Dans ces conditions, étant
donné l'épidémie annexionniste qui
sévit actuellement dans les régions polaires,
le gouvernement a jugé opportun de rappeler nos
droits sur ces contrées lointaines.
Quelles sont les terres qui nous appartiennent dans le
voisinage du pôle Sud ?
Quelle est leur situation juridique, si je puis m'exprimer
ainsi ?
Quelles sont les mesures prises pour assurer la sauvegarde
de notre souveraineté sur ces territoires ?
C'est ce que nous allons expliquer.
Nos possessions dans l'extrême Sud comprennent la
Terre Adélie, un large morceau du continent antarctique
situé sous un méridien voisin de celui de
Melbourne, que
Dumont
d'Urville découvrit en 1840 ; puis quatre îles
ou archipels perdus dans l'immensité de l'océan
Indien austral: la Nouvelle-Amsterdam, Saint-Paul, les
Kerguelen, enfin les Crozet.
La Nouvelle-Amsterdam et Saint-Paul, que l'on rencontre
à quelque 5.000 kilomètres dans le Sud de
Ceylan, ont été annexées à
la France en 1843, en bonne et due forme, Pendant quelque
temps ensuite, afin d'affirmer notre souveraineté,
un détachement d'infanterie de marine tint garnison
dans la seconde de ces îles.
Depuis, Saint-Paul a été occupé d'une
manière intermittente. Actuellement, des pêcheurs
de la Réunion y viennent l'été, et,
après avoir fait leur plein de poisson; s'en retournent
chez eux: un voyage d'environ 6,000 kilomètres
aller et retour sur un océan redoutable. Pour les
besoins de leur industrie, ils ont édifié
à Saint-Paul de petites constructions; au début
du siècle, il en existait trois. Une boîte
aux lettres fixée à l'une de ces maisonnettes
annonçait que cet îlot désolé
n'était point dépourvu de toute organisation,
Aujourd'hui, la Compagnie des Kerguelen, fondée
par les
frères
Bossière, qui, depuis trente ans, consacrent
leur activité à la mise en valeur de nos
possessions dans l'océan Indien austral, comprend
la Nouvelle-Amsterdam et Saint-Paul dans le champ de ses
opérations.
Les Kerguelen nous appartiennent depuis 1773, date à
laquelle le navigateur breton dont ces îles portent
le nom en prit possession au nom du roi de France.
En 1893, un navire de guerre a hissé de nouveau
le pavillon national sur cet archipel, Une compagnie,
créée pour l'exploitation des ressources
de cette terre, jouit d'une concession accordée
par le gouvernement et, en échange, paie à
l'Etat une redevance annuelle, Ajoutons que M. René
Bossière a été nommé résident
de France aux Kerguelen, Des établissements relativement
importants existent sur ces îles' d'abord une grande
usine pour la distillation du lard des nombreux phoques
que l'on capture aux environs, des bâtiments pour
le logement des chasseurs et des ouvriers; enfin, une
station d'acclimatation du mouton. Une population de 150
à 160 hommes réside dans l'archipel.
Notre souveraineté sur Saint-Paul et sur les
Kerguelen est donc attestée, non seulement par
des actes officiels, mais encore par de nombreux faits
d'occupation ; elle est effective et visible et aucune
nation ne songe à nous la contester. Pour nos
deux autres possessions dans l'extrême Sud, les
Crozet et la Terre Adélie, la situation est différente.
En 1772, le navigateur français Marion Dufresne,
lorsqu'il découvrit les Crozet, en prit possession
au nom de Louis XV, et, en 1840, Dumont d'Urville accomplit
la même formalité à la Terre Adélie.
Nos droits sur ces territoires sont, par suite, incontestables.
En 1834, une frégate française, l'Héroïne,
fit l'hydrographie des Crozet et y séjourna cinq
semaines. Jamais ensuite nous n'avons occupé
cet archipel; par contre, de nombreux étrangers
s'y sont installés. Il y' a soixante-dix ans,
ces îles étaient une station fréquentée
de baleiniers et de- chasseurs de phoques américains.
De même, après Dumont d'Urville, aucun
Français n'a occupé, ni même visité
la Terre Adélie; l'accès en est d'ailleurs
défendu par de redoutables banquises. Depuis
1840, une seule expédition a abordé sur
cette partie du continent antarctique, celle de sir
Douglas Mawson, organisée par !'Australie, et
qui y demeura deux ans (1912-1914) .
En présence de cette situation, le gouvernement
de la République a jugé opportun de faire
acte de souveraineté sur les Crozet comme sur la
Terre Adélie et de montrer ainsi que le défaut
d'occupation n'implique de notre part aucune idée
d'abandon de ces terres. A cet effet, les ministres compétents
ont pris des mesures administratives concernant ces deux
territoires en même temps qu'une décision
générale visant toutes nos possessions antarctiques
et subantarctiques.
A quoi bon se préoccuper de ces terres perdues
à l'autre bout du monde ? se demandera-t-on. Entièrement
couverte de glaciers et constamment balayée par
des ouragans de neige, la Terre Adélie paraît,
certes, dépourvue de toute valeur.
Mais qui sait ? En sera-t-il toujours ainsi ? Il y a
trente ans, les parties du continent antarctique que
la Grande-Bretagne s'est récemment annexées,
et qui sont aujourd'hui le siège d'une chasse
à la baleine très lucrative, ne semblaient
offrir aucune possibilité d'avenir. Par contre,
Amsterdam, Saint-Paul, les Crozet et les Kerguelen possèdent
une réelle importance, en raison tant de leur
situation à proximité de la route maritime
d'Europe en Nouvelle-Zélande par le Cap que de
leurs ressources.
Peut-être s'étonnera-t-on que la terre Clarie,
découverte également par Dumont d'Urville,
à l'Ouest de la Terre Adélie, ne soit pas
mentionnée dans les mesures gouvernementales concernant
nos territoires antarctiques. La raison de ce silence
est plausible. Cette terre n'existe plus aujourd'hui Ce
que l'illustre marin découvrit, et auquel il donna
le nom de côte Clarie, était tout simplement
la falaise terminale d'un immense glacier que le continent
antarctique projetait alors très loin au large.
Depuis 1840, cette énorme masse de glace a fondu
et s'est résolue en icebergs.