Arrivée à Salluit, le 23 septembre 2002
" Finalement, encore lovée dans la brume, Salluit apparaît,
l'avion se pose.
Dès la première marche sur la passerelle, le vent
frais me donne une large goulée, presque au point de m'étouffer.
[
] Je récupère mes bagages au pied de l'avion,
quand tout à coup, une femme s'approche de moi : " Are
you Julie ? ". Elisapie, te voilà !
" Taqulinakkit alianartuq " (Parce que je te vois, je
suis contente)
Et nous partons sur son quad. Les larmes aux yeux tellement le vent
est fort,
et l'émotion est grande, et encore plus intensément
lorsque Salluit se découvre dans sa baie, peuplée
de baraques rouges, vertes, bleues, marrons
Elle me présente à Quppanuaq, qui va me loger.
C'est alors un défilé de visages qui viennent me souhaiter
la bienvenue et se rendre compte de qui est " the french girl
" qui est arrivait ici. "
Je me présente, je suis Julie, éducatrice de formation
et surtout voyageuse dans l'âme. J'aime partir à la
rencontre de l'humain. Ce voyage, je l'ai placé sous le signe
des femmes, que j'ai souhaité rencontrer pour comprendre
leur évolution depuis la sédentarisation du peuple
inuit. Ce projet, je l'ai inscrit dans une démarche de compréhension
et d'ouverture. J'ai établi progressivement des relations
avec des femmes de tout âge et de situations diverses.
Ces liens m'ont permis de vivre la culture inuit, de la ressentir
et de mieux l'appréhender. Ma démarche n'est ni celle
d'une journaliste ni celle d'une scientifique. Elle s'est inscrite
dans la simplicité d'une rencontre, de l'humain à
l'humain, dont je souhaite témoigner aujourd'hui.
Durant les premiers jours, j'ai vécu une sensation nouvelle,
celle de me sentir blanche. Celle qui n'a pas le teint cuivré
par un soleil arctique, celle qui ne parle pas la même langue,
celle qui n'est pas d'ici. Dans tous les endroits que je fréquentais,
je sentais cette différence marquée par les regards.
Après quelques jours, je me suis rendue à l'évidence.
Oui, j'étais différente, on ne me connaissait pas
et donc on m'observait. Petit à petit, des portes se sont
ouvertes, des saluts ont fusé dans la rue, des sourires
se sont affichés en me voyant.
Le temps passant, les gens se sont habitués à ma
présence et cette sensation a disparut, pour ne réapparaître
qu'épisodiquement. C'est environ deux mois après
mon arrivée que je situe la fin de la période d'apprivoisement
et surtout d'affranchissement des barrières que chacun
s'était posées.
" La différence ne dérangeait pas car
l'ignorance, source d'inquiétude et de méfiance,
avait fait place à la connaissance de l'autre. "
" Innuat " en quête des mémoires, Editions
Paquet, collectif d'auteurs et de dessinateurs |
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Le 09 novembre 2002
" Le robinet s'est ouvert et le flot des sentiments est arrivé,
libre, sans limite, sans analyse
Juste l'ouverture du cur
pour accueillir l'instant.
Sans notion de bien, de mal, d'important, d'indispensable, de prévu
ou d'irrationnel
Juste une humanité qui se présente à ma porte
Bannie de calcul et de prévision. Juste ça. Des barrières
se cassent. "
Hébergée les deux premiers mois chez une jeune
femme, Quppanuaq, avec sa fille, puis chez une aînée,
Kaujaq, le restant du séjour, j'ai pu vivre au rythme de
ces familles et partager le quotidien d'une communauté
inuit. Je pense assurément que ce fut ce type d'hébergement
qui est à l'origine des liens privilégiés
que j'ai pu nouer.
Parallèlement, je souhaitais m'impliquer dans la communauté
durant mon séjour, sans pour autant faire valoir des compétences
professionnelles amoindries dans une culture qui n'était
pas mienne. Ainsi, j'ai effectué deux stages en lien avec
ma profession d'éducatrice. Les deux premiers mois, j'ai
consacré une partie de mon temps dans une maison d'accueil
pour femmes (connaissant des violences conjugales ou familiales),
puis les trois mois suivants, dans un centre de formation pour
adultes (auprès de jeunes femmes reprenant leur scolarité
en langue française). Affranchie d'une relation de salariée
avec l'employeur, j'ai pu ainsi aller librement d'un regard d'observateur
à celui d'intervenante. Sans véritable étiquette
professionnelle, je situe ma démarche dans une dynamique
d'écoute, de mise en sens et de soulagement de la souffrance.
J'ai ainsi côtoyé un nombre certain de femmes qui
occupent des emplois divers (enseignement, secrétariat,
travail à la crèche, magasinière, etc.
).
Actuellement, les femmes, en plus d'avoir accès à
une formation professionnelle, peuvent continuer à se former
une fois en poste. C'est ainsi que certaines quittent régulièrement
la communauté pour suivre une formation complémentaire
ou pour participer à des réunions, soit dans d'autres
communautés, soit à Montréal.
Traditionnellement, la femme était responsable de l'éducation
des petits enfants et du maintien de la lampe allumée dans
l'igloo. De plus, elle devait fabriquer les vêtements de
peaux pour toute sa famille. La capacité d'évoluer
hors des limites des espaces habités, (hormis les lieux
de la cueillette, de la petite pêche et de la petite chasse)
était une prérogative masculine.
Cette prise de distance avec la tradition n'a donc pas été
sans modifier la place de la femme. C'est, je crois, une des plus
grandes conséquences de la sédentarisation. Au-delà
d'un réel engagement dans le développement de la
communauté, qui passe par l'occupation d'emplois où
sont représentés les points de vue féminins,
il existe des groupes de réunions. Souvent constitués
à l'initiative des femmes, ils peuvent ou non s'inscrire
dans la durée car ils sont principalement créés
pour trouver, grâce à l'union de plusieurs esprits,
des solutions à des problèmes rencontrés.
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