COUPURE DE PRESSE
LA LA COURSE AU POLE
Source : L'Illustration - N° 4344 - 5 juin 1926
Le Spitzberg n'est plus, comme il y a seulement vingt ans, une terre
isolée au milieu des banquises, sans communications avec le reste
du monde. Treize jours ne s'étaient pas écoulés depuis
le départ du Norge que nous parvenaient les premières photographies
représentant les étonnants évènements aéronautiques
dont cet archipel polaire vient d'être le théâtre.
Outre un intérêt épisodique considérable, elles
présentent celui de donner une impression vivante des conditions
climatiques dans lesquelles les concurrents de la course au pôle
ont pris leur départ.
Voulant profiter des temps clairs qui règnent généralement
dans l'Arctique au début du printemps, dès le 29 avril le
commandant américain Byrd entrait dans la baie du Roi, sur le navire
Chantier portant ses deux aéroplanes : un puissant Fokker et un
petit Curtiss. Quelle volonté et quelle énergie possède
cet aviateur, il en a donné la preuve dès son arrivée
au Spitzberg. Lorsqu'il mouilla, c'était encore le plein hiver
; la baie était remplie de gros glaçons rendant très
difficile l'approche du rivage ; d'autre part, le quai de Ny Aalesund,
le charbonnage norvégien voisin, sur lequel les avions auraient
pu être débarqués commodément, était
déjà occupé par d'autres bateaux. Attendre qu'une
place devînt libre, jamais de la vie ! Un Américain n'attend
pas ; il doit vaincre tous les obstacles qui s'opposent à l'exécution
de ses projets. Incontinent, Byrd donne l'ordre de mettre à la
mer quatre canots du Chantier, puis de les assembler bord contre bord
avec des câbles et des planches. Sur le radeau ainsi formé,
la carlingue du Fokker est ensuite descendue au moyen des appareils de
levage du bord. Après quoi, la singulière embarcation avance
vers la plage à travers les glaces flottantes ; la marche est très
lente ; à différentes reprises, il faut travailler plusieurs
heures pour parvenir à déplacer d'énormes blocs ;
n'importe, on gagne du terrain. Vingt-quatre heures d'un labeur acharné
et les Américains réussissaient à amener leur avion
à terre. Le sol était couvert de 2 mètres de neige,
ce ne fut pas non plus sans peine qu'on le hala jusqu'à la tente
destinée à servir d'atelier. Les monteurs se mirent sans
désemparer à l'œuvre, si bien que, quelques jours après,
l'appareil destiné au vol polaire, un Fokker trimoteur monté
sur skis, fut prêt. Ses premiers essais ne laissèrent pas
d'éveiller des appréhensions ; à deux reprises, des
patins du train d'atterrissage cassèrent avant que l'avion ait
pu décoller. L'avarie fut réparée et, le 6 mai, un
vol de deux heures donna entière satisfaction.
Dans la nuit du 8 au 9, le temps étant devenu magnifique, - un
clair soleil luisait dans le ciel complètement calme, - Byrd résolut
de courir sa chance ; immédiatement il embarquait avec le lieutenant
Lloyd Bennett sur son appareil, la Joséphine-Ford, ainsi nommé
en l'honneur de la petite-fille du célèbre constructeur
d'automobiles, un des bailleurs de fonds de l'expédition. Le 9
mai, à 1h. 50, avait lieu l'envol ; le même jour, à
17 h. 50, les américains revenaient à Ny Aalesund après
avoir atteint le pôle.
Quoique évidemment tant soit peu désappointés par
le succès rapide de leur concurrent, les Norvégiens se montrèrent
beaux joueurs et, avec son esprit chevaleresque, Amundsen s'empressa d'aller
féliciter chaleureusement, dès leur atterrissage, Byrd et
son pilote.
De la baie du Roi au pôle, la distance est de 1.250 kilomètres
environ ; la Joséphine-Ford a donc soutenu une vitesse d'au moins
160 kilomètres à l'heure pendant toute la durée du
vol. A son retour, ses réservoirs ne contenaient plus de carburant
que pour deux ou trois heures de marche. Il était donc temps d'arriver
; la moindre erreur de route ou l'apparition d'une nappe de brume, et
les audacieux aviateurs se fussent trouvés en grave péril.
Les photographies de l'expédition Amundsen-Ellsworth-Nobile que
nous publions montrent quel énorme travail a été
effectué au Spitzberg pour préparer un refuge au Norge.
Edifier un pareil hangar sur un sol gelé, par des bourrasques de
neige et des coups de vent incessants, avec des froids de 25 à
30 degrés sous zéro, constitue une oeuvre véritablement
titanesque. Seuls ceux qui ont éprouvé les rigueurs du climat
arctique peuvent se rendre compte de la grandeur de l'effort accompli.
Ainsi que nous l'avons conté précédemment, l'entrée
du Norge dans le hangar s'opéra sans accident, mais non sans de
grandes difficultés, en raison des dimensions exiguës du hall.
Par contre, le 11 mai, la sortie paraît avoir été
assez mouvementée du fait que le personnel était trop peu
nombreux pour maintenir le ballon, si bien qu'au dernier moment les journalistes
présents furent priés de prêter main-forte aux travailleurs.
Au récit du voyage du Norge, que nous avons publié dans
le numéro du 22 mai, la relation officielle de l'expédition
télégraphiée de Nome par Amundsen permet d'ajouter
quelques renseignements, notamment de rectifier les heures de plusieurs
évènements importants du vol. C'est le 12 mai à 2
h. 30, que le pôle fut atteint. A ce moment, le soleil brillait
; on put donc exécuter une bonne observation.
L'arrivée de l'expédition au but se trouve donc dûment
contrôlée. Après cela, le ciel noircit ; pendant tout
le temps que le ballon survola la région inconnue située
entre le pôle et l'Alaska, la brume masqua toute vue. On n'arriva
en vue des premières terres américaines que le 13, à
8 h. 15. Ainsi, en quarante-sept heures, l'expédition a traversé,
de part en part, la calotte arctique du Spitzberg à la côte
Nord de l'Amérique. Ensuite, pendant un jour, le dirigeable fut
ballotté dans la brume, incertain de sa direction, tantôt
faisant route vers le mer, tantôt revenant vers l'intérieur
des terres, au risque de se briser contre les montagnes que les nuages
empêchaient de distinguer. Enfin, le 14, à 9 heures, le Norge
parvint à atterrir à Teller, sur les bords du détroit
de Béring (dans le numéro précédent, par suite
d'une faute d'impression, le 15 mai a été indiqué
comme date d'arrivée). La durée du voyage a donc été
de soixante-douze heures.
Charles RABOT
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