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L'expédition 2004 au Groenland à bord du Tara
" Journal Naturaliste " de l'expédition
par Olivier GILG




L'été 2004, Olivier GILG et Brigitte SABARD, accompagné de Caroline DRUESNE, Christian SCHWOEHRER, Jacques IOSET, Renaud SCHEIFFLER, Jean-Pierre WIEST et Maxime SCHREIBER (soit 8 membres du GREA au total), de 4 autres scientifiques français et danois, et de leur fils Vladimir (16 mois), ont dirigé la première expédition scientifique du voilier polaire " TARA 5 " d'Etienne BOURGOIS (ex " Antarctica " du Dr Jean-Louis Etienne et " Seamaster de Sir Peter Blake). Parti de son port d'attache de Camaret à la fin juin, " Tara 5 " a servi de plate-forme logistique à ces naturalistes et scientifiques le long de la côte Nord-Est du Groenland entre 68° et 81°15'N. L'expédition, organisée dans le plus grand Parc National de la planète (2 fois la superficie de la France), visait notamment à dresser un état des lieux écologique de cette région quasi vierge mais très fragile à l'aube des bouleversements écologiques attendus dans l'Arctique à moyen terme du fait du réchauffement climatique.

Au cours des 2 mois et demi qu'a duré cette expédition, les participants à cette expédition ont notamment cartographié et inventorié plus d'une centaine de sites de nidification d'oiseaux marins dont la plupart étaient jusqu'alors inconnus, documenté pour la première fois la présence ou la reproduction de certaines espèces animales et végétales, prélevé plusieurs centaines d'échantillons de plantes et d'animaux en vue d'analyses génétiques et éco-toxicologiques (accumulation des métaux lourds dans les réseaux trophiques) et également découvert et décrit de nombreux sites archéologiques paléo-eskimos vieux de plusieurs milliers d'années... Compte tenu de l'importance de cette "collecte", il faudra sans doute plusieurs années aux participants d' "ECOPOLRIS-TARA 2004" pour analyser et publier la totalité de ces résultats. Le petit "journal" reproduit ci-dessous, en plus de rappeler la chronologie et l'itinéraire de cette expédition unique, donne néanmoins déjà un premier aperçu du travail accompli et de l'importance de ces résultats.


8 juillet 2004

Départ de Constable Pynt en direction de la côte sud du Scoresby Sund (Volquart Boon Kyst)
Sur près de 40 km de côte (à l'Est de la longitude 23°W… l'intérieur du Fjord étant encore pris par les glaces), cartographie des colonies de Mergule nain (petit alcidé) dans les éboulis côtiers.
La population du Scoresby Sund, seul région où l'espèce se reproduit sur la côte Est du Groenland, a été grossièrement estimée à 5 millions d'individus en 1985 par des comptages en mer (au printemps lorsque les oiseaux se rassemblent dans les zones ouvertes avant de rejoindre les colonies). En 2004, le GREA et l'institut groenlandais de recherches environnementales (GERI) ont décidé de mettre à jour ces estimations par de nouveaux comptages (20 ans après les derniers). Le GREA se charge de cartographier la localisation et l'étendue des colonies entre 70-72°, le GERI se charge d'estimer les densités moyennes dans quelques colonies témoin, le rapprochement des deux résultats devant permettre d'obtenir une nouvelle estimation de la population.
L'espèce se reproduisant sous les rochers dans des éboulis, il est difficile d'en estimer les effectifs (contrairement aux mouettes tridactyles et guillemots par exemple).
Mais comme le Mergule nain est l'oiseau marin le plus abondant dans l'Atlantique Nord et qu'il ne niche que dans le haut-Arctique (Svalbard, Groenland, îles sibériennes), le suivi de l'évolution de son statut est particulièrement intéressant.
Les goélands bourgmestres et guillemots à miroir ont également été inventoriés de façon systématique dans le même secteur.
Parmi les autres espèces observées sur cette côte : l'eider à duvet, l'eider à tête grise, le grand corbeau, le bruant des neiges et la bernache nonnette (espèce qui n'était pas connue de la région mais que nous avons trouvé nicheuse).

9 juillet 2004

Nous avons poursuivis nos travaux sur le Mergule nain jusqu'au Cap Brewster (extrémité SE du Fjord du Scoresby Sund) où nous avons compté la plus grande colonie de Guillemot de Brünnich de la côte Est du Groenland. Bien que modeste (quelques milliers d'individus répartis en deux colonies) en comparaison par exemple avec la population du Svalbard (plusieurs centaines de milliers), la population Est-groenlandaise de cette espèce mérite que l'on s'y intéresse de près car elle est très localisée géographiquement et donc très sensible aux changements environnementaux locaux.
Cette colonie n'avait été inventoriée précisément qu'en 1974 (33000 individus) et en 1996 (13300). Nos comptages provisoires (recensement direct depuis le Tara) semblent indiquer que la population s'est stabilisée ces dix dernières années (après avoir perdu plus de la moitié de ses effectifs entre 1974 et 1996. Ces comptages seront affinés à notre retour en France par une analyse précise des 216 photos prises sur place (secteur par secteur).
Les mouettes tridactyles par contre, qui avaient connu une augmentation significative durant la même période (passant de 300 à 1000 couples) semblent avoir diminué depuis 10 ans (mais là encore, seul l'analyse ultérieure des photos prises sur place nous permettra d'annoncer un chiffre fiable.
A noter également l'observation de deux macareux moines (alcidé habituellement plus méridional nichant par exemple en Bretagne) dont un au moins devant un site de reproduction (cavité naturelle dans la falaise). L'espèce n'était connue pour l'instant (sans estimation d'effectifs) sur la côte Est que sur un autre site de reproduction (légèrement plus au Nord), 2e site que nous visiterons également avec le Tara d'ici quelques semaines.

Après le Cap Brewster, nous faisons cap au Sud le long de la côte de Blosseville, région très inhospitalières (succession de falaises, éboulis et glaciers) et particulièrement méconnue (les dernières données naturalistes, très fragmentaires, datant de 1930 et 1976 pour quelques sites les plus proches du Scoresby Sund).
Avant la " nuit ", nous inventorions encore l'archipel des îles Dunholm par 69°55'N.
Sur les 3 îles principales partiellement inventoriées en 1974, nous comptabilisons plus de 500 guillemots à miroir (en augmentation depuis 1974), 184 nids de mouettes tridactyles (en nette augmentation) et une dizaines de couples de goélands bourgmestres (en diminution).
Les îles abritent également une grande colonies d'Eider à duvet (probablement plus de 1000 nids), espèce pour laquelle le gouvernement groenlandais nous à chargé d'une mission de comptage spécifique (l'espèce étant chassée dans la région et devant prochainement faire l'objet d'un plan de gestion), une centaine de sternes arctiques, 7 couples de bernaches nonnette, 2 couples de fulmars et 1 couple de labbe parasite. Les 4 dernières espèces n'avaient pas encore été inventoriées sur ces îles.
Dernière observation remarquable, la nidification de 11 couples de goélands marins, espèce plus méridionale dont les populations les plus proches se reproduisant en Islande, à Jan Mayen et au sud-est du Groenland mais pour laquelle il s'agit là de la première preuve de nidification dans la partie Nord-Est du Groenland !

Dans le cadre du programme écotoxicologie :
- récoltes d'échantillons de plumes d'oiseaux (notamment bernaches nonettes) et prélèvements de duvet dans 15 nids d'Eider à duvet.
- récolte de 16 restes de coquilles d'œufs éclos d'eiders à duvet
- Prise de sang sur un poussin de goéland marin

Et pour clore cette longue journée, le premier ours blanc de l'expédition a également été observé sur une pente parsemée de névés au nord des îles inventoriées.

10 juillet 2004

Sur la pointe ouest de Steward Ø (Ø = île en Danois), une colonie " nouvelle " (encore jamais comptée ni décrite) de près de 120 couples de mouette tridactyle, 31 guillemots à miroir et 3 couples de goéland bourgmestre. A noter également la découverte dans la falaise surplombant cette colonie d'un nid de faucon gerfaut avec 3 jeunes âgés de 15 jours environ (le gerfaut est un gros faucon relativement rare et dont la forme entièrement blanche ne niche qu'au Groenland).

Sur les îlots situés au nord de la presqu'île de Manby, nous comptons également le même jour des colonies encore inconnues de harelde (une centaine d'individus), eider (plusieurs centaines de nids), goéland bourgmestre (2 couples), guillemot à miroir (4 individus), sterne arctique (plus de 1800 individus). Nous observerons également sur ce site 2 autres oiseaux d'eau rares dans la région (l'eider à tête grise et le harle huppé) ainsi que 4 couples nicheurs de bernache nonnette dans le fond de la baie.
En quittant la baie, nous observerons encore un grand groupe de près de 500 mâles d'eiders à duvet qui ont pour habitude de se rassembler pour muer à l'écart des colonies peu après le début de l'incubation des couvées par les femelles (le comptage des mâles en mue constitue ainsi un moyen alternatif au comptage des nids pour estimer localement la taille d'une population).

Poursuite du programme ecotoxicologie :
- récolte de duvet dans 22 nids d'Eider à duvet (échantillonnés sur des pontes de 1 à 8 œufs) et mesure de la longueur des œufs (pour déterminer si le taux de contamination individuel des femelles d'eider a un impact sur la taille des pontes ou des œufs) ;
- récoltes de 30 plumes de bernaches nonettes ;
- récolte de plumes sur 10 autres nids d'Eider (échantillon aléatoire) pour l'étude latitudinale.

11 juillet 2004

Aux environs du Cap Dalton, nous poursuivons nos inventaires ornithologiques, mammalogiques et botaniques de part et d'autre de la baie. Si l'équipage (pour le plaisir de tous) s'est aujourd'hui surtout intéressé aux ombles arctiques (petits saumons) du lac situé à 1 km du mouillage, les biologistes eux ont noté la présence au même endroit (en plus des traditionnels plongeons imbrins et catmarins) du plongeon arctique, un oiseau d'eau dont il ne s'agit que de la 2e observation Groenlandaise et de la première sur la côte Est !
Mais les ombles n'ont pas uniquement été servies à table. Dans le cadre du programme ecotoxicologique, nous avons également prélevé un morceau de muscles sur 13 ombles afin d'en étudier la contamination par certains métaux lourds.

12 juillet 2004

Knighton Fjord : après une première exploration de la côte Est du Fjord où nous observons encore des bernaches nonnettes (il s'agit là de la nouvelle limite sud de leur aire de distribution) et plusieurs bécasseaux violets (espèce côtière pour laquelle il n'existe que de rare cas de reproduction certaine dans le NE du Groenland mais que nous avons rencontré presque à chaque escale sur la côte de Blosseville), nous visitons les sources d'eau chaude et leur végétation luxuriante sur la côte Ouest du Fjord. Il s'agit là du plus beau " jardin botanique " que l'on puisse imaginer dans cette région inhospitalière. Des tapis d'alchemille, de saule et même d'orchidées colonisent les abords des sources qui sortent à 53°C de la roche basaltique. Deux espèces végétales trouvent là leur unique station groenlandaise : une petite fougère primitive (Ophioglossum azoricum) et une benoîte (Geum rivale). En tout (entre le 10 au 13 juillet et sur un degré de latitude (68°53'-69°53'N), nous aurons réalisé 6 inventaires botaniques sur la côte de Blosseville (5 dans des zones encore non inventoriées). Ces inventaires comprennent chacun 45 à 60 espèces de plantes vasculaires (une centaine d'espèces différentes lorsque les inventaires sont compilés). Parmi les découvertes les plus intéressantes (stations nouvelles, habitats nouveaux, nouvelles limites nord ou sud…), citons : Alchemilla glomerulans, Armeria maritima, Bartsia alpina, Botrichium lunaria, Diapensia lapponica, Diphasium alpinum, Gentiana nivalis, Hieracium alpinum, Koenigia islandica, Phyllodoce coerulea, Pinguicularis vulgaris, Pyrola minor, Saxifraga paniculata, Veronica fruticans, Viscaria alpina…
A noter également la découverte d'un ancien bois de renne, espèce qui a disparu de la côte NE il y a près d'un siècle (raison inconnue) mais dont la présence ancienne n'avait peut être jamais été attestée aussi loin au sud de la côte de Blosseville… une des nombreuses questions à vérifier à notre retour dans la bibliographie !

13 juillet 2004

Nous descendons encore au SO jusqu'à rencontrer la zone de banquise résiduelle indiquée sur les photos satellite (un peu après 27° Lat. W) envoyée de France tous les deux jours. En route un ours (le deuxième du voyage) vient visiter le Tara (à quelques mètres seulement !) et plusieurs colonies (connues et nouvelles) de guillemot à miroir sont comptées. En remontant au nord en direction du Scoresby Sund, nous faisons encore une escale au sud du Cap Beaupré où nous découvrons notamment les traces de lemming (petit rongeur Arctique) les plus méridionales jamais observées au Groenland. Peu avant minuit, dernier arrêt dans la baie d'Aunay où en plus de quelques mouettes ivoires provenant sans doute de colonies encore inconnues (mais dont la reproduction est suspectées dans la région sur quelques Nunataks à plusieurs dizaines de km à l'intérieur de l'Inlandsis), de près d'un millier d'eiders à duvet (males en mue) et de quelques eiders à tête grise (dont la reproduction n'a jamais été mentionnée à cette latitude).

14 juillet 2004

Remontée vers Scoresby Sund dans le brouillard… peu d'observations.

15 juillet 2004

Direction Ouest vers l'intérieur du Scoresby Sund où nous comptons explorer la première zone de Toundra typique (végétation plus dense que sur la côte de Blosseville) durant la " nuit " sur la Terre de Jameson.

15-16 juillet

Relevés ornithologiques sur la Terre de Jameson (côte Nord du Fjord de Scoresby).
Nous visitons deux zones de Toundra (l'une côtière, l'autre à 10 km de la côte), afin d'évaluer les éventuels changements intervenus dans la région depuis la fin des années 1980 (date à laquelle ces deux zones ont été précisément inventoriées pour la dernière fois).
Deux espèces de limicoles (petits échassiers) nous intéressent plus particulièrement. Il s'agit d'espèces plus méridionales venus coloniser la région depuis l'Islande dans les années 1960-70 et pour lesquelles c'est l'unique zone de reproduction au Groenland. Le courlis corlieu est toujours présent dans l'une des zones et pourrait même être en légère augmentation.
Le Pluvier doré, qui n'avait pas été mentionné dans ces deux zones il y a 20 ans y est aujourd'hui présent et semble donc poursuivre sa colonisation.
Le phalarope à bec étroit, jadis rare, semble également être en augmentation puisque nous l'observons à plusieurs reprises.
Pour terminer la liste de ces espèces plus méridionales (nichant en Islande) qui semblent en augmentation au NE Groenland, citons encore le cygne sauvage (observé le 8 juillet à Constable Pynt) et l'oie cendrée (observée le 16 sur la Terre de Jameson), espèces pour lesquelles il n'existait à ce jour que 9 et 4 observations respectivement (si l'on fait abstraction de deux autres observations récentes mais inédites d'oie cendré réalisées lors de précédentes missions Ecopolaris).
Nous découvrons également sur la Terre de Jameson une colonie de 34 couples d'oie à bec court sur de petites falaises. Les nids sont déjà désertés (éclosion à la fin du mois de juin) mais nous pouvons encore prélever du duvet dans chacun des nids pour des analyses éco-toxicologiques. La comparaison sera particulièrement intéressante avec les duvets prélevés ailleurs dans des nids d'eiders puisque la première espèce se nourrit à terre (de plantes) et la deuxième en mer (principalement de coquillages dans la région). Ces analyses nous informeront donc sur les différences de taux d'accumulation des métaux lourds dans ces différentes chaînes alimentaires.
En quittant la zone, nous découvrons également une nouvelle colonie de Mouette de Sabine…

17-19 juillet

Plus à l'ouest dans le Fjord du Scoresby, nous inventorions plus d'une trentaine de colonies d'oiseaux marins, principalement des Eiders à duvet, goélands bourgmestres et Sternes arctiques. Certaines de ces colonies sont connues et ont déjà été inventoriées par le passé. Les comptages réalisés par la mission Tara-Ecopolaris nous permettront donc d'évaluer l'évolution récente des effectifs de ces espèces dans la région. D'autres étaient pour l'instant inconnues et les comptages de cette année nous permettront dans ce cas d'évaluer leur évolution à l'avenir suite à de nouveaux comptages.
A noter de nombreuses observations de harle huppé, un canard marin peu abondant au Groenland mais pour qui l'intérieur du Fjord du Scoresby est connu depuis longtemps comme étant une zone de reproduction privilégiée.
Le goéland marin que nous avions rencontré en début de voyage sur la côte de Blosseville (premières preuves de reproduction pour le NE du Groenland !) a également été observé à plusieurs reprises (seul ou en couples) dans les colonies inventoriées du 17 au 19 juillet. Aucune preuve de nidification formelle n'a pu être obtenue mais le fait que certains de ces oiseaux défendaient activement un territoire semble indiquer que ces oiseaux étaient (ou seront dans un avenir proche…) également nicheurs dans la région. La présence de cette nouvelle espèce pourrait bien être à l'origine de la diminution des effectifs de sternes et d'eiders constatée sur certaines colonies.
Le 18 juillet, nous avons été au fond du Nordwest Fjord, partie la plus continentale du Fjord de Scoresby (à près de 300 km de la côte !) et la plus méridionale du Parc National du Nord-Est du Groenland que nous pénétrons pour la première fois du voyage. Les paysages y sont désertiques (glaciers et falaises comme sur la côte de Blosseville mais avec la sécheresse en plus) mais l'une des rares vallées accessible (le Frederikdal) est inféodée de bœufs musqués (plus d'une 50aine d'adultes accompagnés de 11 jeunes de l'année sur les premiers km prospectés).
Nous profitons également de cette visite dans l'une des zones les moins bien connues du Parc national pour réaliser un inventaire botanique et prélever certains échantillons de plantes pour analyses génétiques en collaboration avec des universités norvégiennes (Tromso) et suisses (Bâle). Ces analyses (voire détails dans projet scientifique) visent à évaluer la variabilité génétique de certaines espèces " témoin " dans différentes régions de l'Arctique. A partir de ces analyses, il sera possible d'estimer la vitesse de migration de ces espèces dans l'Arctique depuis la fin de la dernière glaciation (il y a environ 15000 ans). D'intéressantes hypothèses pourront ensuite être élaborées pour l'avenir : les espèces à migration rapide devraient être moins sensibles à un éventuel réchauffement climatique que les espèces à migration lente qui ne pourront s'adapter à ces nouvelles conditions de vie et devront donc faire face à un risque accru d'extinction dans certaines régions…
Pour l'anecdote, nous avons également observé aujourd'hui notre première coccinelle ! (en fait un adulte et une larve) L'espèce était connue de la région mais est apparemment si rare que nous n'avions encore jamais eu la chance de l'observer en près de 15 ans d'expéditions dans le Parc National.

20 juillet

Après une nuit passée à Charcot Havn (petite baie ou Charcot avait réalisé une partie de ces campagnes dans les années 1930), retour sur la côte de Volquart Boon (côte sud du Fjord de Scoresby) pour terminer la cartographie des colonies de mergule nain entamée le premier jour de l'expédition mais que nous n'avions pu poursuivre à l'ouest de la longitude 23°, arrêtés par de grosses plaques de banquise de Fjord.
Ces inventaires, réalisés depuis le pont avant du Tara, nous mobilisent toute la journée et même une partie de la nuit (après un interlude " soirée déguisée "). Au total, les colonies de mergules auront été inventoriées sur plus de 130 km (et couvrent sur cette côte une surface de plus de 75 km2). Ces informations, ainsi que toutes les données collectées sur les eiders à duvet et les mouettes tridactyles seront utilisées dans un avenir très proches par les autorités groenlandaises (ministère de l'environnement) qui préparent actuellement un " plan de gestion " détaillé pour certaines espèces animales de la région (ressources utilisées par les chasseurs du petit village de Scoresby Sund).

21-23 juillet

Journée de transition à Constable Pynt où nous changeons une partie des membres de l'expédition (4 départs pour une arrivée). Prélèvement (pour étude ADN par l'Université de Zurich) d'une espèce très rare de primevère à petites fleurs roses que nous avions identifiée et localisée le 7 juillet en prévision de cette nouvelle visite (pour pouvoir prélever la plante ultérieurement avec ses fruits).
Sur notre route vers la côte de Liverpool Land (côte extérieure entre 70 et 72°N), objectif des quelques jours à venir), nous repassons en soirée pour une courte escale dans le village de Scoresby Sund. Malgré des conditions météo instables, nous décidons de reprendre notre route au Nord vers l'île de Raffle mais ne pourrons y trouver un mouillage assez stable et devrons poursuivre dans la nuit jusqu'à l'île de Rathborne.
Le lendemain, vent fort (35-40 Nœuds) rendant impossible les " comptages photos " qui étaient prévus sur les colonies de guillemot de Brünnich et mouette tridactyle connues sur ces deux îles.
Ces comptages pourront finalement avoir lieu le 23 juillet et nous permettront après analyse d'évaluer l'évolution de ces deux espèces depuis les années 1970. Les premières estimations semblent indiquer une augmentation pour certaines espèces (pétrel fulmar par exemple) et une diminution pour d'autres (probablement le cas pour le guillemot de Brünnich). A noter également l'observation sur l'île de Raffle d'un macareux moine quittant la falaise. Cette île était l'unique site de reproduction connu pour l'espèce au Groenland (depuis 1973) jusqu'à ce que nous observions également l'espèce au Cap Brewster en début de campagne. Le fait que l'espèce soit toujours présente sur ce site 30 ans après sa découverte est une information très intéressante.
A noter également en tout début de journée une observation de baleine du Groenland mais le temps de lever l'ancre, mettre les moteurs en route et rejoindre la zone d'observation, la baleine a disparue. Cette espèce que l'on pensait jusqu'à récemment éteinte dans le Nord-Est de l'Atlantique Nord (zone Groenland-Svalbard) est l'un des mammifères marins les plus rares de la planète. Depuis quelques années, elle est à nouveau observée sur la côte NE du Groenland, où les baleiniers comme le célèbre capitaine écossais William Scoresby junior l'ont pourchassée jusque dans les années 1820. L'un des objectifs de la mission Tara-Ecopolaris est de prélever de petits échantillons de peau (biopsies) de cette baleine à l'aide d'une arbalète et de flèches spécialement conçues pour l'occasion. L'analyse de l'ADN de ces baleines nous permettrait de déterminer l'origine de cette réapparition soudaine (baleines provenant des populations de l'Est canadien ou baleines " relictuelles " de la population Groenland-Svalbard que l'on croyait éteinte).
Espéreront que nous aurons d'autres occasions de réaliser cet objectif mené en collaboration avec un institut norvégien…

24-25 juillet

Remontée de la côte de Liverpool Land pour poursuivre notre cartographie des colonies de Mergule nain et comptages de goéland bourgmestre et guillemot à miroir. De nombreuses baies et petits fjords étant encore pris par les glaces, nous devons limiter nos travaux aux caps et zones côtières libres de glaces (et de brouillard !). Malgré ces problèmes liés à un environnement difficile et imprévisible (si cette partie du Groenland est aussi mal connue, c'est en grande partie pour ces raisons !), nous parvenons à étudier la plupart des caps et îles importantes et qui pour la plupart portent des noms écossais (côte cartographiée par le baleinier Scoresby). Du sud au Nord, nous avons ainsi longé et inventorié les colonies du Cap Hoeg, de l'île de Janus (ou nous passerons la nuit), du Cap Greg, du Storefjord (ou nous irons à terre pour réaliser un inventaire botanique aux environs de sources d'eau chaude), Cap Tophan, Cap Hawitt, Cap Godfrey Hansen, Cap Isikajia, Ile de Reynolds (où nous observons les plus grosses concentrations de mergule du séjour avec des vols de plusieurs dizaines de milliers d'individus), Ile de Murray (où nous observons notre premier phoque du Groenland, une espèce qui ne rentre que rarement à l'intérieur des Fjords), Cap Wardlaw, Cap Brown, Cap Biot, etc.
Une information intéressante obtenue à l'issue de cette remontée est la limite Nord pour la reproduction du mergule sur l'île de Murray. L'espèce est encore très abondante sur cette île mais totalement absente sur le cap suivant (Wardlaw). A noter également que d'importants groupes de mergules se nourrissent jusqu'à 100 km de leurs colonies (par 23°25'W dans le Fjord du Roi Oscar) et peut être même plus loin (nous confirmerons ça lorsque nous irons plus à l'ouest dans le Fjord après le 3 août).

26 juillet

Après avoir inventorié une dernière colonie de sterne (et réalisé de nouveaux prélèvements botaniques) en tout début de journée (entre 0h et 2h du matin), nous mouillons près des îles de " Arch " pour être abrités des forts vents du Nord annoncés pour les heures à venir. En matinée, nous rejoignons la base militaire de Mestersvig pour officialiser l'entrée du Tara dans le parc national (première zone habitée du parc… par deux militaires des patrouilles Sirius que nous invitons à bord pour déjeuner), le plus grand au monde (surface voisine de 2 fois celle de la France !).
Brigitte, Olivier et Vladimir resteront là pour les prochains jours alors que le Tara et son équipage rejoindra l'Islande pour un ravitaillement et une rotation d'une partie des participants. Leur départ est prévu demain matin au plus tard. Ils ne seront pas de retour avant le 2 août au soir…

26 juillet - 2 août

Brigitte et Olivier poursuivent une partie des travaux scientifiques autour de Mestersvig en attendant le retour de Tara parti en Islande pour une rotation.
- poursuite des inventaires naturalistes dans une région très bien connue par le GREA (plus de 20 expéditions dans le secteur depuis 1979). L'intérêt de ces inventaires étant de documenter les éventuels changements à long terme de la distribution et de l'abondance des espèces terrestres (notamment des oiseaux) ;
- évaluer le stade actuel du cycle des lemming dans cette région, ainsi que le succès de reproduction des prédateurs (qui s'en nourrissent) et des autres espèces terrestres (qui sont les proies de substitution des prédateurs lorsque les lemmings sont rares). La situation déjà observée dans le Scoresby Sund se confirme (et sera encore confirmée plus au Nord durant les semaines suivantes), les lemmings sont en augmentation partout ou presque entre 70 et 75°N (phase de croissance) et il est fort probable que l'année prochaine (2005) soit pour eux une année de " pic " ;
- poursuite des prélèvements de plumes et duvet pour l'étude écotoxicologique (l'accent étant mis sur le prélèvement de duvet dans une colonie d'oies à bec court à l'intérieur des terres et de duvet d'eider sur de petites colonies insulaires ;
- inventaires des oiseaux marins sur plusieurs petites îles dans le Fjord du Roi Oscar

A noter également (c'est presque une tradition à Mestersvig) que nous profitons de chaque passage dans cette base pour donner un coup de main aux deux membres danois de la patrouille militaire " Sirius " responsable de l'entretien de cette base et de la piste d'atterrissage qui s'y trouve. Habituellement nous remettons une couche de peinture sur l'un des nombreux bâtiments. Cette année se sera la réfection de la piste (1800 m de long) à l'aide d'une grosse dameuse de chantier !

3-10 août

Avec la nouvelle équipe fraîchement débarquée d'Islande, nous consacrons cette semaine à l'exploration de la région des Fjords, également connue sous le nom de " Riviera Arctique " (son ensoleillement étant habituellement très élevé).
Nous poursuivons dans cette région les 4 objectifs au programme de la semaine précédente à Mestersvig avec en plus quelques relevés botaniques complémentaires pour les études génétiques menées en collaboration avec les Universités Norvégiennes et Suisses.
A noter :
- la découverte de quelques couples de guillemots à miroir sur la côte extérieure de l'île de Traill (l'espèce n'était pas connue jusqu'alors entre 72 et 74°15'N où nous l'avions découverte en 1999)
- la découverte très intéressante d'une nouvelle station de Gentiane " detonsa " dans le Nordfjord. Cette espèce très rare n'est connue au Groenland que dans de 3 stations (Baie de Disko sur la côte ouest, petite zone dans le sud du Groenland et dans la région du Scoresby Sund). Après avoir découvert une nouvelle station sur l'île d'Ymer il y a quelques années (station que nous visitons le 7 août pour prélever quelques échantillons à des fins génétiques), la découverte de cette nouvelle station dans le Nordfjord, en plus d'être la station connue la plus septentrionale, confirme que la région des Fjords est bien un 4e " refuge " pour cette espèce au Groenland.
- La découverte de deux nouvelle stations d'une petite fougère rare et primitive (la Botriche lunaire) sur l'île d'Ymer et sur la presqu'île de Gauss (respectivement à 73°05' et 73°18') est également des plus surprenante puisque l'espèce n'avais jamais été citée au Nord de 72°34' soit à plus de 80 km plus au Sud. Cette espèce ayant des graines très légères pouvant facilement être transportées par le vent à grandes distances (et l'une des stations se trouvant sur un site archéologique déjà visité à plusieurs reprises par des expéditions scientifiques), il est probable que ces deux nouvelles stations reflètent une extension réelle de l'aire de distribution de cette espèce vers le Nord plutôt qu'un manque de prospection des botanistes par le passé (cette région étant sans nul doute la mieux connue de toute la côte NE du Groenland).
Cette semaine aura également été marquée par une prospection géologique menée par deux géologues français des Universités de Brest et du Mans. Leur centre d'intérêt étant les roches sédimentaires associées aux formations basaltiques, ils ont principalement étudié les formations de l'Est de l'île de Traill, du Vega Sound, de Gauss Halvo et de Hold with Hope.
Le 10 août, peu avant le retour du bateau à Constable Pynt pour une nouvelle (et dernière rotation), nous faisons escale sur l'île de Bontekoe. Située à une 30 aine de km au large des côtes Groenlandaises, elle ne fut que très rarement visitée par des biologistes depuis la fin de la chasse à la baleine au début du 19e siècle (elle était alors un repère bien connu des différentes flottilles). Un inventaire botanique complet y est réalisé. L'observation de plusieurs bécasseaux violets nous confirme que cette espèce, considérée comme très rare dans la région, est en fait simplement confinée à la côte extérieure de la région, difficile d'accès et donc très peu connue. Le détour nous permettra également d'observé un ours blanc, le 3e de l'expédition, " perdu " sur la dernière grande plaque de banquise rencontrée depuis début août (la banquise étant son habitat privilégié et sa seule chance de capturer des phoques). Tout le monde à bord était intrigué par cette île " mystérieuse " et avait hâte d'aller la visiter. Cette belle observation d'ours la rendra inoubliable pour tous. Les falaises du nord de l'île dans lesquelles nous espérions trouver une nouvelle colonie d'oiseaux marins sont restées désespérément vides mais l'absence d'une espèce est également une donnée intéressante puisque dans le cas d'une colonisation future de cette île, cette information nous permettra de préciser la date exacte d'une telle colonisation.

11-15 août

Une fois de plus, Brigitte, Olivier et Vladimir sont déposés à terre (à Myggbukta : " la baie des moustiques " !) alors que le Tara redescend à Constable Pynt pour la dernière rotation.
En plus des désormais traditionnels prélèvements botaniques (pour analyses génétiques), ces quelques jours sont mis à profit pour l'observation d'oiseaux rares pour la région ; le site étant une baie côtière mais bien abritée située sur l'axe migratoire de la plupart des espèces nichant dans la région.
La quasi-totalité des espèces de limicoles (petits échassiers typiques des régions de Toundra) de la région y seront observées durant ces quelques jours, y compris certains en grands nombres (plusieurs centaines de bécasseaux sanderlings observés quotidiennement dans un petit estuaire). La découverte de deux couples nicheurs de chouettes harfang (ou chouette des neiges) confirme la bonne santé des populations de lemmings en 2004 et l'observation de nombreux jeunes bœufs musqués dans les différentes hardes rencontrées indique un printemps particulièrement clément pour eux (pas trop de neige et surtout pas de fontes et regels successifs, conditions qui entraînent le recouvrement de la végétation par une croûte de glace et qui empêchent alors les bœufs de se nourrir convenablement).
Parmi les oiseaux rares particulièrement recherchés sur ce site, nous avons eu la chance d'observer un goéland marin (espèce considérée jusqu'à présent comme accidentelle dans la région mais pour laquelle nous avons découvert plusieurs couples nicheurs sur la côte de Blosseville début juillet), un goéland à ailes blanches (espèce nichant beaucoup plus au sud dans la région d'Ammassaliik et qui n'a été observé pour l'instant qu'à de très rares reprises dans le parc national), un pipit farlouse (petit passereaux dont nous avons documenté plus au sud en 1995 le premier cas de nidification connu dans le parc national et qui semble donc poursuivre sa colonisation vers le nord : il ne s'agit que de la deuxième observation connue au nord Fjord du Roi Oscar, l'unique observation précédente ayant eu lieu non loin de là en1964 !) et les restes d'un râle des genêts (1ère observation de tous les temps pour la côte nord-est et 2e pour l'ensemble du Groenland depuis 1966).
Mais l'observation la plus intéressante de cette période restera sans aucun doute celle d'un couple de goélands bruns se reproduisant au milieu d'une colonie de sterne et d'eiders.
Comme le goéland marin que nous avons découvert " nicheur " pour la première fois cette année (voir notes du 9 juillet), le goéland brun est une espèce plus méridionale. Son arrivée récente sur la côte NE du Groenland (le premier cas de reproduction a été documenté en 2003 à Daneborg -100 km plus au Nord- et notre découverte constitue la deuxième preuve de reproduction de l'espèce au Groenland) traduit une extension importante de son aide de distribution mondiale. Deux principales hypothèses permettent d'expliquer de telles extensions : une augmentation des populations se trouvant à proximité (Islande et Jan Mayen) ou une modification favorable de l'habitat pour l'espèce (par exemple réchauffement climatique au Groenland). Il s'agit donc d'une nouvelle espèce indicatrice des effets possibles du réchauffement climatique dans la région et une attention toute particulière devra donc lui être consacrée à l'avenir.

16-18 août

Dès le retour du Tara, nous mettons route plein Nord avec comme principal objectif l'exploration de la région côtière entre 74°30' et 77° Nord.
Kaj Kampp (ornithologue d'exception, fin connaisseur du Groenland et entre autre éditeur depuis de longues années de la revue ornithologique danoise " DOFT ") et Claus Andreasen (archéologue de renom, spécialiste des peuples groenlandais et actuellement conservateur du " Greenland National Museum and Archives " à Nuuk) ainsi que deux -membres du GREA (Jean-Pierre et Maxime) nous ont rejoints pour cette dernière partie qui en plus des programmes biologiques et environnementaux va donc également s'enrichir d'une dimension historique (les deux volets n'étant d'ailleurs pas déconnectés puisque la présence de ressources naturelles importantes explique bien souvent la présence de sites archéologiques alors que les découvertes archéologiques permettent d'attester la présence ancienne de certaines espèces par l'analyse des restes d'os ou d'ivoire).
Dès le premier jour (16/8), nous faisons d'intéressantes découvertes. Sur l'île d'Arundel, nous découvrons une importante colonie de Sternes arctiques, eiders et Mouettes de Sabine ainsi que plusieurs " cercles de tentes " (assemblements caractéristiques de pierres utilisées pour consolider les tentes des Eskimos) dont un au moins date le l'époque préhistorique " Independence II " et est vieux de près de 2500 ans. Aucune trace de cette civilisation n'avait pour l'instant été découverte si loin au Sud au Groenland (cette civilisation étant surtout connue de l'extrême Nord et NE du Groenland).
Le deuxième jour (17/8) est pour nous l'occasion de revisiter l'" île aux morses ", une île d'où les morses ont disparu depuis longtemps (victimes des baleiniers, phoquiers et autres explorateurs depuis la fin du 19e siècle). Nous y avions découvert en 1999 une nouvelle colonie de mouette tridactyle. L'espèce n'est pas rare dans l'atlantique Nord mais il s'agit là de l'une des deux seules colonies connues entre 71 et 80° N (soit sur 1000 km de côte). Nos comptages confirment que cette petite population est en pleine augmentation, ce qui, comme dans le cas du goéland brun (voir dernier chapitre de la note 11-15 août), indique que certains processus purement démographiques ou peut être environnementaux sont en cours…
Pour notre archéologue aussi l'île réserve de bonnes surprises comme le laissait supposer les mentions de " plusieurs centaines de vestiges archéologiques " faite par de précédents explorateurs (Koldewey en 1874, Nathorst en 1900, Larsen en 1932, Johnson en 1926). L'île qui n'avait jamais été visitée par un archéologue est un vrai paradis historique puisque que cette richesse, en plus d'être quantitative, est également qualitative : trois cultures distinctes sont présentes (la culture de " Thulé " vielle de quelques siècles, la culture " Indépendance II " ou " Dorset " vieille de près de 2500 ans et la culture " Indépendance I " ou " pré-Dorset " vieille de plus de 4000 ans).
En milieu de journée, un jeune ours (notre 4e !) vient à la nage rendre visite au Tara sans doute attiré par les odeurs du déjeuner. Après avoir inspecté tous les flancs du bateau à la recherche de la moindre aspérité qui lui aurait permis de se hisser à bord (l'ancre l'intéresse particulièrement et il l'inspecte minutieusement malgré la proximité du zodiac), il repart vers la côte où nous aurons tout loisir de l'observer et de le photographier.
On ne gagne pas à tous les coups ! L'exploration de la côte Est de la grande île de Shannon (le 18/8) est assez décevante. Malgré l'observation de plusieurs milliers d'oiseaux marins au Cap Pansch, aucune colonie significative n'est découverte contrairement à ce que suggéraient certains écrits des années 1930. Pour l'archéologie aussi le site est décevant. Nous serons néanmoins tous ravis par la visite de la hutte " Alabama ", nom du bateau danois qui laissa là en 1909 Ejnar Mikkelsen et Iver Iversen afin de retrouver les précieux carnets de note de l'expédition tragique du célèbre explorateur et cartographe danois Mylius Erichsen. Après un premier hivernage planifié, ils manquèrent le rendez-vous du retour l'été suivant et durent hiverner une seconde fois. Ce n'est qu'après un troisième hivernage dans des conditions de survies dignes de celles des équipiers de l'" Endurance " de Schakelton en Antarctique qu'ils furent récupérés par hasard par un phoquier en billebaude en 1912 alors que tout le monde les croyaient perdus. La visite de cette hutte construite à l'aide de planches prélevées du bateau " Alabama " et de ses environs parsemés d'objets d'époque (pièces de bateau, instruments de mesure en bronze presque intactes, douilles danoises datées de 1905, pièces en bois d'un jeu d'échec…) est un moment émouvant pour ceux qui connaissent l'histoire… ce qui est notre cas car Ejnar Mikkelsen dans son récit d'exploration nous a transmis d'importantes données naturalistes sur les espèces animales qui fréquentaient cette région il y a un siècle. Sur la même côte fut établie une station météorologique allemande secrète durant la deuxième guerre mondiale. Les allemands ayant hiverné dans une congère (sans construction en dur), les vestiges de cette seconde expédition sont plus discrets mais nous en verrons néanmoins quelques uns comme cette tombe improvisée du seul nazi " mort sur le front " au Groenland (il y eu également un mort côté danois lors de cette " guerre météorologique "). La veille déjà nous avions brièvement visité le site d'hivernage du bateau de l'expédition allemande de Koldewey la " Hansa " qui il y a un siècle avait également du faire un hivernage forcé sur l'île de Sabine, quelques 90 km plus au sud.

19-21 août

Après avoir exploré la côte extérieure, nous rentrons par le sud dans la " baie des pigeons " (Dove Bugt).
Quatre principaux objectifs y sont planifiés :
- poursuivre la cartographie et la description des sites archéologiques ;
- inventaire des colonies d'oiseaux marins sur les nombreuses îles dont la baie est parsemée ;
- comptages des morses sur 3 des 4 uniques sites de repos (" haul-out sites ") connus pour les mâles de l'espèce sur l'ensemble de la côte Est du Groenland (2 de ces sites n'ayant été découverts que l'an passé par le GREA il est important de confirmer l'utilisation régulière de ces sites par cette espèce qui reste extrêmement rare dans le NE de l'Atlantique) ;
- prélèvements complémentaires de duvet d'eider à la station météorologique de Danmarkshavn où l'espèce niche en nombre au milieu de quelques chiens de traîneau tenus en laisse tout l'été (les eiders sont ainsi à l'abri de la prédation des renard, trop effrayés par la présence des chiens).
Tous ces objectifs seront menés avec succès, les résultats dépassant même très largement nos espérances :
- près d'une vingtaine de sites archéologiques seront visités et cartographiés (dont une dizaine de sites jusqu'alors inconnus) ;
- plusieurs dizaines de colonies d'oiseaux marins (sternes, goélands, mouettes, eiders…) seront inventoriées. La plupart sont également de " nouvelles " colonies c'est à dire qu'elles n'étaient pas connues jusqu'alors.
- les morses, bien que relativement peu nombreux cette année, étaient bien présents sur les trois sites de repos visités (sans parler de plusieurs observations de morse se nourrissant ailleurs dans la baie). La plupart d'entre eux ont pu être photographiés en gros plan ce qui permettra à notre collaborateur danois pour ce programme de les reconnaître individuellement grâce à une base de données photographique. En effet chaque morse à des défenses de forme légèrement différente, des dents parfois cassées ou striées de façon particulière, des cicatrices caractéristiques… Nous avons également pu localiser 2 mâles qui avaient par le passé été équipés de balises satellite. Ils portent encore les marques de fixation de ces balises ainsi qu'un tag rouge sur l'une de leur nageoire. L'un des deux nous est connu : il s'agit de "Ron", âge approximatif 19 ans, qui pesait déjà 1250 kg en 2001 et que nous avions déjà observé dans la baie l'été dernier ;
- du duvet d'eider est prélevé dans plus de 20 nids à Danmarshavn. Nous disposons donc désormais pour notre analyse écotoxicologique (contamination d'une espèce prédatrice marine par les métaux lourds le long d'un transect latitudinal) de 7 lots de duvets d'eider prélevés à différentes latitudes entre 69 et 77°N.

22-28 août

Compte tenu de la glace encore présente cette année sur la côte entre 77 et 80°N, nous devons contourner par l'Est cette banquise pour tenter de rejoindre la polynie du NE (approximativement entre 80°30' et 81°) et plus précisément les 3 îles de Henrik Kroyer Holme. Après près de deux jours de navigation, nous sommes bloqués par des plaques fragmentées mais qui sont agglomérées à plus de 10 NM des îles. Nous faisons demi tour et tentons alors de contourner la dernière plaque pour rejoindre la côte NE de Kronprins Christian Land (par 81°35'N) mais les nouvelles cartes de glace semblent indiquer que nous n'aurons pas plus de chance dans ce secteur. Nous décidons donc de refaire route au sud.
Ces 5 journées passées au large et dans la banquise n'auront pas été perdus puisque tout au long de la traversée nous réalisons des observations et inventaires d'oiseaux marins et de mammifères marins. Nous avons notamment pu observer nos 5 et 6e ours (toutes les personnes embarquées sur le Tara depuis début juillet aurons donc eu la chance d'en voir au moins un !), de nombreuses femelles de morses au repos sur la banquise vers 81°N (les femelles estivent habituellement bien plus au Nord que les mâles observés au sud de 77°N), 4 espèces différentes de phoques (dont le phoque à capuchon que nous n'avions pas observé jusqu'alors), de grosses densités de mergules (qui n'étaient pas connus dans ce secteur avant le 15 août et qui traduisent sans doute l'arrivée d'une partie de la population la plus proche du Svalbard dans cette zone après la fin de leur saison de reproduction) et enfin de nombreuses mouettes ivoires (adultes et jeunes) et mouettes de Ross. Cette dernière espèce qui niche en plein cœur de la Sibérie arctique (région inaccessible jusqu'à récemment) et qui hiverne ensuite dans le haut Arctique en limite de banquise est l'un des oiseaux les plus difficiles à observer de la planète. Deux études précédentes indiquaient qu'une grande partie de la population mondiale de cette espèce se rassemblait en fin d'été en limite des zones de banquise permanente entre le Svalbard et le Groenland. Nous confirmons donc par nos propres observations qu'il s'agit bien d'une zone de gagnage régulière pour cette espèce emblématique en cette saison et que les observations précédentes n'étaient pas simplement dues à des conditions favorables (climat, banquise, nourriture) passagères.

29 août

Nous remettons enfin pieds à terre après une semaine complète passée à jouer à cache cache avec la banquise (une partie que nous avons d'ailleurs plutôt perdue, malgré certaines observations intéressantes et des ambiances féeriques). Notre escale du jour se trouve au sud de l'île de Sabine où nous étions déjà passé à la " montée " vers le Nord. Cette fois ci nous visitons l'ouest du Fjord où sont encore rencontrées de nombreuses mouettes tridactyles (sans doute celles recensées le 17/8 sur l' " île des morses ") et où sont rassemblés plusieurs centaines de bruants des neiges en halte migratoire (nous les reverrons en mer en migration active le lendemain matin à notre départ). A noter également l'observation de 2 jeunes lemmings sur l'une des îles (totalement désertique !) de la baie et la découverte de plusieurs nouveaux sites archéologiques.

30 août

Départ matinal en compagnie des dernières mouettes ivoire du voyage (compte tenu de la latitude, elles sont déjà en migration vers le Cap Farewell qu'elle contourneront pour aller hiverner au NW du Groenland avec leurs cousines canadiennes) en direction de la base militaire de Daneborg (Patrouilles " Sirius "). Après une rapide visite des lieux, une dernière collecte de duvets d'eider pour Renaud (la base est parsemée du nids d'eiders car ils y sont protégés des renards par les chiens de la patrouille) et un contrôle très officiel (mais très amical) de toutes nos autorisations et dérogations (pour la première fois du voyage !), une équipe repart en zodiac pour la petite île de Sandoen, alors qu'une autre, dirigée par Claus, part explorer la côte est de l'île de Clavering et notamment le site archéologique de " Doddemansbugt " (où l'explorateur anglais Clavering avait pu rencontrer au 19e siècle, pour la première et unique fois de l'histoire, les Eskimos vivants sur la côte nord-est du Groenland).
Sur l'île de Sandoen, nous dérangeons comme prévu dans leur sieste quelques vieux morses males (il s'agit du seul site de repos terrestre ou " haul-out site " pour l'espèce dans la région en plus des sites visités les 19-21 août dans la baie de Dove). Ils sont accompagnés, et c'est plus surprenant à cette latitude, d'un jeune animal (les femelles et les jeunes étant habituellement cantonnés au nord de 80°N). Il reste aux alentours bon nombre des oiseaux qui se reproduisent ici chaque année par centaines de couples (sterne arctique, eiders, mouettes de Sabine…) mais l'observation la plus intéressante est celle de 3 goélands brun adultes dont deux alarment encore. Après la première nidification de l'espèce sur ce site (et pour la région) en 2003, nous pouvons donc confirmer (1) que l'espèce semble bien s'installer régulièrement sur ce site et (2) qu'elle est même en augmentation dans la région puisque le nid découvert plus tôt à Myggbukta (11-15 août) est bien celui d'un second couple.
Nous rejoignons la base d'Eskimonaes en soirée, dans le sud de l'île de Clavering. De cette ancienne station (où le botaniste Sorensen réalisa ses travaux fondateur sur la phénologie des plantes arctiques), il ne reste que quelques vielles gamelles rouillées et planches brulées, les américains étant venus d'Islande en avion pour la bombarder (à la fin de la 2e guerre mondiale), après que les patrouilles danoises y aient été délogées par un détachement allemand (c'est dans la région qu'ont eu lieu les seuls " accrochages militaires " du pays, accrochages qui firent un mort côté danois à Daneborg et un autre côté allemand à Shannon).
Durant toute cette journée et jusqu'à la " nuit " tombée (l'obscurité croissante permet à cette latitude et à partir de la fin août de discerner les premières étoiles… mais durant quelques dizaines de minutes seulement !), nous avons observé des vols d'oies à bec court en vol migratoire vers l'Islande (près de 300 oies passeront par exemple à Daneborg en moins d'une heure).

31 août

C'est aujourd'hui que nous quitterons les eaux groenlandaises en direction de l'île norvégienne de Jan Mayen. Après avoir passé la matinée à Eskimonaes à récolter nos derniers échantillons botaniques pour l'étude ADN (6 espèces prélevées sur ce site), nous partons en direction des îles de Finsh Øer. Nous y découvrirons encore quelques sites de nidification probables du goéland bourgmestre (les oiseaux ne nichent plus à cette date tardive mais sont encore perchés dans les falaises à proximité de taches blanches (fientes) et oranges (lichens nitrophile) typiques de leurs colonies. La plus belle surprise du jour sera néanmoins à mettre à l'actif de Claus, notre archéologue, avec qui nous découvrons plusieurs nouveaux sites dont certains datent de la culture " Independence I " (env. - 4000 ans). Après la découverte le 16 août sur l'île d'Arundel du site le plus septentrional de la côte Est jamais découvert pour la culture " Independence II ", la découverte de ce jour constitue également la nouvelle limite Sud connue pour " Independence I ". De quoi faire oublier définitivement à Claus (et aux autres chercheurs embarqués à bord de Tara) la petite déception de n'avoir pas pu débarquer au Nord de 77°N cette année…
Avant la tombée de la nuit et le début de notre traversée vers Jan Mayen (traversée qui marquera le début d'une longue période de récupération… beaucoup d'entre nous n'ayant que peu dormi durant cette première campagne arctique du Tara !), nous longeons la côte Sud de l'île de Jackson. La dernière vision de cette île, probablement aussi méconnue et mystérieuse que l'île de Bontekoe (visitée le 10 août), nous plonge dans un doux mélange d'impressions. La fin de l'expédition, la fatigue et la magie des lumières du soir aidant, nous sommes envahis par la satisfaction du travail accompli (2 mois de terrain et des centaines d'observation inédites et de découvertes dans les secteurs les plus inaccessibles de la côte NE du Groenland), la frustration de ne pas pouvoir aller à terre une dernière fois sur cette île prometteuse, mais la certitude que nous reviendrons aussi vite que possible sur ces terres pour poursuivre notre travail et assouvir à nouveau notre passion pour ces grands espaces vierges de l'Arctique.

1-3 septembre

Après une journée entière passée en mer (où nous noterons le passage de nombreux oiseaux marins dont les plus intéressants à cette latitude et époque sont les macareux, mergules, grand labbe et labbe pomarin), nous arrivons le 2 septembre en vue des côtes de Jan Mayen, exceptionnellement dégagées ce jour là, l'île (située en beau milieu de l'Atlantique Nord entre Groenland, Islande et Norvège) étant réputée pour son brouillard quasi permanent.
Nous y accosterons sur la côte ouest dans l'une des seules baies abritées de l'île : la " baie des morses " (Kvalrosbukta). Cette situation privilégiée y explique la présence de centaines de restes de baleines que l'on distingue de près parmi les amoncellements de bois flotté. Durant plusieurs siècles, les baleiniers avaient pris l'habitude de venir y dépecer leurs prises. Nous y observerons plusieurs espèces de limicoles en migration et dont l'origine groenlandaise est plus que probable (vérifier la présence de migrateurs était l'un des objectifs des ornithologues sur cette île), mais curieusement très peu de bruant des neiges, dont la voie migratoire traverse pourtant l'Atlantique entre le Groenland et la Norvège, bien au Nord de l'Islande. La présence d'un héron cendré égaré et observé à plusieurs reprises mérite également d'être notée, même s'il ne s'agit pas de la première observation de l'espèce sur l'île. Les îles perdues au milieu des mers sont des lieux privilégiés pour l'observation d'oiseaux égarés. Nous observerons d'ailleurs encore le lendemain (3/9) un chevalier combattant, espèce qui pour elle n'avait jamais été observée sur l'île et dont les zones de nidification les plus proches se trouvent en Scandinavie.
L'observation de nombreux jeunes et adultes goélands bruns et marins mérite également que l'on s'y attarde. Ces espèces étaient jusqu'à présent considérées comme nicheurs rares ou absents sur l'île. Leur apparition au Groenland semble donc être corrélée à leur augmentation sur Jan Mayen.
Signalons enfin l'accueil particulièrement chaleureux que nous ont réservé les permanents de la base radio située sur la côte Est de l'île. Après nous avoir accueillis et fait visiter leur étonnante base, nous les invitons à notre tour à bord du Tara (une piste en terre permet à leur 4x4 de faire la navette entre les deux côtes). Deux soirées mémorables et un nouveau record pour Vladimir dont la photo fut mise en ligne dès le lendemain sur leur site web avec la légende approximative (car en norvégien) suivante : " premier bébé à avoir mis pieds à terre sur l'île de Jan Mayen ".

4-6 septembre

Nos deux derniers jours en mer en direction d'Akureyri (Islande) seront relativement paisibles malgré une mer très agitée et des creux impressionnants). Une jeune bergeronnette grise (encore un égaré) se pose sur le bateau à la latitude 69°50°'N et restera même toute la nuit à bord. De nouvelles espèces apparaissent au fur et à mesure de notre " redescente " : les fous de bassan se font de plus en plus nombreux à partir de 68°N, les guillemots de Troll apparaissent dans les eaux islandaises et deux petits rorquals coupent notre route à la veille de notre arrivée alors que les côtes sont déjà en vue…
La plupart d'entre nous (à l'exception de l'équipage) quitterons Tara dès le lendemain (7/9) à destination de la France, du Groenland, du Danemark et… de Nouvelle Zélande. D'autres resteront encore quelques jours en Islande, pour " décompresser ".

Chacun gardera sans doute un souvenir différent (mais indélébile) de cette croisière à bord de Tara 5. Pour le GREA, cette expédition inoubliable aura surtout été l'occasion d'explorer les zones les plus méconnues de la côte Est du Groenland, d'y réaliser un travail énorme et notamment d'y découvrir un nombre incroyable de nouveaux sites de reproduction d'oiseaux marins (plus de nouveaux sites découverts et comptés en 2 mois d'expédition qu'en 200 ans d'exploration !). Cette expédition " ECOPOLARIS - TARA 5 " restera donc à jamais gravée dans les annales scientifiques groenlandaises. D'autant plus qu'à l'aube des grands bouleversements climatiques et écologiques annoncés et dont certains commencent semble déjà produire leurs effets au Groenland, les données que nous avons récolté cet été n'ont pas fini d'être utilisées par nos successeurs pour évaluer l'ampleur et la vitesse de ces changements dans les décennies à venir…

Bravo et merci à tous ceux qui ont contribué à la réalisation et au succès de cette mission…
Etienne Bourgois, propriétaire de Tara 5, étant de loin celui qui mérite le plus chaleureusement notre reconnaissance !

Les annexes de ce dossiers sur : annexes sur le site www.taraexpeditions.org

Contacts : G.R.E.A. Route de Vernot
21440 FRANCHEVILLE

A voir concernant le CEDMP :
Le projet "Karupelv Valley Project" :
 
Présentation Le GREA et le CEDMP
Les objectifs Missions 2004-2005
Les recherches Publication
Le lemming Contact philatélique
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