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LE
SORT DE L' ITALIA
16 JUIN 1928 - L'Illustration
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Après
quinze jours de silence angoissant, on
a enfin reçu des nouvelles du général
Nobile et de ses compagnons, nouvelles
encore très imprécises,
comme toutes celles envoyées précédemment
par cette malheureuse expédition.
En tout cas elles révèlent
une situation critique.
L'Italia a fait naufrage au large
de la côte septentrionale de la
terre du Nord-Est, la plus avancée,
en direction du pôle, des îles
composant l'archipel du Spitzberg. L'accident
n'a donc pas été provoqué
par une collision de l'aérostat
avec des montagnes par temps de brume,
comme l'état-major de la Citta
di Milano, le tender de l'expédition,
le supposait. D'après les derniers
télégrammes, la catastrophe
a été causée par
la chute de la nacelle avant à
la suite de la rupture de ses câbles
de suspension.
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La
terre du Nord-Est et ses îles bordées
de glaces flottantes |
Dès
lors, complètement désemparé,
le dirigeable est allé s'abattre dans
l'est, à quelques kilomètres de
là. Si les renseignements donnés
par les dépêches sont exacts, la
ruptures des câbles paraîtrait due
à la surcharge considérable apportée
par d'épais dépôts de givre
sur l'enveloppe et les organes du ballon. On
sait que la condensation, sous forme de glace,
de l'humidité atmosphérique sur
les aérostats constitue le plus grand
danger auquel ces appareils sont exposés
dans l'Arctique.
Après le naufrage l'équipage s'est
trouvé, sur la banquise, divisé
en plusieurs groupes. Dans cette région
voisine des eaux libres, les glaces flottantes
sont séparées par de nombreux
canaux, accidentées de nombreux monticules
et animées d'un mouvement général
de dérive vers le sud et le sud-est en
même temps que de spasmes convulsifs à
la suite de leurs collisions avec les îles
situées en travers de leur route.
Campés
sur ces radeaux de glace, les infortunés
aéronautes se trouvent ainsi ballottés
par les courants marins, tantôt dans un
sens, tantôt dans un autre. Dans la matinée
du 11 juin, une escouade de naufragés
bivouaquait par 80°37' de latitude nord
et 27°10' de longitude est, par conséquent
un peu au nord-est de la petite île Svend
Foyn, soit à une quarantaine de kilomètres
au nord de la côte septentrionale de la
terre du Nord-Est. Franchir cette distance sur
une banquise disloquée et mobile constitue
une entreprise au-dessus des forces de novices
en matière d'exploration polaire d'ailleurs.
Nobile et ses compagnons paraissent dans une
situation affligeante, si les renseignements
publiés sont exacts. Lors de la chute
du ballon, des hommes auraient été
blessés, et, depuis, bien qu'à
cette époque de l'année la température
ne soit pas dangereuse, même sur la banquise,
7, 8, 10° sous zéro, plusieurs membres
de l'équipage auraient été
atteints de congélation plus ou moins
grave aux pieds ou aux mains.
Heureusement
le secours est proche, grâce au lieutenant
de vaisseau Lützow-Holm, de la marine norvégienne.
Dès les premières inquiétudes
au sujet de l'expédition Nobile, cet
aviateur, monté sur un hydravion; partait
pour le Spitzberg, afin de se mettre à
la recherche des naufragés de l'air.
D'Horten, arsenal maritime de la Norvège
sur les bords du fjord d'Oslo, il gagnait, en
vingt-trois heures de vol, Tromsö, à
l'extrémité septentrionale de
la péninsule scandinave. Là il
embarquait immédiatement son appareil
sur le Hobby, le transbordeur habituel
des avions au Spitzberg. C'est sur ce bon vieux
bateau qui ne paie pas de mine, mais qui tient
le coup en tempête comme au milieu des
glaces, que furent transportés les Dornier
Wal de l'expédition Amundsen-Ellsworth
en 1925, et tout récemment l'appareil
de Wilkins, du Spitzberg en Norvège.
Nos lecteurs trouveront une image de ce navire
à la silhouette archaïque dans L'Illustration
du 21 novembre 1925.
Le 4 juin, le Hobby et son avion arrivaient
à la baie du Roi, et immédiatement
Lützow-Holm commençait ses vols
de reconnaissance au-dessus de la côte
nord du Spitzberg occidental. Les recherches
n'ayant donné aucun résultat dans
ce secteur, cet aviateur a alors poussé
jusqu'à la côte septentrionale
de la terre du Nord-Est où, sur les bords
de la baie de l'Eau-de-Vie, il aurait aperçu
deux membres de l'expédition dangereusement
blessés.
Si cette année les glaces ne sont pas
trop compactes dans ces parages, nul doute que
le Hobby et le Braganza, deux
navires norvégiens en bois construits
pour naviguer au milieu des banquises, ne parviennent
à secourir promptement l'expédition
en détresse.
CHARLES
RABOT.
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