant les uns aux autres, toujours plus
personnels et novateurs.
Après divers changements
de résidence 7, la petite cellule
initiale que j'avais découverte en 1960 est devenue un carrefour
de recherche international, installé, depuis 198, 19, rue Amélie
dans le 7è arrondissement, dans les anciens locaux des célèbres
éditions Denoël, où Céline signa ses contrats
: Voyage au bout de la nuit
L'immeuble est surmonté d'une
petite chapelle ayant appartenu, sous Louis-Philippe, à une communauté
de luthériens berlinois qui, réduits au chômage en
Prusse, étaient venus s'installer en France. Nous sommes sous la
tutelle de son esprit protecteur.
Le Centre d'Etudes Arctiques cohabite avec un autre laboratoire du CNRS,
le Centre de Sociologie des Organisations, dirigé par le célèbre
sociologue Michel Crozier, professeur associé à l'Université
de Harvard.
Au fil de ses migrations
urbaines, divers collaborateurs émérites ont contribué
à la maturité du Centre d'Etudes Arctiques, et en particulier
Mmes Marie-France Bry, Marie-Catherine Raynaud et Agnès Milan.
Notre équipe s'est donc légèrement modifiée
au cours des années, mais paraît s'être stabilisée
depuis une quinzaine d'années. Elle a su se faire, je crois, apprécier
des étudiants et des chercheurs pour son efficacité et ses
aimables dispositions à leur égard. C'est un privilège
dans la recherche qu'une équipe technique soit heureusement soudée,
si l'on veut que l'ensemble (techniciens et chercheurs) qui constitue
un centre soit créatif. Je dois dire que Jean Malaurie me semble
largement créditeur de cette heureuse situation, en raison de son
choix plein de discernement des membres de notre équipe.

" Réunion dans la bibliothèque
du Centre d'Études arctiques, 1989. L'équipe du
Centre d'Études arctiques, de gauche à droite
: Elisabeth Cardin, secrétaire du CEA ; Arlette Fraysse
; chargé des questions sibériennes et traductrice
; Sylvie Devers : bibliothécaire du Fonds Polaire Jean
Malaurie ; Hélène Salaün de Kertanguy : chargé
de programmes de test psychologiques chez les Inuit ; Professeur
Taksami : directeur de la section d'ethnographie de l'Académie
des Sciences ; une interprète franco-russe du Ministère
des Affaires Etrangères ; deux ethnographes russes de
l'Académie des Sciences ; Professeur Christian Meriot
: spécialiste des Sames et professeur à l'université
de Bordeaux ; Professeur Jean Malaurie : directeur du Centre
d'Études arctiques. "
© Jean Malaurie |
|
Je rappellerai brièvement
les fonctions de chacune d'entre nous :
- Mme Huguette Joffre
assure avec grâce et discrétion, depuis 1972, la lourde responsabilité
du secrétariat général, dont elle suit parfaitement
les subtils volets. C'est elle qui gère les crédits de la
base CNRS du Svalbard, de ses dix expéditions annuelles, en contact
direct avec les différents chefs de campagne, venus présenter
leurs factures et problèmes logistiques.
- Mme Sylvie Devers, qui
a une formation de chercheur biologiste, dirige la bibliothèque
du Centre qui atteint aujourd'hui 40 000 volumes. Elle a brillamment
organisé, en étroite accord avec Jean Malaurie, plusieurs
congrès arctiques internationaux (les 7è, 10è et
12è), dont certains comptaient plus de 300 participants et ont
été salués dans le monde polaire comme de grands
moments de l'histoire arctique. Elle a préparé également,
toujours avec Jean Malaurie, les trois festivals internationaux du film
arctique créés par le Centre d'Etudes Arctiques, le premier
à Dieppe (1983), le second à Rovaniemi (Finlande, 1986),
le troisième à Fermo (Italie, 1989). Elle assure le secrétariat
général adjoint au Comité de Recherche Industrie
(CRIN Etudes arctiques), créé en 1984 et visant, sous forme
d'un club, sous l'égide de Pierre Guillaumat ancien ministre, à
faire dialoguer les chercheurs et les grands industriels engagés
dans l'Arctique, avec pour vice-président, représentant
la recherche, le Professeur Malaurie, le président étant
un banquier (BNP, Paris), Roger Mourait. Elle assure, enfin, avec le soin
et la discrétion qui lui sont naturels, le relevé permanent
des grandes collections des musées arctiques européens et
nord-américains pour la revue Inter-Nord, créée par
Jean Malaurie en 1957.
- Mme Elisabeth Cardin
se consacre à l'édition des travaux du Centre d' Études
Arctiques, dont la revue Inter-Nord (19 volumes), ce qui exige une correspondance
annuelle suivie avec 50 chercheurs du monde entier par volume. Il suffit
de consulter n'importe laquelle des publications du Centre - et ses index
(Inter-Nord, Actes des colloques franco-soviétiques, Siberiana)
-, pour se faire une idée de - et admirer - la qualité de
son travail.
- Mme Annie Serbonnet
centralise tous les extraits de presse concernant le Centre, créant
ainsi un magnifique Livre d'or d'un volume cyclopéen. Elle a aussi
la tâche ardue de relire tous les écrits publiés par
le Centre et de faire, sans pitié, la chasse aux coquilles
Pour qui connaît, par exemple, la langue esquimaude au scandinave,
il est facile d'imaginer les yeux de lynx et la vigilance féline
qui lui sont indispensables. Elle est chargée en outre du catalogue
et du fichage des ouvrages et revues (dans toutes les langues, sauf le
russe).
- Mme Arlette Fraysse
-c'est-à-dire moi-même - responsable du Département
d'études nord-sibériennes (20 000 titres) : à cet
égard, je m'occupe plus particulièrement du fonds russe
nord-sibérien de la bibliothèque, le plus riche de toutes
les bibliothèques françaises.
J'ai développé surtout un secteur de traductions de textes
russes (50 000 pages), mettant ainsi à la disposition des non-slavisants
les recherches des savants russes et soviétiques. Certaines de
ces traductions sont publiées au Centre d'Etudes Arctiques. Je
participe à la coopération bilatérale franco-soviétique
sur les peuples du Nord que le professeur Malaurie a créée
en 1980, avec l'académicien Bromlej (Académie des Sciences
de l'URSS, Institut d'ethnographie) et le professeur Gurvic (Moscou).
Nous nous entendons toutes
très bien et nos relations sont excellentes, même en dehors
du Centre. Comme je le disais plus haut, cette agréable ambiance
constitue sans aucun doute la clé de voûte du bon fonctionnement
de notre équipe, dont je n'hésite pas à qualifier
d'exceptionnel le ciment amical. Un autre grand agrément de notre
travail au Centre d'Etudes Arctiques réside dans les contacts et
relations que nous entretenons particulièrement avec le monde extérieur
- étudiants, chercheurs, professeurs, étrangers, écrivains,
journalistes - en quête d'informations sur les évènements
arctiques mondiaux.
En effet, en dépit
de notre vie sédentaire, nous sommes largement tournées
vers le large où voguent professionnels et curieux de l'Arctique.
Nous croisons dans notre port de la rue Amélie un grand nombre
d'étudiants, de chercheurs, venus des horizons les plus divers,
issus des milieux les plus différents, mais tous attirés
par un dénominateur commun : le Grand Nord. Dans cette pléiade
de caractères, de tempéraments, nous avons découvert
des constellations bien diverses :
- les chercheurs-fourmis,
fortement motivés, qui poursuivent leurs recherches et les réalisent,
parfois dans des conditions financières très difficiles.
Tel d'entre eux comme Yves Back (1) n'hésite pas à faire
le tour de France des musées pour collationner des collections
arctiques (la plupart du temps abandonnées dans des caisses). Tel
autre, comme le Tchèque Vladimir Randa (2), travaille le jour,
bûche la nuit et durant ses congrès pour étudier son
" alter ego " l'ours blanc. Telle autre encore, comme la Canadienne
française Michèle Therrien (3), vit des années durant
avec moins que le minimum vital pour traquer de subtiles connexions entre
la linguistique inuit, l'anatomie et l'habitat. Tel enfin, comme Thibault
Martin (4), se passionne pour la littérature inuit, fonde une troupe
de théâtre ethnologique, l'anime, met en scène des
" contre-regards ". Combien d'autres encore, acharnés
et fidèles à une aspiration " arctiques ", continuent
leurs recherches contre vents et marées
- les étudiants-éclairs
ou étoiles filantes, qui sont attirés un moment par le mirage
arctique, mais qui repartent vers d'autres quêtes ; les étudiants-papillons
qui s'attardent quelques années sans s'investir vraiment ; les
étudiants-migrateurs qui ont saisi une opportunité d'insertion
dans la recherche outre-Atlantique, les postes étant, hélas,
si rares en France
- les étudiants-aventuriers
qui, partis dans l'Arctique, y sont demeurés fascinés, tels
des héros de Buzatti ; dans cette constellation, les femmes brillent
par leur présence : celle-ci, désireuse de découvrir
les joies de l'hivernage tout en cherchant des tessons dans la forêt
alaskienne, s'installe à Fairbanks (depuis lors, d'ailleurs, signalons
en passant qu'un déplacement géo-sémantique s'est
opéré au Centre où nous ne disons plus " C'est
Byzance ! " mais " C'est Fairbanks ! ") ; celle-là,
partie étudier un village alaskien, devient l'épouse d'un
marchand de fourrures ; cette autre, envolée au Canada, est aujourd'hui
la femme d'un chef indien (Martine de Widerspach-Thor) (5). Mais, que
l'on se rassure, des hommes aussi font partie de cette constellation :
Dominique Chambaron (6) est parti avec sa famille dans la forêt
canadienne étudier les techniques de piégeage autochtone
; Eric Bataille, spécialiste du kayak, organise des voyages-operators
arctiques ; Jacques Dalet n'hésite pas à partir chaque hiver,
seul, avec un attelage, pour tester sur le terrain les kayaks dont il
est le promoteur, et vivre comme les Inuit.
- les étudiants
du contre-regard, issus d'autres peuples autochtones : Adnan Reja (7),
" Arabe des marais " de Bagdad, passionné par l'art pictural
lapon ; Achérif Ag Mohammed (8), " seigneur du désert
" touareg, qui s'interroge sur l'identité culturelle, ou encore
Michel-Tété Kpomassie (9), " fils d'une tribu togolaise
", né et grandi fans la forêt qui, à quinze ans,
voit dans une librairie de Lomé Les Derniers rois de Thulé
et décide tout de go de partir vers le pôle, pérégrine
au travers de toute l'Europe, connaît des aventures à la
Candide, arrive enfin au Groenland où il vit, se marie à
la groenlandaise et devient écrivain
Il vient d'acheter pour
la BBC un film sur sa vie et son regard sur le Groenland.
- les chercheurs-étudiants-professeurs,
insérés dans une équipe interdisciplinaire du Centre
d'Études Arctiques, y achevant leur Doctorat d'Etat ou des études
postdoctorales. Le professeur Christian Mériot (10), Université
de Bordeaux II, grand spécialiste des Sâmes, Anne-Victoire
Charrin (11), ancienne élève de Jean Malaurie, qui a fait
une thèse sur les Koriaks et qui est aujourd'hui professeur de
littérature russe aux Langues O. Nos deux gloires de la géomorphologie
: le bisontin et barbu Thierry Brossard (12) (12 ans d'étude sur
le structuralisme à la base CNRS du Svalbard) et Daniel Joly (13),
micro-climatologue. Notre cher Éric Navet (14) qui, depuis 15 ans,
poursuit des travaux éminents sur les Indiens Ojibways subarctiques.
Est-ce parce qu'il est si attaché à leur esprit messianique
que parfois, malgré ses origines normandes, on pourrait le prendre
pour un des leurs ? N'oublions pas surtout Annik Moign (15), professeur
à l'Université de Brest, spécialiste de télédétection,
qui, hélas, a trouvé la mort dans un accident de plongée
à Brest au cours de ses recherches en mer. Nous aimions beaucoup
celle que nous appelions tout simplement Annik, si proche de ses étudiants,
si attentive à leurs recherches qu'elle encourageait efficacement
malgré d'innombrables difficultés. Et qui, lors de sa thèse
sur les strandflats du Svalbard, fut une des premières femmes à
plonger dans les eaux arctiques
- les étudiants-entrepreneurs,
des hommes et femmes adultes, insérés dans le monde du travail
et venus à l'Arctique dans le cadre de leurs professions, tel Norbert
Rouland (16), intéressé par le droit autochtone, devenu
depuis un écrivain, juriste de droit connu, ou Henri Bancaud (17),
ce grand artiste photographe qui donne de l'âme à l'ethnophotographie,
ou Mario Marchiori (18), ce libraire italien, à la fine institution,
passionnée par la Stick Dance et nommé depuis peu directeur
de l'Istituto Geografico Polare dans la psychologie de l'environnement
et ses interactions avec l'humain, ou Thérèse Davet (20)
cette spécialiste des publics-relations dans un grand groupe industriel
français, qui dépouille la presse alaskienne, ou encore
Anne-Marie Bidaud (21), cette enseignante de civilisation américaine
à l'Université de Nanterre, qui analyse les films ethnographiques
arctiques
- les retraités-étudiants,
souvent les plus passionnés. L'un, Roland Heu (22), spécialiste
au " Museum " du monde animal et végétal en mer
du Nord, est devenu un spécialiste de tous les pinnipèdes
et cétacé. Il passe actuellement une partie de sa vie en
Louisiane avec les Cajuns. Un autre (Hubert Wenger) collecte sans fin
les écrits concernant les premiers contacts des Blancs avec les
Inuit et les met sur ordinateur. Malheureusement, rattrapé par
l'immense production inuit, il doit, tel Sisyphe, en remanier sans cesse
les programmes
- les inclassables : un membre unique en son genre, Peter Wood (23), Américain
d'une famille connue de grands banquiers, qui a fait un remarquable diplôme
sur l'histoire des changements de climat, quelques Mata-Hari, divers talpidés
outre ces " constellations
" variées, le Centre d'Études Arctiques entretient
des relations avec des personnalités les plus variés et
continue à les rencontrer : des officiers de marine (amiraux, contre-amiraux,
commandants, capitaines de frégate
), un illustre conquérant
du Pôle - le premier Français - le Dr Jean-Louis Etienne,
un prix Nobel, Jean Dausset, Paul Adam, directeur de la Division des pêche
à l'OCDE, des académiciens des sciences, des hauts fonctionnaires,
des professeurs de médecine éminents, les Drs André
Nenna et Alain Reinberg
à plusieurs reprises un ancien Premier
ministre (Edgar Faure), d'anciens ministres, des maires, des ingénieurs,
des industriels, des banquiers, beaucoup de journalistes et écrivains,
des Inuit, des Indiens (hommes politiques ou simples chasseurs) et enfin
beaucoup de modestes attirés par ce mythe du Grand Nord.
La Société
Arctique Française, créée par Jean Malaurie et Roger
Blais, président honoraire de la Société de Géographie
et directeur honoraire de l'Institut National Agronomique, en 1984, a
pour but de faire s'entrecroiser les grands voyageurs, les aventuriers
et les scientifiques. Son siège est au Centre d'Études Arctiques
et la Société décerne sa grande médaille d'or.
Nous avons eu l'occasion d'y rencontrer les plus éminents chercheurs
polaires, comme le Dr Terence Armstrong, University of Cambridge (médaille
remise en 1983) le Dr Jean-Louis Etienne (médaille remise en 1987),
le commandant Alfred MacLaren, du sous-marin nucléaire USS Queenfish,
qui a émergé au Pôle en août 1970.
Ayant écrit avec
plaisir cette note historique sur la vie du Centre d'Études Arctiques,
je tiens à faire remarquer que ce centre n'existerait pas, dans
son esprit créatif et sa liberté d'être, si Jean Malaurie,
comme beaucoup de Directeurs d'Etudes, n'avait le talent maïeutique
de permettre à chacun de donner le meilleur de lui-même.
Son séminaire de 5 à 20 personnes, parfois autour d'une
table, est une joie de l'esprit. Chaque chercheur a 40 minutes pour exprimer
l'avancement de sa thèse ou du travail qu'il poursuit, et c'est
le groupe qui à des niveaux divers exprime ses critiques dans un
effort de pensée collective, qui réfléchit avec celui
qui s'exprime, qui pose et se pose à soi-même des questions
dans un climat sympathique où les détestables divisions
de classe de pensées, si fréquentes en France, s'abolissent.
Avec nous, Jean Malaurie,
bien qu'il soit notre " patron ", reste proche et très
libéral
Ainsi, pour ma part, je puis continuer à travailler
en Provence en ne venant que huit jours par mois pour rendre compte de
mon travail. Liberté oblige
grâce à ce régime
spécial, qu'a bien voulu accorder mon directeur, il m'a été
possible de constituer une documentation sibérienne en livres et
revues et des dossiers de traduction qui pourront être un jour,
je l'espère, exploités.
Arlette Fraysse
¹ B. Mazon
² Annuaire de l'Ecole des Hautes Etudes
en sciences sociales, Paris, 1957-1988.
³ Jean Malaurie, " Les Civilisations
esquimaudes ", in : Ethnologie régionale II. Paris, Ed. Gallimard, 1978,
p. 1076-1133 (coll. Encyclopédie de la Pléiade).
4 Premier colloque bilatéral franco-soviétique. Centre
d'Etudes Arctiques (CNRS-EHESS)/Institut d'Ethnographie Moscou, Leningrad
(Académie des Sciences de l'URSS) : Problèmes ethnographiques
et anthropogéographiques que pose l'étude des peuples arctiques,
Leningrad, 26-29 avril 1982.
5 · Premier Congrès international de l'industrie
morutière dans l'Atlantique Nord : tradition et avenir / First
international Congress on the Cod Industries in the North Atlantic: Tradition
and Future; Rouen-Fécamp. 27-29 janvier 1966.
Débats publiés dans Actes et Documents n° 2. Fondation
Française d'Etudes Norniques, Rouen, Paris, 1967. 259 p.
- Géo-économie de la morue : rapports scientifiques du Premier
Congrès international de l'industrie morutière. Ecole Pratique
des Hautes Etudes, Ed. Mouton, Paris, La Haye, 1969. 496 p. (Bibliothèque
Arctique et Antarctique n°2)
· Développement économique de l'Arctique et avenir
des sociétés esquimaudes / Economic Development in the Arctic
Areas and Future of Eskimo Societies, Le Havre-Rouen 24-27 novembre 1969.
- Débat publiés dans Actes et Documents n° 4. Fondation
Française d'Etudes Nordiques, Rouen, Paris, 1972.
300 p.
- Le Peuple esquimau aujourd'hui et demain : rapports scientifiques du
Quatrième Congrès international de la FFEN. Ecole Pratique
des Hautes Etudes, Ed. Mouton, Paris, La Haye, 1973. 333p. (45 F)
· Le pétrole et le gaz arctiques : problèmes et perspectives
/ ArcticOil and Gas: : Problems and Possibilities, Le Havre 2-5 mai 1973.
- Débats publiés dans Actes et Documents n° 5. Fondation
Française d'Etudes Nordiques, Rouen, Paris, 1975, 333 p.
- Le pétrole et le gaz arctiques: problèmes et perspectives.
Rapports scientifiques (2 vol.). Paris, La Haye: Ed. EPHE, Mouton, 1975.
912 p. (coll. Contributions du Centre d'Etudes Arctiques n° 12).
· Le Pôle Nord : histoire de sa conquête et problèmes
contemporains de navigation maritime et aérienne / The North Pole
: History of its Conquest and Contemporary Problems of Maritime and Air
Transportation, Paris, 7-10 novembre 1983.
- Pôle Nord 1983. Actes du Colloque. Paris: Ed. du CNRS, 1987. 385
p.
6 Jean Malaurie, " J.-B. Charcot, father of French polar research
", Polar Record 25 (154), 1989, pp. 191-196.
7 1957-1968 : 19, rue Huysmans, Paris-6è
1969-1970 : 54, rue de Varenne, Paris-7è
1971-1972 : 12 , rue Léonidas, Paris-14è
1972-1980 : 6, rue de Tournon, Paris-6è
1980 : 19, rue Amélie, Paris-7è
-> Autres témoignages
de fidèles du Centre d'Études Arctiques
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