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SCIENCES ET TECHNIQUES

Savoir d'action et sciences de gestion : le cas des expéditions polaires

Vers un modèle d'aide à la conception d'une stratégie nutritionniste

Auteur :
Pascal Lièvre Maître de conférences en sciences de gestion
Université Blaise-Pascal CRET-LOG Université de la méditerranée
Contribution à la sixième Biennale de l'éducation et de la formation

"L'enjeu d'une stratégie nutritionniste pour une expédition polaire à ski est simplement essentiel dans la réussite ou l'échec de cette opération. Ceci est encore plus manifeste lorsque l'expédition se déroule en autonomie, c'est à dire sans aucune aide extérieure, et lorsqu'il y a une obligation d'aboutir : par exemple dans le cas d'une traversée ou de l'atteinte d'un point fixé à l'avance (sommet, point caractéristique…). Dans ce type de contexte : ce qui est emmené est emmené, ce qui n'est pas emmené n'est pas emmené. Si on emmène trop de nourriture, c'est la vitesse de déplacement qui est diminué et qui peut conduire à l'échec de l'expédition. Ce type de raid est toujours borné par les conditions climatiques : éviter les grands froids - ne pas partir trop tôt- et éviter la débâcle, c'est à dire la fonte de la glace et de la neige - ne pas arriver trop tard -.


La vitesse de déplacement est primordiale. Or cette vitesse dépend évidemment du poids du matériel transporté. Il faut savoir que le poids de la nourriture représente une partie importante du poids total emporté : de 30 à 60 % en fonction de la durée de l'expédition. Comme l'exprime le guide Alain Hubert, lors de sa préparation de la traversée de l'Antarctique, en autonomie, : " Le poids est le principal facteur limitatif dans une telle expédition, les 100 jours de réserves alimentaires représente 60 % du total. C'est à ce niveau qu'il faut tout mettre en œuvre pour concentrer un maximum de valeur alimentaire dans un minimum de poids " (Hubert, 2000). Laurence de la Ferrière lors de son expédition solitaire au Pole Sud, en 1997, avait au départ un traîneau de 130 kg. Constatant que son rythme de progression est trop limité, elle décide de larguer vingt kilos de nourriture (De la Ferrière, 1997, p.143) et d'organiser un ravitaillement. A l'opposé, si on n'emmène pas assez de nourriture, c'est l'arrêt de l'expédition par épuisement des protagonistes. Lors de leur traversée du pôle sud sans assistance, M. Stroud et R. Fiennes en 1992-1993 ont été obligé d'abandonner pour cause d'épuisement. Les deux hommes ont maigri de 18 et 23 kg en 50 jours (Ritz, 2001).
Nous considérons qu'une stratégie nutritionniste doit intégrer trois logiques : une logique de maintien de la composition corporelle des expéditeurs, une logique de poids et de volume de la nourriture embarquée et une logique d'appétit et de goût. Le point de départ de cette approche est la logique de maintien de la composition corporelle : c'est la logique du nutritionniste, une logique qui s'appuie délibérément sur des apports scientifiques.

2.1. La logique de maintien de la composition corporelle

Nous considérons ici le corps humain comme une machine biologique qui doit conserver en permanence sa structure interne. Pour se faire, la stratégie nutritionniste doit intégrer l'équilibre des quantités et des qualités en matière d'alimentation. Premier objectif : l'équilibre des quantités. Comme l'explicite Patrick Ritz (Ritz, 2001, p.154), chercheur en nutrition humaine : " La constance de la composition corporelle détermine le niveau de performance de l'individu. Le corps peut être séparé en un secteur de réserve énergétique (la masse grasse) et un secteur actif, qui dépense l'énergie ( la masse maigre) qui est la somme des muscles, des organes, des os, des tissus. La constance de ces secteurs ne peut être obtenu que si les entrées en énergie sont égales aux sorties".

Les entrées en énergie sont les aliments et les sorties en énergie sont liées à la dépense physique des expéditeurs. C'est l'apport en matière de calorie des aliments qui est pointé. Les aliments sont décomposés en terme de macro nutriment : les lipides, les glucides et les protides. Les lipides valent 9 Calories par gramme, les protides et les glucides en valent respectivement 4. Il faut donc que l'alimentation quotidienne apporte la quantité de carburant - les calories- nécessaires pour que la machine puisse fonctionner pendant la période voulue. Si votre voiture consomme 8 litres au 100km, il va falloir avoir dans le réservoir 16 litres d'essence pour effectuer 200 km.

Le premier problème consiste à évaluer votre dépense en énergie au vu de l'activité physique que vous entreprenez. Or cette dépense d'énergie est dépendante de votre activité physique mais aussi de vous, de votre machine biologique. Patrick Ritz (Ritz, 2001, p.155) explicite : " Il n'est pas possible de recommander une quantité fixe et d'énergie pour telle ou telle activité physique : la recommandation doit être individualisée. Les dépenses d'énergie d'un individu varient en fonction de sa masse. Un homme de 100 kg dépensera toujours beaucoup plus d'énergie qu'un homme qui n'en pèse que la moitié. A partir des données scientifiques actuelles, il n'est pas possible de calculer de manière précise les dépenses énergétiques liées à ce type d'activité, aussi Patrick Ritz a constitué une base de donnée empirique en matière d'expédition polaire depuis 1992. Il a mis au point une technique pour mesurer les dépenses en énergie des expéditeurs polaires en situation réelle. Il a mesuré des variations impressionnantes d'énergie dépensée pour un même individu allant de 4000 à 11000 calories par jour au cours de la même expédition. A partir de sa base de donnée, il propose une valeur moyenne de 80 Calories par kg et par jour, pour une personne pour ce genre d'expédition. Un individu de 100 kg consommera en moyenne par jour : 8000 Calories dans ce genre d'activité soit deux fois plus qu'un individu de 50 kg

Deuxième objectif, l'équilibre des qualités. Nous irons plus rapidement sur ce deuxième aspect. La règle à suivre pour respecter la permanence de la composition corporelle en matière de macro nutriment est simple : 55% de glucides, 30 % de lipides et 15 % de protides.
Cette logique biologique va heurter les deux autres logiques : la logique de poids et de volume des aliments emmenés et la logique de l'appétit et du goût de chaque expéditeur. Ces deux autres logiques quant à elle sont initiées par les savoir-faire des expéditeurs. Si on respecte l'équilibre des quantités et des qualités, on va avoir du mal à rester en matière de poids à 1kg par personne et par jour qui reste la référence en expédition polaire comme nous allons le voir. Si on respecte l'équilibre des quantités et des qualités, sommes-nous certain que nous allons réussir à manger les quantités que nous devrions manger ?

2.2. La logique de poids et de volume

Cette composante renvoie à l'expérience des praticiens (Lièvre, 2001). Tout d'abord, une logique de poids. Une expédition de ce type est toujours une course contre le poids. Chaque gramme compte. Nous avons rappelé la part importante que prend la nourriture parmi l'ensemble du matériel emporté : entre 30 et 60 %. Si le poids est supérieur à 40 kg, il n'y a plus de plaisir de ski, et si le poids est supérieur à son propre poids : l'exercice devient en quelque sorte " physique ". Il y a une convergence des pratiques vers le ratio d'un kilo de nourriture par personne et par jour. Pour certains praticiens (Mouraret, 2001), le ratio est de l'ordre de 0,8, pour d'autres (Muller,2001) il est de 1, pour d'autres encore (Cayrol, op.cit.) il est de 1,2. Cette variation du ratio tient aux différentes finalités poursuivies par les expéditeurs. Nous avons pu mettre en exergue trois type d'intentionnalité qui façonne d'un point de vue organisationnel les expéditions : le plaisir du ski, la découverte-l'exploration et l'exploit sportif (Lièvre, op.cit.).

Si ma finalité est le plaisir du ski, il faut que je diminue le poids du matériel à emporter quitte à réduire la durée de l'expédition, à emprunter des itinéraires où il est possible de se ravitailler, mon ratio sera de l'ordre de 0,8. Si ma finalité est la découverte-l'exploration, je vais privilégier des itinéraires à l'écart de toute habitation et sur la longue durée : je ne vais pouvoir compter que sur mes propres provisions pour fonctionner, mon ratio sera de l'ordre de 1. Enfin troisième finalité, l'exploit sportif, je dois être vigilant à mon alimentation car j'ai besoin de développer un certain niveau de performance pour aboutir à mon objectif, mon ratio sera de l'ordre de 1, 2. Ce ratio est déjà un compromis entre une logique de poids et une logique nutritionniste. Le problème du volume reste secondaire grâce à la pulka dont il faudra simplement adapter la taille à la durée de l'expédition. Le problème peut se poser avec l'usage du sac à dos, on réduira alors la durée du raid ou on s'obligera à utiliser les refuges et les cabanes, les points de ravitaillement.

Cette logique de poids est incompatible avec la logique nutritionniste. Si l'on respecte l'équilibre des quantités et des qualités, le ratio de 1 ne tient pas. Si je prends comme base la valeur moyenne proposée par Patrick Ritz pour respecter le maintien de la composante corporelle soit 80 Calories/kg et que l'on l'applique à une personne de 75 kg. Sa ration quotidienne est donc de 6000 Calories. Si nous respectons l'équilibre des qualités : je dois intégrer dans ma ration quotidienne : 55 % de glucides, 30 % de lipides et 15 % de protides. Les glucides doivent apporter 3300 calories ce qui représentent : 825 g Les lipides doivent apporter 2000 calories ce qui représentent : 222 g Et enfin les protides doivent apporter : 1000 calories ce qui représentent : 250 g. Au total le poids des aliments pour une journée est de : 825gr + 222gr + 250gr = 1297gr auquel il faut ajouter le conditionnement soit 100gr : 1397 grammes.

Sur vingt jours d'expédition, ce surplus par rapport au ratio d'un kilo représente : 7940gr ce qui est significatif quant chaque gramme est comptabilisé. Pour respecter le ratio d'un kilo pour 6000 Calories, il faut augmenter le niveau des lipides. Après avoir bricolé entre les lipides, les glucides et les protides, pour parvenir à une ration de 6000 Calories pour un kilo de nourriture par personne et par jour, la question secondaire reste : vais-je pouvoir les absorber ?


2.3. La logique de l'appétit et du goût

En ce domaine l'expérience des praticiens est incontournable. Des travaux scientifiques ont été réalisés sur l'appétit dans ce genre d'expédition, mais ils sont pour l'instant à un stade exploratoire. Si pour une personne de 75 kg, on respecte l'équilibre des quantités on va tabler sur 6000 Calories et pour respecter le ratio de 1kg par personne et par jour en matière alimentaire, on est obligé d'augmenter le pourcentage des lipides par rapport à l'ensemble des macronutriments ce qui est une distorsion à l'équilibre des qualités. Nous avons tenté ce genre de raisonnement pour l'expédition que nous avons conduit au Groenland en 1999. Nous avions donc augmenté la part de beurre et de margarine au quotidien, mais au bout de quelques jours nous avons du convenir que nous n'étions pas capables de manger ce surplus de lipides.
La monotonie de l'alimentation, des aliments trop sucrés ou trop gras sont des freins à l'appétit et donc à notre possibilité de manger la ration visant à satisfaire la permanence de la structure corporelle. Le goût est une notion très subjective, c'est à dire intiment lié à chaque individu. La construction des menus doit intégrer le goût de chacun, c'est pourquoi il est préférable que les menus soient totalement individualisés. Dans ce type d'expédition, tous les repas sont préparés à l'avance dans des sachets plastiques.
Il y a trois sachets par jour : un pour le petit déjeuner, un pour les vivres de courses qui seront absorbés régulièrement à toutes les pauses pendant la journée et un, enfin, pour le repas du soir. Dans ce genre de cuisine, il n'y a pas de cuisson. Les aliments sont en général déshydratés ou lyophilisés et ils sont mélangés à de l'eau bouillante pour être reconstitués. "




Le cas des expéditions polaires :
Introduction Conclusion
Vers une définition d'un savoir d'action en sciences de gestion Analyse des problèmes rencontrés
(l'enquête & les questionnaires)
Vers un modèle d'aide à la conception d'une stratégie nutritionniste L'expédition Transgroenland 70°


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