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SCIENCES ET TECHNIQUES

Savoir d'action et sciences de gestion : le cas des expéditions polaires

Vers une définition d'un savoir d'action en sciences de gestion

Auteur :
Pascal Lièvre Maître de conférences en sciences de gestion
Université Blaise-Pascal CRET-LOG Université de la méditerranée
Contribution à la sixième Biennale de l'éducation et de la formation

Pour avancer dans cette définition, nous devons distinguer trois type de savoir : le savoir-faire, le savoir d'action, le savoir scientifique. Il y a aujourd'hui une maturité conceptuelle pour distinguer ces trois types de savoir. L'ouvrage de Jean-Marie Barbier (1996) "Savoirs théoriques et savoirs d'action" issu d'une table-ronde organisée dans le cadre de la Seconde Biennale de l'éducation et de la formation du Conservatoire National des Arts et Métiers à Paris illustre cette maturité. Les travaux récents sur le thème de la complexité : Simon (1990), Le Moigne (1990), Morin (1991) constituent aussi un terreau fertile de réflexion autour de ces notions. Nous considérons que le savoir d'action est borné par les deux autres savoirs : le savoir-faire et le savoir scientifique de type analytique.

1.1. Le savoir-faire et le savoir d'action

Tout d'abord qu'est ce que le savoir-faire?
Le savoir-faire est l'information acquise par un acteur en "faisant". Si l'action est réussie, l'acteur a acquis un savoir-faire - une compétence en situation- qui lui permet de reproduire l'action, de réaliser une performance. Ce savoir-faire tient compte de l'ensemble des compétences incorporées par l'acteur auparavant et de l'apprentissage qui en découle "en faisant". Cette information est liée singulièrement au sujet.
Elle est intégrée à la personne. Dans l'absolu, il n'y a pas deux savoir-faire identique. Du fait de ses conditions de production, le savoir-faire n'est pas transmissible par écrit. Le seul mode de transmission possible est l'exemple. On peut "montrer", "faire voir en faisant" à un tiers jusqu'à ce qu'il puisse "faire" par lui-même et acquière son propre savoir-faire. Cette notion de savoir-faire a été abordée par de nombreux expéditeurs polaires.

C'est l'expérience acquise qui permet aux expéditeurs en situation de faire face et de réussir. La préparation de l'expédition au pôle Nord pour Antoine Cayrol (2001), guide de haute-montagne, membre du groupe militaire de haute-montagne, a débuté par la réalisation d'un état des savoir-faire acquis au cours des expéditions en haute-altitude et d'une évaluation en terme d'écart avec ceux qu'ils faudraient acquérir pour atteindre le pôle Nord. Selon lui, il y a trois types d'apprentissage en situation à réaliser pour des alpinistes himalayistes avertis qui veulent tenter ce genre d'aventure polaire : le froid, la durée, la banquise instable.
Il s'agit de se mettre progressivement en situation réelle et de tester les habiletés acquises, mais aussi d'inventer des solutions "in situ" et d'apprendre sur le terrain. La qualité des experts qui sont intervenus au colloque que nous avons organisé (Lièvre, 2001) est due à l'état de leur savoir-faire sur le sujet. Au cours de leur intervention écrite ou orale, ils n'ont pas fait état de leur savoir-faire. En effet la seule façon pour nous d'appréhender leur "savoir-faire" est de partir en expédition avec eux afin de voir comment ils procèdent et de les imiter.

En écrivant les experts ont changé de registre vis à vis de leur savoir-faire, ils ont fait œuvre d'un savoir d'action qui a de suite la particularité d'être transmissible, enseignable. Pierre Pastré (1999) dans sa réflexion sur le thème de l'ingénierie didactique professionnelle propose de distinguer deux types de compétences à la suite des travaux de Leplat (1997) : les compétences incorporées où le savoir-faire reste lié à l'action et à son contexte et les compétences explicitées où un processus d'analyse réflexive de la part du sujet, donc de conceptualisation aboutit à une décontextualisation du savoir-faire ce qui rend la compétence adaptable et transférable. Le savoir-faire explicité appartient donc radicalement à une autre catégorie de savoir : le savoir d'action. C'est pourquoi les praticiens-experts ont eu du mal à passer à l'écrit.
Il y a un changement de statut de leurs savoirs au cours de cette opération. On passe du savoir-faire au savoir-faire explicité, c'est à dire à un savoir d'action. C'est ce changement de registre qui provoque cette difficulté du passage à l'écrit pour le praticien. Nous avions contacté Gaétan Calvet qui a une grande expérience en tant qu'accompagnateur en régions polaires et nordiques pour participer au colloque.

Nous avons eu plusieurs échanges téléphoniques sur le contenu de sa communication. Peu de temps après, il m'a adressé une lettre manuscrite m'expliquant qu'il était avant tout un homme de terrain et qu'il aurait bien des difficultés à écrire 20 pages sur la logistique d'une expédition polaire. Jean-Pierre Frachon, guide de haute-montagne chez Atalante avait accepté le défi, mais devant sa charge de travail et la difficulté à passer à l'écrit, il a renoncé au dernier moment, idem pour Jean-Luc Albouy, directeur de l'Agence Grand-Nord Grand-Large. Bernard Muller, guide de haute-montagne, Stéphane Couturier, voyagiste chez Atalante, après de nombreuses hésitations sont passés à l'acte. Il y a donc une réelle rupture en terme de savoir entre le savoir faire et l'explicitation écrite de ce savoir faire qui devient alors savoir d'action. C'est le fait pour l'acteur de prendre de la distance par rapport à lui-même en passant par l'écrit qui permet une certaine décontextualisation de son savoir-faire. Une autre manière de définir le savoir d'action est de partir du savoir scientifique.

1.2. Le savoir scientifique et le savoir d'action

Le savoir scientifique s'est constitué depuis trois siècles en occident. Il s'agit d'un discours écrit, produit selon des règles méthodologiques précises dont la finalité est d'expliquer les phénomènes. " Expliquer " est fondamentalement la capacité à rendre compte de n'importe quelle situation phénoménale à partir d'une combinaison de deux ou trois facteurs principaux. C'est ce qu'on appelle la science classique, le savoir analytique. Il est possible d'identifier trois auteurs qui constituent les piliers de cette perspective selon Le Moigne [LE M, 1995] : René Descartes, Claude Bernard et Liebniz. René Descartes pour l'analyse, Claude Bernard pour la méthode expérimentale et la méthode hypothético-déductive, Liebniz pour l'utilisation de la logique formelle pour exprimer ce qu'est le réel.

On peut rendre compte de ce type de problématique en exprimant le fait que nous soyons ici dans une situation où comme l'exprime Jean-Louis Le Moigne [1996] : "Nous sommes en présence d'un territoire existant indépendamment d'un modélisateur qui veut en tracer la carte". Ce sont les sciences des objets. D'un point de vue épistémologique, le réel pré-existe au sujet, c'est le paradigme positiviste qui s'exprime pleinement dans ce champ (Le Moigne, 1995). On prône comme critère de scientificité une disjonction radicale entre le sujet et l'objet. On recherche l'objectivité. Dans ce type de contexte, la finalité de la science est le savoir pour le savoir.

Dans cette perspective il est paradoxal de développer une science de la pratique - une science de l'action ou pour l'action- où se mêle justement le sujet et son objet. Cela ne peut aboutir qu'à produire une mauvaise science ou une sous science ou encore une science appliquée. L'utilisation des données scientifiques à des fins pratiques prend le nom de technologie qui est considéré comme un produit dérivé de la science.

Au cours du XXème siècle à coté de ces sciences des objets, des nouvelles sciences ont émergé : science du traitement de l'information, science de la conception, science de l'organisation, sciences et techniques des activités physiques et sportives... Elles ont eu du mal à se construire dans le cadre de la science classique parce que délibérément leur situation est différente : "Il s'agit de concevoir une carte qui deviendra le territoire ". Ce sont les sciences des projets dont la finalité est l'action. Ces sciences ne se développent pas à partir du paradigme de la science classique mais à partir de ce qu'on appelle le paradigme constructiviste (Bachelard, Piaget, Le Moigne, Morin, Bateson...) : une perspective qui admet comme postulat de base que la réalité est le produit d'une relation entre l'objet et le sujet. Dans une perspective de type constructiviste, le discours dont la finalité est l'action est de type scientifique, mais pas au sens de la science classique. Le principe de scientificité repose alors sur la lisibilité de l'exercice de modélisation qui repose sur la capacité pour le modélisateur à expliciter ses présupposés, mais aussi sur la capacité du modèle à produire de l'action : sa projectivité (Le Moigne, 1990).

Le savoir d'action d'un point de vue scientifique est de deux ordres :
1. il est technologie, bricolage ingénieux, produit dérivé de la science classique,
2. il est science de la conception, un discours qui s'appuie sur les principes du constructivisme. Nous situons ici dans cette deuxième perspective. Il ne s'agit pas d'ignorer les résultats des sciences classiques mais de se poser fondamentalement la question de leur mobilisation d'une manière pertinente en fonction de la finalité de l'acteur en situation d'action.

Le savoir-faire n'est pas un savoir d'action parce qu'il n'est pas écrit. Le savoir scientifique n'est pas un savoir d'action parce que par construction sa finalité n'est pas l'action. En explicitant par écrit son savoir-faire, le praticien construit un savoir d'action. En utilisant des résultats scientifiques pour l'action, un praticien fait œuvre de technologie qui est savoir d'action. Pour notre part, nous considérons un savoir d'action en sciences de gestion comme un savoir à l'interface d'un savoir-faire et d'un savoir analytique. Celui-ci est possible parce que nous sommes capables de construire un modèle finalisé qui permet de donner du sens à l'articulation de ces deux types de savoir dans un contexte "hic et nunc" pour un projet donné, un acteur identifié. La finalité de ce savoir est l'action. Ce savoir prend la forme d'un écrit et il fait l'objet d'une double validation scientifique et pratique. Nous proposons d'illustrer un savoir d'action en gestion dans le cas de la mise en œuvre d'une stratégie nutritionniste pour une expédition polaire.




Le cas des expéditions polaires :
Introduction Conclusion
Vers une définition d'un savoir d'action en sciences de gestion Analyse des problèmes rencontrés
(l'enquête & les questionnaires)
Vers un modèle d'aide à la conception d'une stratégie nutritionniste L'expédition Transgroenland 70°


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