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L'expédition
GROENLAND 1948
Mission Paul-Emile Victor
par Paul-Emile Victor |
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LE
1er OCTOBRE 1947 - IL N'Y A GUERE PLUS D'UN AN PAUL-EMILE
VICTOR ET SES CAMARADES ENTREPRENAIENT D'ORGANISER
AVEC L'AIDE D'UNE SUBVENTION OFFICIELLE DEUX EXPEDITIONS
POLAIRES SCIENTIFIQUES : L'UNE DANS L'ARCTIQUE,
L'AUTRE DANS L'ANTARCTIQUE. L'EXPEDITION ANTARCTIQUE,
DIRIGEE PAR ANDRE-F. LIOTARD, EST PARTIE LE 28 NOVEMBRE
1948 POUR LA TERRE ADELIE. L'EXPEDITION ARCTIQUE,
SOUS LA DIREC.TION DE PAUL.MILE VICTOR, VIENT DE
PASSER CINQ MOIS AU GROENLAND AFIN DE PR~PARER L'EXPEDITION
PRINCIPALE, QUI PARTIRA AU PRINTEMPS. |
11 mai 1948:
- Avenue de la Grande Armée : 35 camions
prêtés par l'armée : vont transporter
les 90 tonnes de matériel de Paris à
Rouen, où nous embarquerons demain pour le
Groenland. La foule s'assemble devant un weasel
peint en orange. Sur ses flancs: " Expéditions
polaires françaises. ~ " Où vont-ils
? demande quelqu'un. " Ils partent pour le
pôle Nord " répond un autre d'un
ton renseigné. " Ils : c'est nous, les
vingt-cinq que nous sommes, qui avons travaillé
d'arrache-pied depuis six mois pour qu'aujourd'hui
tout soit prêt. Il faut d'habitude plus d'un
an pour préparer une expédition pareille...
Mais chacun " y a mis tout ce qu'il pouvait
", nuit et jour, et l'équipe est prête
avec tout son matériel : 7 véhicules
à chenilles amphibies ; 14 traîneaux
en Duraluminium, traîneaux spéciaux
qui seront remorqués derrière les
weasels ; 3 cabines-laboratoires dans lesquelles
les scientifiques installeront leurs instruments
; des caisses multicolores - chaque section ayant
sa couleur - et des vivres pour six mois. |
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UN
VEHICULE A CHENILLE DE L'EXPEDITION, AU COURS D'UNE
RECONNAISSANCE PREIMINAIRE FAITE AVANT LA CONSTRUCTION
DE LA ROUTE DE 8 KILOMETRES |
13
mai, Rouen :
- Le Force, caboteur norvégien affrété
par l'expédition, embarque: véhicules,
essence, vivres, caisses, l'embarcation et un câble
métallique de 4 tonnes et demie, car si nous
nous trouvons devant une falaise, il nous faudra
construire un téléphérique...
Les instruments et les appareils délicats
sont amarrés sur la passerelle inférieure.
Jean Martin, le gravimétriste, installe ses
" machines à laver " (surnom que
nous donnons aux gravimètres) avec un soin
de nourrice. Philippe Pluvinage, le géophysicien,
s'affaire autour de ses instruments: il commencera
ses travaux dès l'appareillage. Sur la passerelle
aussi, les caisses d'explosifs: ils serviront si
nécessaire à faire sauter la banquise
pour nous permettre d'aborder.
14
mai, 6 h30 :
- L'appareillage avait été fixé
à 6 heures du matin. Miracle: à
6 h. 30, les amarres sont larguées. Sur
le quai, les parents et quelques amis, ce même
quai, mais combien démoli, auquel en 1935
est venu s'amarrer le " Pourquoi-pas ? "
, qui nous ramenait Gessain, Rerez, Matter et
moi-même de notre première année
au Groenland... Nous étions quatre, nous
sommes vingt-cinq aujourd'hui; nous n'avions que
des chiens et des traîneaux, nous avons
des chenillettes et 90 tonnes de matériel
au lieu de 8 tonnes !...
28
mai, Godthaab, capitale du Groenland.
- Il y a encore de la neige partout. Excellent
présage : nous ne sommes qu'à 64
degrés de latitude nord, il nous faut aller
à plus de 71 degrés. Depuis quelques
jours grâce à la radio installée
par Marret et Rouet, après avoir communiqué
directement avec Paris tous les jours, j'ai pu
parler avec les radios danois de la côte
que j'ai connus avant la guerre à Angmagssalik
ou au Scoresby Sund.
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R.
Guillard chargé de la section transport
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Samivel,
cinéaste en train de tourner un film
scientifique |
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Carl
Jarl, représentant officiel du Danemark |
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J.
Martin, gravimétriste, avec un de ses
précieux appareil |
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R.
Rouet, le télégraphiste, envoie
un message |
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Lucien
Faivre, mécanicien des divers véhicules |
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31
mai, Godhavn, capitale du Groenland-Nord.
- Liaison gravimétrique... Martin est satisfait
: ses instruments (dont il recharge les accus nuit
et jour et qu'il maintient à une température
aussi uniforme que possible) fonctionnent parfaitement.
Pluvinage lui aussi est content: nous sommes arrivés,
ou presque, et ses appareils ultradélicats
sont en parfait état. Il a déjà
pu faire des mesures intéressantes. Plisson,
Geyer, Taylor. Lemaire, Vigier, tous les autres
ont déjà préparé les
équipements nécessaires aux reconnaissances.
1er
juin :
- Arrivé dans la nuit Jakobshavn, nous
en sommes repartis vers 5 heures du matin, après
avoir été reçus par le bestyrer
de l'endroit, qui, avec l'amabilité caractéristique
des Danois et de leur gouvernement, a résolu
en un tour de main les problèmes de la
dernière heure: aides esquimaux, transmissions
radio locales, etc. Dès 6 heures du matin
nous faisons route vers Port-Quervain, dans le
fond de l'immense baie de Disko. C'est là
que nous allons essayer de débarquer et
de hisser notre matériel sur l'Inlandsis,
le désert de glace, quatre fois grand comme
la France, qui couvre le Groenland.
A 10 heures du matin le " Force " mouille
devant un magnifique glacier, l'Eqip Sermia, près
d'une côte pratiquement dénuée
de neige. L'été est ici beaucoup
plus avancé que nous ne l'avons trouvé
800 kilomètres plus au sud. Aussitôt
: Michel Perez, Raymond Latarjet, Samivel, Guillard,
Lemaire et moi-même partons en reconnaissance.
Pendant quarante heures nous parcourons la montagne.
L'Inlandsis apparaît lisse et uniforme.
Sur une telle surface les weasels rouleront à
30 kilomètres à l'heure... à
condition, il est vrai, que d'ici là la
fonte ne vienne pas nous opposer un dédale
de crevasses.
2
juin - Une voie " praticable " est trouvée.
" Praticable ", c'est-à-dire
qu'il faudra construire une route d'une dizaine
de kilomètres pour permettre aux convois
de passer ! Cette route nous amènera au
fond d'une vallée, et là nous nous
trouverons en face d'une falaise presque verticale
de 200 mètres de haut, derrière
laquelle 600 mètres de moraine nous sépareront
encore de la glace vierge. Une falaise ? Oui,
mais nous avons emporté un téléférique
dans nos bagages !
8
juin :
- Le débarquement est terminé :
les vingt-huit membres de l'expédition:
se sont transformés en débardeurs.
Georges de Caunes lui-même, l'envoyé
de la Radiodiffusion, a oublié ses appareils
d'enregistrement et a " croché "
dans les caisses comme chacun de nous. Nous nous
sommes partagés en équipes : équipe
de fond de cale, équipe de pont, de radeaux
et d'embarcation (Boyé en est " l'amiral",
Guéneau, le " vice-amiral " ),
équipe de rive et de stockage. Quinze Esquimaux
nous ont aidé de leurs bras vigoureux.
Nous avons installé un treuil de 70 mètres
de long pour hisser le matériel depuis
la rive jusqu'à la plate-forme où
le camp I sera installé, à 50 mètres
au-dessus de la mer.
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André
de Cailleux, naturaliste et aussi géographe |
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Philippe
Pluvinage, géophysicien dans son laboratoire |
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Jean
Nevière, un des trois géodésiens
de l'expédition |
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Michel
Bouché, météorologiste,
dans son laboratoire |
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Jean-Jacques
Languepin, autre cinéaste et photographe |
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J.-P.
Geyer, topographe, portant une balise glaciologique
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Dr.
GESSAIN, RAYMOND LATARJET, MICHEL PEREZ, PAUL-EMILE
VICTOR ET A.-F. LIOTARD. |
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Cinq
jours pour débarquer 90 tonnes : travail de 6 heures
du matin à 11 heures du soir...
Les courbatures sont violentes, mais pas une égratignure,
deux incidents cependant : un weasel de réserve
a coulé et la grosse vedette a été
retournée par une énorme lame de fond: un
ru de marée provoqué par l'écroulement
dans la mer du front du glacier. Mais tout s'est si bien
passé que le " Force " a pu repartir
vingt-quatre heures plus tôt qu'il n'était
prévu. Il doit maintenant aller pêcher la
morue en Islande.
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10
juin camp II :
- Dix jours depuis la fin de notre débarquement.
Notre camp II bourgeonne
dans le fond de la vallée, au pied de la
falaise qui se dresse, redoutable, devant nous.
Nous avons déjà construit 8 kilomètres
de route. Demain commencent les travaux d'installation
du téléférique. Pendant dix
jours nous avons fait les terrassiers. En corniche,
taillée dans le roc, avec ses zigzags,
ses uvres d'art, la route aujourd'hui est
magnifique. Sur 8 kilomètres elle est jalonnée
tous les 6 mètres de cairns peints en rouge
pour permettre aux véhicules de circuler
par temps de brume. Tous les kilomètres,
une borne: morceau de bois avec une botte de conserve
portant un chiffre.
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CONVOI
DE TRANSPORT D'UNE CABINE-LABORATOIRE LE LONG
DE LA ROUTE DE 8 KILOMETRES QUI FUT CONSTRUITE
AUSSITOT APRES LE DEBARQUEMENT POUR RELIER
LE CAMP I ET LE CAMP II.
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AU
COURS DES RECHERCHES GLACIOLOGIQUES, EXPLORATION
D'UNE CAVERNE SUR L'INLANDSIS |
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Tout
en travaillant à la route, Martin a continué
ses liaisons gravimétriques; Pluvinage, ses
lectures de toutes sortes; Cailleux, Malaurie, Boyé,
Taylor ont observé des " sols polygonaux
", des formations géologiques, des "
régimes hydrauliques ". Nevière,
Bauer, Perroud ont commencé leurs calculs;
Marret et Rouet ont installé leur radio,
et nous pouvons déjà parler régulièrement,
mieux qu'au téléphone, avec Paris
en passant par les antennes de la Radiodiffusion
nationale. Samivel et Jean Jacques Languepin ont
commencé leurs films. Il n'y a que Bouché,
le météorologiste, et Michel Perez,
le glaciologue qui n'ont rien pu faire d'autre jusqu'à
présent que les cantonniers. 18
juin
- Hier Raymond Latarjet et Marret sont repartis
pour la France. Le premier pour reprendre son travail
de sous-directeur au laboratoire Pasteur de l'Institut
du Radium; le second pour préparer la station
radio de l'expédition antarctique t avec
laquelle il partira à l'automne.
20
juin
- Le premier convoi de véhicules part du
camp I sous la direction de Guillard et grâce
aux soins vigilants de Faivre. Il transporte 2 tonnes
de matériel. Les convois se succèdent
maintenant à un rythme accéléré
et régulier : six heures de trajet, huit
heures de maintenance, de chargement de matériel
et de repos. Comme il n'y a pas en cette saison
de nuit, nous ne sommes pas arrêtés
par elle: les véhicules arrivent au camp
II aussi bien à 10 heures du soir qu'à
2 heures du matin ou à midi. ,
Mais le travail nous est rendu très pénible
par les moustiques. C'est par milliards qu'ils ont
fait leur apparition il y a quelques jours. Ils
ne s'évanouissent que lorsqu'il vente ou
qu'il pleut, ce qui arrive heureusement assez souvent.
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Pendant
que montent les convois, le camp II s'organise,
le téléférique se construit,
la piste vers l'Inlandsis se trace. Mais le temps
s'est gâté sérieusement et
nous avons encore un problème difficile
à résoudre: au delà de la
" gare supérieure " du téléférique
il nous faut tailler une piste qui nous permettra
de traverser la moraine et d'arriver à
ce qui sera le camp III sur Ice-Cap. Lemaire,
Plisson et Geyer ont installé leur tente
à un kilomètre du camp, au pied
d'un couloir abrupt qu'il faut aménager,
car il est le seul passage possible pour les véhicules.
Pendant
plus d'une semaine ils ont vécu en isolés,
montant chaque matin dans la montagne avec leur
chargement de barres à mines, de pioches,
de pelles, d'explosifs et de détonateurs.
Plusieurs fois par jour nous avons entendu les
explosions. " Ils ne sont donc pas encore
morts " a dit quelqu'un. Perez, Nevière,
Perroud, Nègre, Queneau, aidés par
tous les bras disponibles, construisent le téléférique.
D'abord: hisser la grande roue de fonte jusqu'au
haut de la falaise.
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TELEPHRIQUE RALIANT LE CAMP
II AU HAUT DE LA FALAISE. LES PROBLEMES MATHEMATIQUES
POSES PAR SA CONSTRUCTION ONT ETE RESOLUS
A CHAMONIX PAR MONNET ET TRANSMIS PAR RADIO
- LA BENNE DU TELEFERIQUE DE MONTEE EST UNTRAINEAU
DONT LES PATINS SONT ENDOMMAGES PAR LES 8
KM DE ROUTE - |
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Elle pèse 150 kilos. Pour y parvenir il a fallu
une journée entière, une journée
d'efforts patients, parfois désespérés.
Accroché au flanc de la falaise, le petit groupe
d'hommes s'est rapproché du sommet. S'ils ne réussissent
pas, nous serons obligés de nous arrêter...
Pendant ce temps le dernier tronçon de piste est
tracé. Il traverse un lagot de sables inconsistants
hérissé de rochers, un névé
qui tous les jours s'amenuise sous la fonte et 600 mètres
de moraine boueuse et mouvante.
10 juillet :
- Il y a vingt jours que nous travaillons, sans aucun
arrêt. Aujourd'hui nous savons que nous atteindrons
notre but: le téléférique a monté
sa première charge, et le premier weasel, empruntant
le couloir, est arrivé sain et sauf sur sa calotte
de glace.
Ainsi ce 10 juillet, un mois après qu'a été
commencée la route, nous pouvons enfin considéré
avec confiance les nombreux mois et même les années
de travail et de recherches qui s'ouvrent devant nous.
La construction du - téléférique
a été un tour de force de Perez et de Nègre,
tour de force parfaitement réussi, puisque les
deux " gares " inférieure et supérieure
sont même reliées par un téléphone
de campagne qui permet d'exécuter les manuvres
au centimètre. Ce téléphone sert
aussi à relier au poste radio la station météorologique
installée par Bouché dans les séracs
en bordure de la moraine.
Chaque observation, et il en est fait une toutes les quatre
heures, est transmise au réseau international par
la radio danoise, qui la reçoit en moins de sept
minutes, et à l' O. N. M., qui la reçoit
quinze à vingt minutes après que les observations
ont été relevées.
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14
juillet :
- Tous les véhicules sont " hors de
danger " sur la calotte de glace au camp III,
qui commence à s'installer. Mais le reste
du matériel est encore en haut du téléférique,
et entre les deux il y a néanmoins 600 mètres
de moraine à traverser. C'est là que
nous rencontrons les plus grosses difficultés.
Allons-nous perdre les deux mois qui nous restent
à transporter sur notre dos jusqu'au camp
III 43 tonnes de matériel. La piste traverse
le lagot, où pour faire sauter les rochers
il a fallu travailler dans l'eau glacée,
sous la pluie. Mais chaque jour le travail de la
veille doit être recommencé, le tronçon
de la moraine doit être rectifié: là
où la veille il était rectiligne,
il zigzague le lendemain. Nous ne pouvons nous arrêter
une seconde, car entre le lagot et la moraine il
y a le névé qui tous les jours fond...
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SERACS
PRES DU CAMP III |
Les
moustiques ont fait place à ]a pluie, la neige,
la brume, la boue, l'eau. Les tentes sont inondées;
les sacs de couchage, humides et boueux ; les vêtements,
collants. Nous luttons contre le temps qui s'enfuit
et qui, chaque heure, nous rapproche du jour où
nous ne pourrons plus passer, où nous serons
arrêtés définitivement. Pourtant
le moral de tous reste bon et les recherches scientifiques
sont activement poursuivies.
25
juillet, camp III :
- Tout est bien qui finit bien. Le matériel est
au complet au camp II. Le névé peut fondre
maintenant: rien ne restera en panne de l' " autre
côté ".
Aujourd'hui, premier jour de repos après quarante-six
jours de travail de quatorze à seize heures chacun,
sans qu'il nous ait parfois été possible
de nous arrêter pendant trente-huit ou quarante
heures d'affilée. Une cinquantaine de tonnes
de matériel ont passé quatorze fois dans
les bras de chacun, sans compter le nombre incalculab1e
de rochers qu'il a fallu déplacer.
EN BORDURE DE LA MORAINE: DEPOT DU MATERIEL POUR
L'EXPEDITION DE 1949 |
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28
juillet :
- Pendant que le camp III achève de s'installer
sur la glace, Perez, Samivel et moi-même
sommes partis en reconnaissance vers l'intérieur.
Notre intention était d'aller aussi loin
que possible. Nous sommes passés sans transition
de la boue et du rocher à 1a glace et à
la neige, mais combien s'est transformée
la surface depuis que nous y avons mis le pied
pour la première fois, il y a un peu plus
d'un mois et demi. La fonte l'a ravinée
profondément, l'a cabossée, l'a
crevassée.
Notre
reconnaissance nous a menés jusqu'à
15 kilomètres environ vers l'est. On ne
voyait plus la côte : de tous côtés
c'était le désert de glace à
perte de vue. Une trentaine d'heures plus tard
nous sommes rentrés au camp III ; il faudra
essayer demain, malgré les obstacles du
terrain de progresser avec un premier convoi.
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LE
DEPOT DE JERRICANS A ETE SOIGNEUSEMENT RANGE, QUINZE
JOURS PLUS TARD, A CAUSE DE LA FONTE DES GLACES,
SA SYMETRIE A ETE ENTIEREMENT BOULVERSEE |
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29 juillet :
- Le premier convoi est parti: deux véhicules
remorquant trois traîneaux; au total une charge
d'environ 4 tonnes, matériel nécessaire
à l'établissement éventuel
d'un poste d'observation météorologique
et de recherches géophysiques et glaciologiques.
Crachin, pluie, neige fondante, aucune visibilité.
Les traîneaux dérapaient sur la glace,
se renversaient. Il a fallu les efforts de tous
pour les redresser. Après neuf heures nous
avons parcouru 2.000 mètres... Dans ce pays;
si l'on ne veut pas courir à un échec
que l'obstination têtue rendrait inévitable,
il faut savoir céder aux éléments,
dont les caprices sont imprévisibles. Nous
avons décidé alors d'installer là
un camp III bis, où les scientifiques pourront
travailler à leur aise et qui sera le point
de départ de reconnaissances légères.
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31
juillet :
- Hier la première reconnaissance légère
est partie. Elle était constituée
de deux weasels et d'un traîneau transportant
le matériel de la station. Cette caravane
s'est arrêtée à la limite
de la zone reconnue; en face d'elle se trouvait
une cuvette d'environ 15 kilomètres sur
15, entrecoupée de crevasses et d'un enchevêtrement
de cours d'eau tortueux, larges d'une cinquantaine
de mètres, qui roulent au fond de canons
profonds parfois de 10 à 15 mètres,
c'est-à-dire infranchissables.
7
août :
- Après sept jours de reconnaissance et
de tentatives, il a été décidé
devant
les difficultés rencontrées, de
ne pas pousser plus loin l'avance de l'ensemble
de l'expédition. Le passage difficile aurait
pu être franchi, mais présentait
de tels obstacles que cette opération nous
ferait perdre plusieurs semaines et risquerait
d'endommager sérieusement le matériel.
Il est donc préférable de consacrer
tout le temps qui nous reste à poursuivre
les recherches scientifiques et à jalonner
une nouvelle piste qui, évitant crevasses
et obstacles, pourra servir à l'expédition
de 1949. Plisson et moi embarquons dans quelques
heures sur l'aviso " l'Aventure " pour
rentrer en France aider nos " compagnons
du pôle Sud " à préparer
leur expédition.
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AU
PIED DE LA NEVE EN BORDURE DE LA BORDURE DE LA CALOTTE
GLACIAIARE GROENLANDAISE |
7 septembre :
- Depuis un mois la vie au camp a été
sans histoire, ni accidents, ni incidents. Les
travaux scientifiques ont continué. On
a stocké le matériel qui passera
l'hiver ici et que nous retrouverons en 1949.
Tout a été démonté,
graissé et empaqueté soigneusement.
En même temps, on a transporté du
camp III au camp côtier le matériel
scientifique et les mille accessoires de la vie
quotidienne. Cela représentait malgré
tout 2 tonnes et demie à descendre à
dos d'homme!
Le camp III a été abandonné
aujourd'hui.
22
septembre :
- Le " Brandal ", navire norvégien
qui doit nous ramener en France est arrivé
aujourd'hui. En quatre heures les 4 tonnes de
matériel ont été embarquées,
A dieu au Groenland Jusqu'à l'année
prochaine.
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ON
PROCEDE AU STOCKAGE DU MATERIEL EN VUE DE SON HIVERNAGE
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13
octobre, 14 heures :
- Le " Brandal " vient d'entrer dans le port
de Rouen. Sur le quai, la municipalité et le
consul du Danemark attendent, ainsi que les cinéastes,
les photographes et une foule de curieux qu'un cordon
de police maintient à distance respectueuse.
Tout à l'heure, alors que le " Brandal "
descendait la Seine, un petit bateau a amené
à bord ces mêmes parents et ces mêmes
, et amis quittés cent soixante-deux jours plus
tôt. Les questions fusent. Chacun s'était
préparé à y répondre pendant
la traversée de retour. Il est vrai qu'il a été
surtout question de la campagne prochaine et aussi de
nos compagnons du pôle Sud qui doivent partir
dans l' Antarctique, vers cette Terre Adélie
où aucun Français n'a jamais posé
le pied depuis que Dumont d'Urville la découvrit
en 1840.
Photos: J.-J. Languepin Expéditions Polaires
Françaises.
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