COUPURE DE PRESSE
Le Robinson des glaces survit dans l'enfer
Source : La Dépêche du Midi 23/01/2003 |
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rois mois. Cela fait tout juste trois mois que Stéphane Lévin
vit en solitaire, sur l'île Cornwallis, au nord du Canada et
du Groenland, où il réalise une expédition scientifique
et médicale inédite. |
Il lui reste un mois à tenir pour vaincre la nuit et l'hiver
polaires, pour apercevoir enfin la lumière du jour et goûter
à des températures moins extrêmes. Pourtant baroudeur
endurci, le Toulousain n'avait jamais autant souffert. II vérifie
l'adage de ses amis Inuits, restes bien au chaud à 100 km de
lui, plus au Sud : " Le froid et la glace sont maîtres
".
Coupé du monde pendant deux semaines, il a pu réparer
son éolienne et recharger les batteries de son téléphone
satellitaire, qui lui permet deux contacts hebdomadaires avec son
assistance toulousaine. Stéphane Lévin en a réservé
un à La Dépêche du Midi " qui suit régulièrement
son aventure exceptionnelle. Et cet après-midi, il s'entretiendra
avec les élèves du collège Montalembert, qui
lui consacrent un projet pédagogique.
Interview :
Dans quelles conditions vivez-vous ?
Une tempête avec des vents d'au moins 120 kilomètres/heure
a détruit la neige qui isolait deux des murs de ma cabane.
Je ne peux pas les reconstruire. Le vent a transformé le
paysage, il ne reste presque plus de neige. Des cailloux se
sont fichés dans les murs. La cabane n'est plus étanche.
Il fait - 35° dehors, à I'abri du vent qui pousse à
70 km/heure. J'ai des ampoules aux doigts. Ils gèlent en
vingt secondes quand j'entretiens l'éolienne. J'avais profité
d'un court redoux pour refaire l'alimentation électrique.
Maintenant, il fait - 25° à l'intérieur. C'est
vraiment l'enfer. Tout est congelé. Mes conserves sont prêtes
à exploser. La queue de ma chienne a été prise
dans la glace. Elle hurlait, j'ai mis une heure pour la libérer
avec une hache et des clous de charpentier. j'avais fait bouillir
de l'eau, mais elle gelait aussitôt.
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A son arrivée Stéphane lévin pouvait
encore pêcher et prfiter de la lumière. C'est impossible
depuis trois mois. |
Comment allez-vous ?
L'extérieur de mon sac de couchage est un bloc de glace. je passe
mon temps dedans, pour me tenir , au chaud " à côté
de mon petit réchaud. C'est tout ce que je peux faire, en m'alimentant
au maximum, pour conserver un semblant d'énergie. Je suis très
affaibli. j'ai commencé le protocole de survie. Je ne fais que
des gestes essentiels, je ne quitte presque pas la cabane. Quand je sors,
pour me dégourdir les jambes, pour aller chercher de la neige,
je mets trois couches de vêtements, on dirait un cosmonaute !
La peur de l'ours s'est-elle estompée ?
J'en ai entendu un, au loin. C'est un stress permanent. C'est comme si
je traversais une forêt, de nuit, en craignant les loups. Je suis
sur une zone de passage. J'ai des déchets alimentaires, les femelles
vont bientôt sortir de leur tanière... A tour de rôle,
je laisse un chien dehors, pour me prévenir. Je garde l'autre à
l'intérieur, car ils pourraient s'enfuir en ayant peur d'un ours.
Où en sont vos tests scientifiques ?
J'ai tout stoppé pour i'instant. Le matériel est congelé.
Avec ma respiration, tout est plein de buée. Je ne peux plus écrire,
je ne prends que quelques notes.
Vous attendiez-vous à ce que soit aussi dur ?
Je m'étais bien préparé physiquement et surtout mentalement,
pendant un an. Personne ne pouvait imaginer que ce serait aussi dur. Je
suis laminé par le froid, par l'obscurité, la durée.
Le temps me broie petit à petit je suis nu face à moimême.
Tiendrez-vous jusqu'au bout ?
Je n'abandonnerai pas. Je ne baisse pas les bras. Il me reste un mois
à tenir. C'est énorme, mais c'est rien par rapport aux 93jours
que je viens de passer.
Comment vous motivez-vous ?
Je pense au 20 février, et au premier rayon de soleil. Ce sera
ma victoire. J'aurais vaincu la nuit polaire. Je profile des contacts
téléphoniques avec mes amis toulousains. C'est pour eux,
pour tous les scientifiques qui m'ont soutenu que je me bats contre mon
mental et contre le froid. J'ai envie de tout raconter lors de conférences,
d'en parler avec des scolaires, d'écrire un livre...
A quoi va servir votre expédition ?
Je respecte tous les chercheurs qui sont dans des bases scientifiques
équipées. Mais moi, je suis dans la précarité
totale. Je fais avec les moyens du bord. Je suis un Robinson des glaces
! Je pense ramener des résultats inédits sur la gestion
du stress, de l'isolement, le cycle veille-sommeil, la mémoire
visuelle, le dépistage des couleurs... Je me suis animalisé.
Je vois de mieux en mieux, très loin, dans la nuit noire. Tout
ça, ce sera utile pour la conduite de nuit, la lutte contre l'éblouissement.
Mon ouie s'est développé. Je suis sensible au moindre petit
bruit, y compris pendant le sommeil. J'ai un troisième état,
autre que le sommeil et la veille. On dirait un radar. J'ai eu un contact
formidable avec l'astronaute Philippe Perrin. Mon expérience sera
utile aux vols habités, pour la gestion de la survie, du stress,
de la durée d'isolement.
Justement, comment gérez-vous la solitude ?
Ce n'est pas le plus difficile. Quand c'était encore possible,
j'ai beaucoup lu et écrit, grâce à des bougies. Et
j'avais tellement de choses à faire... L'isolement, même
pendant trois mois, ce n'est rien par rapport au froid.
Propos recueillis par Jean-François
Lardy-Gaillot |
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