Jean Malaurie : Chants et tambours inuit de Thulé au Détroit de Béring

" Musique et connaissance du peuple inuit.

Il est impossible de connaître un peuple de tradition orale à distance et seulement à travers des récits ou des témoignages écrits. Vivre dans son intimité est évidemment indispensable pour examiner attentivement ses techniques, l'entendre raconter ses mythes et ses légendes avec les intonations, les silences, les expressions, les mimiques et les gestes - communication directe et sensible - dont on ne peut les séparer si l'on veut sentir une approche réelle de leur identité, le noyau de leur personnalité, leur être caché. Entendre sa musique est essentiel pour comprendre un peuple. C'est en écoutant leurs voix mâles et graves, leurs chœurs guerriers, leurs étranges chants de gorge, les longs récits de ces " aèdres " hyperboréens sur la banquise, les poignantes mélopées de leurs femmes, qu'on peut commencer à prendre conscience de ce que peut être le caractère inuit, sa force et son ascendant, qui se sont forgés dans la solitude et les glaces de ces espaces désolés qui auraient acculé les âmes les plus faibles au désespoir. Cette langue rauque, aux syllabes finales avalées, cette allégresse de vivre du peuple de Thulé, cette fureur des tambours alaskiens, par la grâce du " Compact ", envahissent donc nos maisons ; ce peuple du Grand Nord s'installe dans notre intimité occidentale et nous fait accéder à un autre niveau de conscience.

" Mes enregistrements. Quelques uns de mes enregistrements dans l'Arctique canadien, chez les Netsilingmiut et les Urkuhikjalingmiut, en 1961 et 1963, ont fait l'objet d'un disque 33 tours (Chant du Monde paru en 1963, LD2 -S. 4284, 25 cm). Grâce à ce disque compact, on peut écouter une sélection d'enregistrements (quarante heures environ) réalisés au cours de missions d'étude anthropogéographique que j'ai accomplies dans six secteurs géographiques circumpolaires : Thulé (nord-ouest du Groenland, 1967, 1969, 1972, 1982), Iglulik, nord-est du Canada et Péninsule de Boothia, Spence Bay (Arctique central, 1960, 1961), Frobisher Bay, 1987 (Iqaluit), Ile Saint-Laurent (Savoonga, Détroit de Béring, 1965), Chivak (Yukon, sud-ouest Alaska, 1976).

Ussasgaqssuag (né en 1910). Chant au tambour à Siorapaluk, nord-ouest du Groenland, octobre 1967

J'utilisai, dès 1961, un Perfect-tone EL (Suisse) à piles, du Centre d'Études Arctiques (EHESS/CNRS) et en 1987, un Sony à piles. Le plus souvent, mes enregistrements étaient faits dans l'habitation du chanteur (maison de pierre et de tourbe, maison de bois, iglou) ou dans la maison commune où avaient lieu les danses collectives : parfois sous une tente ou dans un canot ou encore sur la piste même, au milieu des chiens de traîneaux. Les conditions furent souvent rendues difficiles par le manque de résistance des piles au froid (la température extérieure pouvant être de - 20° à -40°) et à l'humidité omniprésente. C'est ce qui explique le caractère parfois quelque peu artisanal des enregistrements. La coopération des chanteurs inuit, alors si isolés et démunis, m'a toujours été accordée avec amitié et confiance. Ils avaient déjà alors le souci et le devoir de sauver de l'oubli leur patrimoine irremplaçable et encore profondément méconnu. Ce disque est un grand hommage à ces grands artistes des hautes latitudes. "

Shishmaref (Alaska). Mai 1976. Tambours et danses inuit selon les rythmes traditionnels

Six peuples différents sont présentés :

     1) Thulé, nord-ouest du Groenland (enregistrements, juillet-octobre 1967 ; juillet-septembre 1972)
     2) Canada, Frobisher Bay : juin 1987.
     3) Iglulik (N. E. Territoire du Nord-Ouest canadien) Enregistrement : juillet-octobre 1960, mai 1961.
     4) Spence Bay, Péninsule de Boothia (Chants du Nord-Ouest canadien) Enregistrement : août 1961.
     5) Alaska, Ile Saint-Laurent, Savoonga, un des deux villages de la grande île. Détroit de Béring. Enregistrement :      octobre 1965.
     6) Chivac (Yukon) : avril 1976.

Extraits du carnet de terrain de Jean Malaurie : 10 avril 1976
" 20h30. Maison communale-salle des sports. Tout le village est rassemblé, pères et mères sur les tribunes improvisées, enfants au premier rang. Aucune boisson alcoolisée, seulement des jus de fruits ou du Coca-Cola. La salle est pleine à l'arrivée des trois batteurs des grands tambours qui se placent au pied des tribunes, le dos au public, face à la piste où évoluent les danseurs.
20h45. Premier tambour. Trois danseuses face aux tambours et au public : elles ont des gants blancs. Quatre danseurs leur succèdent ; ils sont coiffés de couronnes faites de plumes blanches de hibou des neiges. Un long entracte. Des informations sont données sur la vie municipale, l'avenir économique. L'assemblée, en particulier plusieurs vieilles, écoute avec une vive attention les orateurs, en les fixant avec des yeux intenses. Certains ont même la bouche ouverte. Une jeune mère veille à ce que ses enfants ne crient pas. Elle fait tinter à leurs oreilles des porte-clefs, afin qu'ils restent silencieux. Des questions sont posées, précises et les intervenants sont applaudis. À la reprise du spectacle, deux jeunes de 20-25 ans remplacent les danseurs précédents. Le public témoigne d'une véritable ferveur. Beaucoup d'hommes ont la bouche serrée, à l'indienne. Les Anciens sont impénétrables et écoutent avec gravité. Les enfants semblent suivre chaque mouvement des danseurs et leurs lèvres qui remuent témoignent de l'intensité avec laquelle ils suivent les chants. À l'entracte, ils mimeront les danseurs en se mettant des bouts de papier sur la tête en guise de plumes et en répétant les chants. Cette assemblée est, pour les enfants, une véritable école du soir de la tradition. "

CD-Rom J'imagine le monde, édité par Montparnasse Multimédia, avec Terre Humaine/Plon. Par Jean Malaurie. Ensuite, sur une page à part, en remettant la photo de la jaquette, mais en plus grand si possible, rajouter ce petit texte de présentation : À travers ce CD-Rom, Jean Malaurie, auteur des Derniers rois de Thulé, nous propose de découvrir les Inuit et leur histoire. Des commentaires de Jean Malaurie, des extraits de ses films, des photographies, ainsi qu'un atlas et une présentation des différents explorateurs du cercle polaire depuis 1818, permettent une véritable rencontre avec les Inuit. À l'aide de cartes, des carnets de route de Jean Malaurie, nous pouvons découvrir et revivre avec l'auteur, ses 31 missions, de la Sibérie à l'Alaska en passant par le Groenland et l'Arctique canadien.