LE CENTRE D'ÉTUDES ARCTIQUES
Les séminaires d'études arctiques par Jean Malaurie

Photos de la page : © Janine Willemin
" Il y a l'enquête sur
le terrain et puis, il y a la recherche personnelle, enrichie
par le dialogue avec les chercheurs du laboratoire. Je dirige
mes séminaires d'études arctiques aux Hautes
Études, antenne du Centre d'Études Arctiques,
depuis bientôt 50 ans.
La tradition y est d'être peu nombreux (10 à
15) dans nos réunions hebdomadaires de deux heures,
dans une petite salle de 20 m², affectionnée parce
que petite. Nous sommes autour d'une longue table, suivi d'un
thé¹ d'une heure environ au cours duquel les uns
et les autres peuvent s'exprimer plus librement dans une pièce
distincte du lieu du séminaire - mon bureau - et aller
les uns vers les autres, avec un changement d'étage.

Il m'a fallu trente ans pour comprendre que le rite du thé,
après deux heures de dialogue et de cours, et que connaissent
bien les Britanniques, était essentiel à une
meilleure entente et dialogue. Les assistants ne sont plus
assis, ils vont de l'un à l'autre ; ils apprennent
à mieux se connaître ; ils m'interrogent en privé
plus aisément ; le thé et quelques biscuits
apportés par l'un ou par l'autre ont leur vertu : ils
détendent l'atmosphère.
Les partenaires à ce séminaire sont des spécialistes
de l'Arctique et des non-spécialistes.
Le choix des membres du séminaire relève, selon
les principes de l'EHESS, du Directeur d'études lui-même.
Est recueilli également, l'avis des membres du laboratoire.
Tout doit être fait pour que les rivalités, les
tensions, les ambitions soient contrecarrées afin qu'une
psychologie de groupe s'élabore. Un Président
de séance est choisi parmi les chercheurs avancés
et particulièrement dans les milieux de l'entreprise
(avec l'intention de briser l'approche scholastique) et, chaque
semaine, le directeur des débats qui souligne les lignes
de force de la réflexion qui s'élabore sur le
thème de recherche du séminaire, est choisi
parmi les étudiants les plus avancés et selon
une rotation permettant à chacun de mieux s'affirmer
et d'apprendre à réfléchir. Les Séminaires
deviennent un atelier de recherche.
Pour que l'unité se crée, chacun des invités
doit respecter la personnalité de l'autre. Chacun doit
être dans la possibilité d'examiner, avec le
spécialiste invité, ce qu'il juge utile afin
que l'œuvre créative commune soit vue sous toutes
ses facettes. Le drame des mauvais colloques est que l'intervention
du rapporteur soit rapportée sans s'interroger sur
la pensée de l'autre, qu'il aurait pu connaître
dans le pré-rapport.
C'est en cherchant à comprendre et à accepter
nos différences que nous pouvons accéder à
une hauteur de vue requise sur des problèmes aussi
complexes. L'ambition est de tenter, soi-même, de faire
la synthèse de ces échanges et de ces écoutes.
Sinon, à quoi bon ces réunions ? Comme dans
la collection Terre
Humaine, la multiplicité des points de vue des
milieux sociaux et des disciplines permet d'approcher une
esquisse de vérité.
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Suite :
Si je fais le tour de table mental de ces auditeurs et chercheurs
du séminaire de l'année 2001 à l'EHESS,
j'observe un avocat général à la Cour
d'Appel de Paris, Richard Bouazis ; une grande avocate du
Barreau de Paris, Maître Marie-Anick Vergès ;
un professeur de sociologie générale de l'Université
de Toulouse, Odile Laulhère ; une préhistorienne
de la Vallée des Merveilles qui vient, elle, de Nice,
Chantal Jéguès-Wolkiewiez ; une journaliste/écrivain,
proche de l'écrivain Raymond Abellio et spécialiste
elle-même de phénomènes parapsychologiques,
Marie-Thérèse de Brosses ; Janine Willemin ;
une africaniste, spécialiste des rites de deuil chez
les chasseurs du nord du Togo, les Tamberma, Dominique Sewane
; une "indianiste", spécialiste de l'évangélisation
et du néo-chamanisme chez les Sioux et les Pueblos,
Joëlle Rostkowski ; un imprimeur, Alain Lemoine, ami
et exécuteur testamentaire d'Henri Pichette ; un ingénieur
EDF, Jean-Marc Huguet ; le Directeur du musée napoléonien
de Malmaison, Jérémie Benoît ; un haut
fonctionnaire canadien, Mark Malone, ancien membre du cabinet
du Premier ministre Pierre Trudeau et, aujourd'hui conseiller
du Sénateur inuit, Charlie Watt ; la petite-nièce
de Léon Chestov, Madame Alice Laurent ; une sociologue
brésilienne spécialiste du Candomblé,
Vilma dos Santos Boivin ; Giulia Bogliolo Bruna, de l'Université
de Gênes, historienne des mentalités suite aux
premières rencontres des peuples indiens et des Inuit
avec leurs découvreurs ; une psychologue particulièrement
orientée vers le Rorschach, Hélène Salaün
de Kertanguy, chargée d'enseignement à l'Université
de Nanterre ; un historien chinois de la Mongolie, Michel
Hoàng ; le Professeur Marc Tadié, l'éminent
neurologue ; une Danoise qui préside l'association
pour les femmes battues du Groenland, Eva Rude et enfin Jean
Pavleski, agrégé de droit (économie)
et directeur/fondateur des éditions Economica. Parfois,
un ou deux géomorphologues.

C'est un dialogue maïeutique avec un auditoire aux idées
croisées qui m'a permis de construire ou réviser
ma propre pensée après avoir soumis mes résultats
à cette assemblée.
Quinze séminaires par an. Il est des temps forts, comme
dans une pièce de théâtre et des chutes.
Lucien Febvre dans ses instructions données à
Roger Bastide le 10 octobre 1950, rappelle l'esprit même
de ces séminaires : " Je vous rappelle que je
conçois la VIe section comme une section de recherche
plus encore que d'enseignement dogmatique ex cathedra
(c'est moi qui souligne).
L'essentiel est d'apprendre à travailler. Les résultats
d'une enquête, bien. La façon d'atteindre ces
résultats, réunir les documents, de prospecter
le terrain et d'étudier le milieu, mieux encore. Et
si possible, des exercices : classement de fiches… "
².
Jean Malaurie
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¹ Louise Möglen, " Du séminaire au
rituel du thé ", Il Polo : " Alla ricerca della quadratura
del Circolo Polare : Testimomanzie e studi in onore di Jean
Malaurie ", Vol. 25-26, mars-juin 1999. Fermo : Istituto
Geografico Polare, Fermo, pp. 119-122.
² " Lettre inédite de Lucien Febvre " p. 38-39 in Roger
Bastide, Le Candomblé de Bahia (Brésil, Rite Nago). Paris,
éd. Plon, coll. Terre Humaine, 2000
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Les séminaires d'Études Arctiques se sont déroulés
chaque année depuis 1957. Ils sont sous la direction du professeur
Jean Malaurie. Le Séminaire a lieu tous les vendredi, de 15h à
18h, de décembre à mai, à l'École des Hautes
Études en Sciences Sociales (EHESS), au 105 boulevard Raspail,
75 006 Paris.
Le programme des dernières années du séminaire
était le suivant :
- 46ème session du séminaire pour l'année 1991-1992
: Formateur des élites dans l'Arctique contemporain : crise des
écoles primaires et des universités autochtones
- 47ème session du séminaire pour l'année 2000-2001.
Thème du séminaire : De la vérité en ethnologie
...
- 48ème session du séminaire pour l'année 2001-2002.
Thème du séminaire : Photographes et écrivains de
l'Arctique : ethnophotographie, anthropologie et littérature
- 49ème session du séminaire pour l'année 2002-2003.
Thème du séminaire : Photographes et écrivains de
l'Arctique : ethnophotographie, anthropologie et littérature
À compter de l'année 2000-2001, les travaux du Séminaire
seront publiés dans la collection Polaires,
aux Éditions Economica. Celui de l'année 2000-2001, intitulé
De la vérité en
éthnologie ... , est en vente. Economica, 49 rue Héricart,
75015 Paris, e-mail : caroline.hugo@libertysurf.fr
L'enseignement donné lors de ces séminaires fait l'objet
d'un compte-rendu d'enseignements dans
l'Annuaire de l'EHESS : résumés, publications et congrès
auxquels le Directeur d'Étude a participé.
Il mentionne les diverses interventions des personnalités invitées. Les
annuaires peuvent être achetés à :
l'EHESS, 54, bd Raspail, 75006 Paris. http://www.ehess.fr
Plusieurs centaines d'étudiants français et étrangers ont suivi cet enseignement
qui s'est traduit par une centaine de mémoires
et thèses.
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