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LE
SORT DE GUILBAUD, D'AMUNDSEN ET DE LEURS
COMPAGNONS
15
SEPTEMBRE 1928
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L'Illustration
Un
pêcheur vient de recueillir un flotteur
du Latham-02 au voisinage de la
côte nord de la Norvège.
Pour préciser, disons que cette
trouvaille a été faite à
10 milles au large de Vanöy, île
bordant à l'ouest le canal qui
met en communication Tromsö avec
l'océan Glacial, à travers
l'archipel côtier, comme le montre
le croquis ci-dessous. En transmettant
cette nouvelle, les télégrammes
ajoutent qu'aucun doute n'est possible
sur l'origine de cette épave.
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L'un
des flotteurs du Latham de Guilbaud et d'Amundsen
retrouvé au large de la côte
nord de la Norvège |
Point
où a été retrouvé
l'un des flotteurs de l'hydravion de Guilbaud |
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Après
cela, on ne peut plus guère garder
d'espoir sur le sort de Guilbaud et d'Amundsen.
Les malheureux ont été évidemment
engloutis dans l'océan Arctique.
La rencontre d'un débris de l'hydravion
français à Vanöy confirme,
d'autre part, l'opinion que nous avons toujours
exprimée ici même, d'après
d'ailleurs celle des cercles compétents
norvégiens, à savoir: que
la catastrophe s'est produite entre la côte
nord de Norvège et l'île aux
Ours, c'est à dire au début
même du voyage.
Rappelons les faits et surtout les circonstances
qui ont amené la mort de ces héros,
elles ne sauraient être trop remémorées.
Dans la généreuse pensée
de collaborer au sauvetage du général
Nobile et de ses compagnons, dont le sort
éveillait, au début de juin,
les appréhensions les plus vives
et les plus justifiées, M. Leygues,
ministre de la Marine, mit le Latham-02
à. la disposition d'Amundlen.
Le célèbre explorateur était
impatient de partir au secours de celui
qui avait tenté de lui dérober
une portion de sa juste gloire, après
la magnifique expédition aéronautique
de 1926 au-dessus du bassin arctique. Par
ce geste digne d'un ancien preux, l'illustre
Norvégien voulait montrer comment
il savait pratiquer l'oubli. |
Donc le 18 juin, à 16 heures, l'expédition
franco norvégienne prenait à Tromso
son envol, à destination du Spitzberg.
Elle comprenait: le capitaine de corvette Guilbaud,
pilote ; le lieutenant de vaisseau de Cuverville,
navigateur ; le deuxième maître radiotélégraphiste
Vallette et le maître mécanicien
Brazy ; en outre, deux passagers, Roald Amundsen
et le lieutenant de vaisseau Dietrichson, de la
marine royale norvégienne, qui, en 1925,
avait piloté un Dornier-Wal au-dessus
de la banquise arctique.
Lourdement chargé au départ; et
le service de précision du temps ayant
annoncé la présence de brume sur
l'océan Glacial dans la direction du nord,
le commandant Guilbaud, en quittant Tromsö,
fit d'abord route au sud afin de sortir de l'archipel
côtier par le Malangen ; une fois hors des
îles, il mit ensuite le cap au nord-ouest.
Par cette manoeuvre, il espérait tourner
la zone brumeuse. (Faisons remarquer en passant
que la voyelle öy à la fin des mots
signifie île en norvégien.).
Après la sortie du détroit, le moteur
du Latham paraît avoir éprouvé
des ratés. En tout cas, des pêcheurs
prétendent avoir vu l'hydravion français
amerrir à quelques milles de la côte
de Norvège, au nord de Fuglöy, et
ultérieurement reprendre l'air. Le voyage
s'est poursuivi ensuite dans des conditions normales
jusqu'à 18 h. 45. Jusqu'à cette
heure-là, la station de T.S. F. de Tromsö
est restée en communication avec le Latham.
Après cela, silence complet. Ni les postes
du nord de la Norvège, ni celui de l'île
aux Ours, ni ceux du Spitzberg n'ont recueilli
un appel de Guilbaud. Les observateurs de l'île
aux Ours n'ont également vu ni entendu
passer l'appareil de l'expédition franco-norvégienne.
18 h. 45 marquent donc, selon toutes probabilité,
l'heure de l'accident; d'après le directeur
de l'institut de géophysique de Tromsö,
il serait survenu environ à moitié
route entre la Norvège et l'île aux
Ours, un peu plus près de cette dernière
île que du continent.
Comme le montre la carte des courants dans cette
portion de l'océan Arctique, reproduite
dans notre numéro du 30 juin dernier, le
bras de mer séparant les deux terres en
question est presque entièrement occupé
par une branche du Gulf-Stream s'écoulant
vers le nord-est. Le Latham étant
tombé dans cette zone, ses débris
auraient donc dû être entraînés
dans cette dernière direction. Aussi, bien
profond est l'étonnement des savants norvégiens
qu'un flotteur de l'appareil français ait
été retrouvé au sud de son
point de chute probable. Jadis, lorsque nous naviguions
autour de l'île aux Ours, le patron de notre
voilier, un vieux loup de mer de l'océan
Glacial, complètement ignorant des théories
scientifiques mais possédant une très
longue expérience de ces parages, nous
affirmait qu'au sud de cette île se manifestait
d'une manière intermittente un courant
marin portant vers le sud-ouest. Par suite, il
est possible que l'épave du Latham
ait été entraînée par
ce, courant, en direction des îles Lofoten
et amenée finalement par lui dans le domaine
du Gulf-Stream le long de la côte de Norvège.
Sous l'impulsion de cette masse liquide, ce flotteur
aurait ensuite remonté vers le nord-ouest
et serait arrivé ainsi à hauteur
de Vanöy. Il se peut également que
l'épave ait été chassée
vers le sud par des vents du nord persistants.
En tout cas, il est évident maintenant
que c'est dans la direction diamétralement
opposée à c'elle où les recherches
ont eu lieu Jusqu'a présent que des épaves
du Latham pourront être retrouvées.
C'est à l'est, du côté de
la Nouvelle-Zemble et non à l'ouest vers
le Groenland, que peut-être l'on pourra
découvrir le secret de ce drame de l'aviation
française.
Ajoutons pour terminer que l'océan restitue
progressivement les épaves des audacieux
aviateurs qui ont trouvé la mort en essayant
de survoler son domaine.
C'est ainsi que, presque' en même temps
que l'on recueillait près de la côte
nord de Norvège un flotteur du Latham,
on découvrait sur une plage de l'Islande
un débris provenant, suppose-t-on, de l'avion
sur lequel en août, l'an dernier, la princesse
Lowenstein et le capitaine Hamilton tentèrent
la traversée de l'Atlantique, d'Europe
en Amérique. Le Gulf.Stream a ainsi transporté
en un an un menu fragment d'avion à plus
de 1700 kilomètres du point où cet
appareil s'est abîmé dans les flots.
CHARLES RABOT.
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