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FEMMES INUIT
TEMOIGNAGE D'UNE RENCONTRE

COMMUNAUTE INUIT DU NUNAVIK
DANS L'ARCTIQUE QUEBECOIS
DU 18 SEPTEMBRE 2002 AU 28 FEVRIER 2003

 
Instant présent

Ici, le passé comme l'avenir sont investis dans une autre dimension. Moins présents dans les esprits au quotidien, il en résulte une plus grande conscience du présent à vivre. Dans les temps passés, la survie au quotidien entraînait la nécessité de se situer exclusivement dans le présent pour lutter contre le froid et la faim et ainsi répondre aux besoins existentiels des siens.

La capacité à habiter le présent a été certainement ce qui m'a le plus mise en décalage à mon arrivée, car je me projetais trop. J'ai pu faire la différence en apprenant à être dans " l'ici et maintenant ". Le stress provoqué par la projection quasi-permanente est sans comparaison avec l'état de bien-être ressenti dans la conscience de l'instant. Je me suis surprise à dire : " C'est ainsi ", non pas avec une sorte de fatalisme mais avec une lucidité sur les choses irrévocables. A la façon du mode de pensée inuit.

Eva riait parfois lorsque nous discutions et me disait alors : " Tu penses trop… Tu verras bien la suite. En ce moment, tout se passe bien pour toi… Après ? Tu trouveras des solutions à ce moment-là ! ".
En France, je m'exerçais à cette gymnastique mentale. A Salluit, j'y suis parvenue quotidiennement et cela m'a permis de vivre au tempo inuit, jusqu'à l'heure du départ où j'ai vécu en me répétant : ce n'est pas la dernière fois que je fais cette chose ou que je vois cette personne, c'est une fois encore et celle-ci est bonne aussi à savourer.

Lors d'un échange avec Mary, malgré mes efforts, j'ai eu l'impression que nos points de vue dépendaient justement de nos rapports au temps respectifs. Le jour de notre rencontre, elle me dit : " Tu viens pour comprendre les femmes… Il y en a tellement qui subissent de la violence… Parler des femmes inuit, c'est parler des femmes battues. Moi, je veux bien t'en parler mais beaucoup se taisent parce qu'elles ont peur … et si l'on ne parle pas d'un problème, on ne peut pas le résoudre." A ma question si elle connaît pour elle-même ce phénomène, elle me répond avec assurance que non. Un mois plus tard, elle arrive à l'école avec des bleus sur le visage et un œil tuméfié.

Nous passerons deux heures ce jour-là à tenter de trouver une solution en réponse à ces actes. Durant l'entretien, elle m'explique que ce n'est pas la première fois qu'elle a été battue. Je lui remémore le jour de notre rencontre. Réponse : " Ce jour-là, non, je n'étais pas battue ". Ma relecture se fait bien dans ce sens. On n'inscrit pas des actes dans la durée, peut-être un peu comme si l'on voulait oublier, peut-être aussi pour moins en souffrir, ou tout simplement parce que la vie continue et que c'est ainsi.

Traditionnellement, il existait dans les rapports homme/femme une forme de complémentarité dans l'attribution des rôles et des fonctions spécifiques de chacun. Aujourd'hui, du fait de l'évolution des statuts de l'homme et de la femme, cette complémentarité est mise à mal. Chacun cherche sa place et c'est principalement au sein du couple que j'ai pu remarquer cette quête de nouveaux repères. La femme, depuis le début du monde et sur toute la planète, conserve, en tout temps, le statut de mère. Son enfant lui confère une place dans son couple, dans sa famille et dans sa communauté. Cela lui donne une force qui n'a pas d'égal chez l'homme.

Jusqu'à la sédentarisation, celui-ci était valorisé par ses qualités de chasseur et de pêcheur, donc il avait une place de pourvoyeur de nourriture pour sa famille. Aujourd'hui, il lui faut de l'argent pour acheter sa moto-neige, un fusil et des balles. Que se passe-t-il si ses revenus financiers sont assurés par l'état ou par le salaire de sa femme, dans le cas où il n'a pas d'emploi ?

La difficulté à verbaliser un mal-être, un désaccord peut être alors la source d'un conflit qui va se traduire chez certains couples par des gestes de violence. " Parce qu'une claque vaut mieux qu'une parole ", aurais-je dis dans mon milieu de travail français, auprès de femmes violentées. J'ai retrouvé à Salluit des problématiques identiques à celles que je connaissais en France. Cela diffère dans la prise en compte et la résolution du conflit.

J'ai vu des hommes demander pardon au sujet de leurs actes et expliquaient leurs gestes par la prise excessive d'alcool. Perte de contrôle dans un instant de colère. Je refuse de faire des généralités et je crois profondément que c'est en accédant de nouveau à une complémentarité dans le couple que les problèmes de violence s'estomperont.

Lorsque j'abordais ce sujet avec des jeunes femmes, j'ai eu bien souvent en réponse des arguments religieux. La religion m'est apparue comme une sorte de paravent dont certaines se munissaient pour éluder mes questions. Si la prière est une possibilité de se recueillir et d'apaiser la souffrance, elle peut être aussi utilisée comme moyen de justification pour celui qui n'a pas invoqué la gratitude de Dieu et qui est donc puni.
Un frein ? Certainement. Mais je pense davantage que la manière de s'épanouir dans une religion exprime le reflet des peurs qui sont présentent chez un peuple à la frontière de deux cultures.

En revanche, j'ai toujours en mémoire le souvenir d'un repas chez Eva, à l'heure du déjeuner. Nous venions de commencer à réciter le bénédicité quand le téléphone a sonné. Eva a pris le téléphone et avant de répondre, s'est exclamé : " Hé ! C'est sûrement Dieu qui nous appelle ! ".

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Rire

Le rire est peut-être la saveur la plus délicate à laquelle j'ai goûté dans les moments de partage avec les femmes que je côtoyais. Il y a quelque chose de l'ordre de l'instant présent à savourer tant qu'il est bon, d'un besoin de légèreté qui s'exprime par des rires et des sourires qui font du bien au cœur. Des rires qui font envoler le poids des mots, des rires qui suspendent le temps.

Dans le centre communautaire, avec Christine, le 28 décembre 2003
" Son petit-fils lui montre une sorte de toupie sur un fil… elle le prend et se met à jouer avec, mais n'y arrive pas, même si elle fait de son mieux…
Nous sommes de trois quarts, je l'observe… elle tourne la tête, voit mon regard et on éclate de rire pendant au moins 5 minutes…
Les larmes aux yeux de rire, la tête sur mon bras, elle finit par me dire :
" Je te vois qui pense dans ma tête " puis on se remet à rire et elle me dit :
" On a pas besoin de se parler, hein, on se comprend… " Dear Christine ! "

Cela, je l'ai vécu au cours de la plupart des soirées. Parfois, nous évoquions des évènements douloureux, chargés de souffrance. Que pouvions-nous faire, à part en rire ? La force d'en rire, c'était la force de l'accepter. D'autres fois, le ton était léger, et les blagues fusaient. On riait de soi, des autres. On riait.


Humanité

C'est ce mot qui nous a unit et qui définit les femmes inuit par ailleurs de manière très juste. Je retiens une certaine pudeur, une certaine retenue de leur part qui n'exclue pas une franchise dans les situations où nous étions les seules concernées.

Si d'autres protagonistes étaient engagés, alors, j'ai connu parfois le mensonge, parce qu'un Blanc reste un Blanc et qu'il sera tenu pour responsable quoi qu'il fasse.

J'ai préféré l'accepter, en me remémorant une explication de Quppia : " Quand les premiers Blancs sont arrivés, ils nous ont pris pour des sauvages et il nous a fallu du temps pour se sentir au même niveau qu'eux. Aujourd'hui encore, certains agissent avec ce sentiment d'infériorité. Moi, j'assume mon identité, j'ai étudié, j'ai un emploi, j'élève mes enfants dans la tradition inuit… Je suis fière d'être inuk. "

En effet, ce sont celles qui ont une bonne estime d'elles-mêmes qui semblent le plus épanouies au niveau des diverses facettes (travail, couple, enfants).

Au sujet de l'éducation des enfants, un sentiment d'infériorité se fait sentir chez celles qui ont une faible estime d'elles-mêmes. Pendant une journée de travail au centre pour femmes, l'une d'elles me dit ainsi : " Est-ce que je peux coucher mon enfant maintenant même s'il pleure un peu car il est fatigué et il doit dormir ? "

Constatant mon étonnement, elle me répond que les mères blanches ne font pas pleurer leurs enfants. Et ceci est un exemple parmi tant d'autres où il m'a fallu défaire les idées fausses sur l'éducation occidentale, qui était affichée comme " le bon modèle d'éducation ".

J'ai été touchée par la douceur de ces mères avec leurs enfants en bas-âge. Miali, par exemple, en transit à Salluit avant de retourner chez elle après son accouchement, regardait son cinquième enfant avec la même douceur et le même étonnement que pour un premier, à tel point que je me suis trompée.

Une humanité qui m'a ému pendant le temps des fêtes et que je ne peux passer sous silence. Combien m'ont dit :

" On sait que tu n'es pas avec ta famille et cela doit être difficile.
Tu fais partie de la communauté maintenant, tu es chez toi ici et tu n'es pas seule car nous sommes là. " Je n'avais pas dit un mot à ce sujet mais ils m'ont comprise. Plusieurs familles m'ont invité pour un repas de Noël et chacune m'a dit : " Nous voulons que tu aies de belles fêtes ici même si tu n'es pas chez toi. Sois la bienvenue et sens toi chez toi. " J'ai senti cette chaleur du foyer et je leur en suis très reconnaissante.


Si parfois à la lecture de ce récit, vous avez eu envie de dire : " Ici aussi, c'est comme ça " ou " Moi aussi, je fais ça, et je ne suis pas inuit ! ", c'est peut-être tout simplement parce que je crois, au fond, que l'humain est l'humain, et qu'en chacun de nous, il se trouve un petit quelque chose qui vibrera toujours à la rencontre de l'autre, même si nous ne sommes pas nés dans la même culture, même si certaines de nos valeurs divergent.
Si l'on souhaite rencontrer l'humain, il n'y a plus de barrière, si ce n'est celle que l'on se met soit même.

  Conclusion ...

Julie Moutard



FEMMES INUIT
TEMOIGNAGE D'UNE RENCONTRE
:

Préambule Instant présent, rire, humanité
Introduction Conclusion
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