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COUPURE DE PRESSE
L'audacieuse entreprise d'Amundsen s'est terminée par le succès le plus éclatant. Parti le 11 mai du Spitzberg à bord du dirigeable le Norge (1), le célèbre explorateur est arrivé quatre jours plus tard sur les bords du détroit de Béring, après avoir traversé le bassin arctique tout entier en passant par le pôle. Un trajet à vol d'oiseau de 3.400 kilomètres environ, de 3.900 et même beaucoup plus, d'après le colonel Nobile, en faisant entrer en ligne de compte la dérive sous la poussée du vent. 3.400 et 3.900 kilomètres représentent respectivement les distances de Paris au centre du Sahara et au Tchad. Grâce aux radios émis par l'aéronef et aux télégrammes d'une expédition de reportage envoyée à la baie du Roi par le journal d'Oslo, Aftenposten, il est dès à présent possible de présenter un récit succinct de ce voyage extraordinaire. Auparavant, donnons quelques précisions sur le Norge, son personnel et son équipement. Le dirigeable mesure de bout en bout 106 mètres et possède un volume de 18.500 mètres cubes ; sa limite de charge est 10,3 tonnes métriques. Avec ses trois moteurs il atteint 115 kilomètres à l'heure, et avec deux seulement, 70 kilomètres ; à cette dernière allure la consommation horaire d'essence et d'huile s'abaisse à 95 kilos. Etant donné le trajet à effectuer, près de 7 tonnes de carburant et de lubrifiant furent embarquées. L'équipage comptait 16 hommes : 9 Norvégiens, un Américain, Lincoln Ellsworth, mécène de l'expédition, le colonel Nobile, capitaine du dirigeable, et 5 mécaniciens italiens. Dans une entreprise aussi aventureuse, il faut prévoir les accidents. Aussi, pour le cas où le dirigeable ferait naufrage sur la banquise, emportait-on deux mois de vivres, des traîneaux, des skis, des canots pliants, des tentes, bref, tout le matériel nécessaire pour opérer la retraite à travers le grand désert polaire. Ainsi que nous l'avons déjà annoncé, le 7 mai, à 6 h. 15, le Norge arrivait à la baie du Roi, au Spitzberg. Cette année comme l'année dernière, lors de son raid en avion, Amundsen avait choisi comme base d'opérations Ny Aalesund, le charbonnage norvégien installé sur les bords de ce fjord pittoresque. En conséquence, près de ce village on avait dressé pendant l'hiver un hangar en charpente recouvert de toile, ainsi qu'un mât d'amarrage pour le cas où le vent ne permettrait pas d'amener l'aéronef dans ce hall. L'entrée au port, de même que la sortie d'un dirigeable, exige le concours d'un nombreux personnel ; la main-d'œuvre n'étant guère abondante à Ny Aalesund, le gouvernement norvégien avait envoyé un navire de guerre à la baie du Roi pour aider l'expédition. Grâce à ce renfort et à l'absence de vent au moment de l'arrivée, le Norge fut remisé dans son hangar sans aucun incident. La première partie du voyage, celle qui éveillait le plus d'appréhension chez les spécialistes, se trouvait ainsi heureusement terminée. Au cours du trajet de Rome au Spitzberg (7.600 kilomètres en comptant tous les zigzags de la route), aucun organe du ballon n'avait éprouvé la moindre défaillance ; tout avait marché à souhait. Ce succès autorisait les plus grands espoirs pour la suite des opérations. Sans perdre un instant, les mécaniciens procédèrent à une révision minutieuse des moteurs, tandis que le personnel travaillait à faire le plein de gaz et d'essence et à embarquer les autres approvisionnements. A partir de la fin de mai, le bassin arctique est durant tout l'été presque constamment recouvert d'épaisses brumes ; il importait donc de se presser pour pouvoir prendre l'air avant l'établissement de ce régime éminemment défavorable à la navigation aérienne. Dans la soirée du 10 mai, les météorologues chargés de la prévision du temps ayant annoncé la présence de hautes pressions dans le bassin arctique, par suite, selon toute probabilité, un régime de calme dans cette région, Amundsen commande de prendre les postes d'appareillage. Mais à peine les préparatifs sont-ils commencés que la brise " force ", pour employer l'expression maritime. Dans ces conditions, le départ est contremandé. Les heures s'écoulent tristes et lentes ; pour tous la déception est grosse, surtout après le succès de Byrd deux jours auparavant. Brusquement, dans la matinée du 11 mai, la brise mollit, le ciel se dégage et, bientôt, un soleil radieux luit dans un air calme. Il n'y a plus à hésiter. On rappelle aux postes d'appareillage et, à 9 h. 35, la délicate sortie du hangar est heureusement terminée. Immédiatement, au bruit des hurrahs, les " couleurs " des trois nations dont les membres participent à l'expédition - Norvège, Etats-Unis et Italie - sont hissées à la poupe du dirigeable, puis, à 10 heures, le solennel " Lâchez tout ! " retentit. Le Norge s'élève alors à une centaine de mètres, en route vers l'embouchure du fjord ; une demi-heure plus tard, il a disparu de l'horizon de Ny Aalesund. La grande expédition est commencée, une des plus hardies qui aient été conçues depuis que l'homme a conquis le domaine de l'air. Une fois sorti de la baie du Roi, le dirigeable suit vers le Nord la côte Ouest du Spitzberg, et, après avoir survolé l'île des Danois, s'engage au-dessus de la grande banquise, le cap droit vers le pôle. A 14 heures on est au 82°30' de latitude par 9° de longitude Est. Le temps reste clair, la brise faible ; le Norge tient admirablement la route. Les dernières terres du Spitzberg ont disparu ; maintenant, dans toutes les directions, un horizon blanc ; partout, des crêtes ou des monticules formés par le chevauchement des glaces dans les spasmes qui les agitent sous la poussée des vents et des courants marins. A chaque instant, on aperçoit des ours fuyant, effrayés par le vrombissement des moteurs. L'an dernier, à l'occasion du raid en avions d'Amundsen, le gouvernement norvégien a émis des timbres représentant un de ces animaux regardant voler un aéroplane. La conception de l'artiste s'est donc trouvée réalisée cette année, à cela près que le monoplan était remplacé par un dirigeable. A 15 h. 30, le Norge atteint le 83°30' par 10° de longitude Est. Depuis l'observation de 14 heures, il a donc été déporté dans l'Est d'une douzaine de kilomètres. Le ballon continue ensuite sa marche vers le Nord, le long de ce méridien jusqu'aux approches du pôle, où il est encore légèrement déporté dans l'Est. La route suivie par l'expédition entre le Spitzberg et le pôle est donc presque rectiligne. A mesure que l'on avance, le froid devient de plus en plus vif, sans cependant atteindre une rigueur gênante : 9° sous zéro à 14 heures, puis - 12° pendant le reste de la journée. A minuit, le 89° de latitude est franchi. Le moment solennel approche.
Le ciel est légèrement brumeux, néanmoins la visibilité
reste bonne. Enfin, le 12 mai, à une heure, le lieutenant Rüser-Larsen,
qui remplit les fonctions d'officier des montres à bord du Norge,
annonce l'arrivée au pôle Nord. La victoire est remportée
! Que le Norge ait atteint le pôle, l'abondance et la précision des observations exécutées par le lieutenant Rüser-Larsen en donnent la preuve certaine ; non seulement cet officier a soigneusement surveillé la marche du ballon à l'aide du compas ordinaire, d'un compas solaire, d'un dérivomètre et d'un compteur de vitesse, mais encore a d'heure en heure déterminé sa position par des azimuts et des relèvements goniométriques sur la station de T.S.F. de la baie du Roi. Une fois au pôle, le Norge décrivit plusieurs circuits au-dessus
de ce point, puis successivement Amundsen, Ellsworth et Nobile lancèrent
par-dessus bord, sur la banquise, les pavillons de leur pays. L'expédition n'a point, semble-t-il, aperçu le drapeau américain que le lieutenant Byrd avait laissé tomber sur la glace lorsqu'il crut être arrivé au but ; les radios lancés par Amundsen sont muets sur ce point. La chose n'a pas en soi une très grande importance. Depuis les controverses auxquelles le voyage de Peary donna naissance, il est en effet admis que, pour l'arrivée au pôle Nord, dont le gisement ne peut être déterminé qu'au prix d'observations précises, les explorateurs bénéficient d'un battement de plusieurs kilomètres. Dans le trajet entre le Spitzberg et le pôle, le Norge a marché
à des allures très différentes. Pendant les quatre
premières heures, sa vitesse horaire a dépassé 100
kilomètres ; à 15 h. 30, elle a atteint le maximum que les
moteurs pouvaient donner, soit 114 kilomètres, puis, à partir
de 20 heures, elle a été réduite à 67, enfin
à 60, probablement en vue d'économiser l'essence. Du pôle, le cap fut mis droit au Sud sur la pointe Barrow, le cap le plus septentrional de l'Alaska. Un radio daté du 12 mai, 3 h. 20, annonçait que le ballon fait bonne route dans cette direction à la vitesse de 80 kilomètres. Depuis, aucun message du Norge n'avait été reçu. Cette absence de renseignements commençait à éveiller des craintes lorsque le 14, à 6 heures (temps de Greenwich), l'aviateur américain Wilkins, stationné à la pointe Barrow pour prendre son vol, lui aussi, vers l'extrême Nord, aperçut le ballon à 10 milles au large de la côte de l'Alaska. Le Norge faisait alors route dans le Sud. Après cela, pendant deux jours, ce fut de nouveau un silence complet. Du cap Barrow à Nome, sur les bords du détroit de Béring, terminus du voyage, la distance à vol d'oiseau est seulement d'un millier de kilomètres ; aussi bien l'anxiété grandissait, quand un télégramme annonça l'arrivée de l'expédition à Teller, au Nord de Nome, le 15 mai, à 2 heures du matin (temps local), soit à 13 heures (temps de Greenwich). Au-dessus de l'Alaska, l'expédition avait été mise en péril par des brumes et par de furieuses tempêtes de neige ; à plusieurs reprises, l'enveloppe du ballon fut crevée par des glaçons formés sur les apparaux. La dernière partie du voyage nous promet un émouvant récit
d'aventures dramatiques. En tout cas, l'expédition a accompli un magnifique exploit. Dans
ce succès, à ses trois dirigeants, revient une part de gloire
égale. Si l'honneur de la conception et de l'organisation appartient
à Amundsen, par ses libéralités Ellsworth a permis
la réalisation du programme et Nobile en a assuré l'exécution
par une technique admirable. Charles RABOT.
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