Le professeur Jean Malaurie
Les repères biographiques
© John Foley/ Opale, 1999.
Extraits de Jean Malaurie, L'Allée
des Baleines, Paris : éditions Mille et Une Nuits/Fayard,
collection " Petite Collection ", 2003. p. 148-156 .
1922 (22 décembre)
Naissance à Mayence de Jean Malaurie dans une famille française
catholique de la bourgeoisie. D'ascendance normande et écossaise.
Son père, agrégé d'histoire et de géographie
au lycée de Mayence, ancien officier d'infanterie au Deuxième
bureau de Belfort, après avoir été gravement blessé
en 1914, avait pour mission de rapprocher, par des échanges intellectuels,
sous l'égide de l'Université de Strasbourg, les intelligentsias
rhénanes afin de les sensibiliser davantage à une politique
d'ouverture et de réconciliation. La tradition allemande, le chant
choral, la pensée romantique, la gaieté rhénane,
et plusieurs longs séjours dans la Forêt Noire ont profondément
marqué l'enfance de Jean Malaurie.
1930
Après des études au lycée de Mayence, la famille
Malaurie quitte la Rhénanie pour la France, dans le cadre de la
politique de détente souhaitée par Aristide Briand et Gustav
Stresemann. Albert Malaurie dénonce dans la Revue des deux mondes
les premières expressions d'un esprit de revanche voulu par Berlin,
récemment perceptible en Rhénanie, alors même que
l'on observait une démobilisation intellectuelle de la France.
1940
Études secondaires au Lycée Condorcet (Paris), puis au Lycée
Hoche de Saint Cloud ; retour pour la terminale au Lycée Condorcet
(Paris).
1943
Jean Malaurie prépare le Concours de l'École Normale
Supérieure comme interne au Lycée Henri IV (Paris), auquel
il ne peut malheureusement se présenter, le Service du Travail
Obligatoire sacrifiant, pour commencer, toute la classe des jeunes Français
nés en 1922. Contrairement à l'esprit attentiste français
qui se traduit par le départ en Allemagne de 300.000 travailleurs
STO, il devient réfractaire et clandestin, recherché par
la police, du 1er juin 1943 jusqu'à août 1944.
1948
Après des études supérieures à l'Institut
de Géographie de l'Université de Paris, il est nommé
par Emmanuel de Martonne, au titre de l'Académie des Sciences,
géographe des expéditions polaires françaises, dirigées
par Paul-Émile Victor sur la côte ouest et l'inlandsis du
Groenland. Deux campagnes. Durant les hivers, il conduit sous l'égide
du CNRS deux missions solitaires de géomorphologue avec les chameliers
touareg dans le Hoggar algérien et le Sud marocain.
Fin 1949
Sur la recommandation de ses maîtres, les historiens Lucien Febvre
et Fernand Braudel, il démissionne de cet organisme de recherche
pour revenir à son corps d'origine : le CNRS. Motif : le programme
des expéditions polaires françaises, patronné par
l'Académie des Sciences, s'interdit étrangement toute recherche
en sciences humaines au Groenland, les recherches devant être "
parallèles " dans l'Arctique et l'Antarctique.
1950
La " première mission géographique et ethnographique
française dans le nord du Groenland " est décidée
sous l'égide du CNRS. Jean Malaurie la dirige. Il est seul. Programme
intense de recherche : l'hiver, en démographe, il établit
sur quatre générations la première généalogie
de ce groupe très isolé de 302 Inuit, les plus au nord de
la Terre, qui révèle une planification tendancielle pour
éviter les risques de consanguinité, les Inuit s'interdisant
les unions apparentées jusqu'au cinquième degré.
Étude qui sera approfondie sur le plan génétique
au titre des isolats par les démographes Jean Sutter et Léon
Tabah à l'INED (Paris). Il précise la géographie
sociale détaillée des ressources et moyens : une famille
inuit de Thulé dispose en 1950 de 46 euros par an, vivant donc
en autosubsistance ; de mars à juin, raid au Nord en Terre d'Inglefield
et Terre de Washington en trois traîneaux à chiens permettant
de dresser la carte (topographie, géomorphologie des éboulis
et de la nivation, glaces de mer) sur 300 kilomètres de côtes
et trois kilomètres d'hinterland au 1 : 100.000 (publication par
l'Imprimerie Nationale au 1 : 200.000 en 1962). Études géomorphologiques
détaillées des éboulis et des écosystèmes
géocryologiques dont il précise les logiques se concrétisant
par des strates et des cycles. Elles se traduisent par un des ouvrages
qu'il considère comme fondamental dans son itinéraire de
pensée, et se formulant dialectiquement par une anthropogéographie
des Peuples premiers arctiques : " Thèmes de recherche géomorphologique
dans le nord-ouest du Groenland " (Paris : CNRS, 1968).
1951
Raid au Pôle géomagnétique en traîneau
à chiens, avec l'Inuit Kutsikitsoq, qu'il est le premier Européen
à avoir atteint le 29 mai 1951, précédé
seulement par l'Américain R. E. Peary en avril 1895.
Le 16 juin 1951 : retour à Thulé, il découvre
une base militaire construite pour bombardiers nucléaires.
Cette base constitue une révolution dans l'histoire de ce peuple
et un problème majeur pour l'avenir du Groenland. Seul étranger
et témoin de cette opération ultra secrète au
cours de la Guerre de Corée, il décide de s'engager
publiquement contre l'implantation de cette base au sein du territoire
d'une population, non consultée localement sur cette affaire.
1955. Il publie Les Derniers rois de Thulé ; livre fondateur
de la collection Terre Humaine (avec 23 traductions, c'est le livre
le plus diffusé au monde sur les Inuit) aux éditions
Plon à Paris, (collection fondée en 1954). Cet ouvrage
sera suivi par Tristes tropiques de Claude Lévi-Strauss, Les
Immémoriaux de Victor Segalen, Soleil Hopi de Don C. Talayesva
et Aimables sauvages de Francis Huxley.
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1957
Il est élu sur la recommandation de Fernand Braudel à la
première chaire de géographie polaire de l'histoire de l'Université
française, à l'École des Hautes Études en
Sciences Sociales (Paris). Il fonde aussitôt le Centre d'études
arctiques.
1960. Création d'Inter-Nord, la revue arctique internationale du
CNRS.
1962. Docteur d'État de géographie à l'Institut de
géographie de l'université de Paris.
1968-1969. Il est le consultant du gouvernement du Québec lors
de la création de ce qui devait devenir Nunavik (alors appelé
Nouveau Québec), territoire autonome. En 1960-1963, il avait été
consultant du ministère du Nord (NRCC), Ottawa.
1969
Premier de quatorze congrès arctiques internationaux dont
il est en France le président.
1969 : Rouen, premier congrès international pan-inuit de l'histoire.
1973 : Le Havre, premier congrès de l'histoire pétrolière
arctique, avec ses conséquences écologiques. 1983 :
Paris, premier congrès international dans l'histoire des sciences
sur le pôle nord. 1982 : premier des quatre congrès bilatéraux
franco-soviétiques d'ethnologie et d'anthropogéographie
arctiques (Léningrad et Paris alternativement) ; collaboration
étroite entre le Centre d'études arctiques, CNRS/EHESS,
et l'Institut d'ethnographie, Académie des Sciences de l'URSS
; le quatrième colloque bilatéral s'est tenu à
Leningrad en 1986. Ces quatorze colloques plaident pour une révision
des méthodes d'enquête, une meilleure définition
du témoignage d'une part, et une défense du droit des
peuples à s'administrer, d'autre part.
Premier film réalisé avec l'ORTF, Les Derniers rois
de Thulé, suivi de sept autres films de la série Inuit,
tournés en 1973, 1976, du Groenland à la Sibérie
(1980, TV Antenne 2), Haïnak Inuit (1993, production TV Ina et
La Cinquième), film en hommage au peuple inuit. |
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1971
Nommé Directeur de recherches titulaire au CNRS, il modernise
la base française du Spitzberg qui était abandonnée
(Ny-Ålesund, Baie du Roi) ; pendant dix ans, il y a dirigé
les recherches de géomorphologie intégrée qui ont
fait l'objet de nombreuses thèses, sous l'égide du Centre
d'Études Arctiques, dans le cadre d'un G.D.R. Arctique (groupe
de recherche interdisciplinaire), qu'il a fondé au CNRS.
1978. Un des conseillers de Inupiat University of the Arctic (première
université inuit en Alaska), créée en 1977 à
Point-Barrow. Échec après une année, l'université
étant en butte à un certain esprit conservateur des autorités
américaines en Alaska.
1990
Les autorités proches du Président Mikhaïl Gorbatchev
le nomment directeur scientifique de la " Première expédition
russo-française en Tchoukotka ", berceau de l'histoire inuit,
qui lui avait été interdit pendant trente ans ; expédition
sous l'égide du Gosplan (Leningrad), Fonds de la Culture (Moscou)
et CNRS/EHESS (Paris). Première expédition internationale
en Sibérie nord-orientale depuis la révolution d'Octobre.
1991
Transfert de la Bibliothèque qu'il a fondée au Centre d'Études
Arctiques. Avec l'accord du CNRS, de l'EHESS, et du Muséum National
d'Histoire Naturelle, création du Fonds Polaire Jean Malaurie à
la Bibliothèque Centrale du Muséum National d'Histoire Naturelle
(Paris), doté de 40.000 titres. Unique bibliothèque polaire
(arctique et antarctique) en France et carrefour fédérateur.
1992
Médaille du CNRS ; grande médaille d'or de la Société
de Géographie de Paris (1996) et nombreuses autres distinctions
françaises et étrangères (officier de la Légion
d'honneur, commandeur de l'Ordre du Mérite et commandeur des Arts
et Lettres) ; il est particulièrement sensible à la distinction
de l'Ours blanc décernée à Paris en 1999 par le Premier
Ministre du Groenland, Jonathan Motzfelt.
1994
Il est nommé président d'honneur à vie de l'Académie
Polaire de Saint-Pétersbourg par la Direction de l'enseignement
supérieur du Ministère de l'Éducation à Moscou,
Académie dont il est un des fondateurs et qui devait devenir en
1998 Académie Polaire d'État. Elle a pour objet avec ses
mille élèves, fils et filles de bergers, de chasseurs ou
de fonctionnaires, relevant de 45 ethnies de la Sibérie mais aussi
des Russes sibériens, de former les cadres supérieurs de
la Sibérie de demain : inventer leur propre développement,
inspiré par leur patrimoine, mais ouvert sur les techniques qui
leur sont positives ; s'affirmer en défenseurs résolus d'une
écologie menacée par les folies de la mondialisation. Il
fait adopter la langue française comme première langue étrangère
obligatoire. L'Académie Polaire d'État est sous le patronage
de l'Ena.
Dernière des trente-deux missions assurées du Groenland
à la Sibérie depuis 1948 ; elle fut conduite avec le célèbre
sociologue américain Bruce Jackson à Nome et Teller, Alaska.
1999
Publication de Hummocks, en deux tomes dans la collection "
Terre Humaine " (Plon) ; itinéraire de recherche et bilans,
du Groenland à la Sibérie.
2000. Publication de la deuxième édition revue et augmentée
d'Ultima Thulé (première édition : Paris, Plon/Bordas,
1990 ; deuxième édition : Paris, Le Chêne), retraçant
une contre-histoire dans le Nord du Groenland, de la découverte
à l'invasion.
Le Sénat du Canada, en présence de Jean Malaurie et
des représentants de l'ambassade de France, à la requête
du sénateur inuit Charlie Watt, vote ses félicitations
pour l'uvre scientifique entreprise au Canada, exprimées
par le Président du Sénat, Gildas Molgat (15 juin). |
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© Jean Malaurie |
2001
Publication de L'Appel du Nord. Une ethnophotographie des Inuit, du
Groenland à la Sibérie : 1950-2000. (Paris : Éd.
de la Martinière).
Docteur Honoris Causa de l'Université d'État de Saint-Pétersbourg.
2002
Création de la Collection " Polaires " aux Éditions
Economica à Paris, qui se propose de publier les grands classiques
de la découverte de l'Arctique et de l'Antarctique.
Publication du premier séminaire d'études arctiques à
l'EHESS, suite à cinquante séminaires assurés depuis
1957. Thème du séminaire : De la vérité en
ethnologie
, ouvrage collectif publié sous la coordination
de Dominique Sewane. Paris : Ed. Economica.
Plus de 700 articles d'études publiés à cette date.
2003
Création à l'Académie Polaire d'État
(Saint-Pétersbourg) de l'Institut de Recherche Avancée
avec et pour les peuples autochtones, où les chercheurs autochtones
les plus avancés disposent d'une année sabbatique pour
réfléchir sur l'avenir de leur peuple et exprimer leur
contribution par un film, un livre, une uvre d'art. Cet Institut
de Recherche Avancée, dont les autorités russes ont
demandé à Jean Malaurie d'assurer la direction scientifique,
a aussi pour fonction d'organiser de petites missions d'étude
en Sibérie, comportant, à parité, un ou deux
autochtones et un ou deux scientifiques occidentaux ou russes, témoignant
d'un savoir partagé dans leurs recherches.
Inauguration dans le cadre du tricentenaire de Saint-Pétersbourg,
sous l'égide de la Société de Géographie
de Russie, d'une exposition russo-française sur l'histoire
de l'Académie Polaire d'Etat, et ouverture d'un forum géographique
russo-français. |
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2004
Cinquantenaire de la collection " Terre Humaine ", des éditions
Plon, à la Bibliothèque Nationale de France (Paris), sous
le patronage du Président de la République. La collection
" Terre Humaine " compte 85 auteurs ; elle a, dans ses diverses
éditions, connu une diffusion sans précédent. Elle
réconcilie l'anthropologie réflexive et la littérature,
à laquelle elle souhaite apporter un nouveau souffle dans une vision
multiculturelle de l'Histoire de l'humanité. Dans cette collection
ont été publiés des inédits de célèbres
écrivains, comme Émile Zola, Charles-Ferdinand Ramuz et
Victor Segalen, tout en faisant entendre la voix des gens " d'en
bas " et des exclus. Publication, pour saluer le cinquantenaire,
de " Victor Hugo, ethnologue " avec des carnets et pages inédits
du grand écrivain. La collection " Terre Humaine ", sans
aucun doute, est un des courants intellectuels majeurs en France depuis
cinquante ans.
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