"Je suis arrivée à Yellowknife en août
2002 avec mes deux enfants : Aude, 12 ans et Olivier, 4 ans. Objectif
: passer une année dans le Grand Nord canadien en famille,
sans forcément courir après des chiens de traîneau.
Simplement être ensemble, vivre chaque jour et chaque saison
au mieux de nos possibilités et au gré de nos rencontres.
Avec quatre sacs pour tout bagages, 12 heures d'avion et
24 heures de bus, nous arrivons dans cette ville située
sur le Grand Lac des Esclaces, 62° de latitude nord. Pourquoi
Yellowknife ? Parce que ce lieu m'attire. En préparant
ce séjour, mes amis du Canada et de la France ne cessaient
de me répéter que j'allais au milieu de nulle
part et que je ferais mieux de me diriger vers les montagnes
superbes du Yukon. Mais mon choix était fait et rien
ne pouvait me faire changer d'avis. Les collines érodées
du Bouclier canadien, couvertes de taïga, avaient bien
plus d'attrait pour moi que les cimes touristiques du territoire
voisin. |
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Yellowknife est une petite ville de 18 000 habitants, et pourtant
la plus grosse ville du Grand Nord canadien. Point de départ
de la plupart des excursions vers l'Arctique, lieu de convergence
d'aventuriers, d'ingénieurs, de géologues, de fonctionnaires
et de mineurs, le boum écomique dû à la découverte
de gisements de diamants entraîne des afflux de population
du monde entier. Les cinq continents sont représentés,
plus de 15 églises différentes, au moins une vingtaine
de langues coexistent paisiblement ici. Ma tactique était
simple : me fondre dans la population existante, faire comme d'autres
immigrants qui viennent chercher du travail. En prenant l'initiative
de voyager en tant que femme et mère de famille, sans support
quelconque derrière moi, je me positionnais comme un être
humain, avec ma personnalité, mes atouts et mes faiblesses,
prête à découvrir et à partager.
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Les saisons nordiques furent un émerveillement. Yellowknife
est située en zone très sèche au Canada,
les précipitations sont faibles. A peine un mois de
pluie par an. Environ sept mois de chutes de neige, qui s'accumule
tranquillement d'octobre à mai, pour fondre en deux
semaines début juin.
L'été dure à peu près quinze jours,
entre juillet et août. Il est magnifique, chaud (jusqu'à
30°C), ensoleillé, avec des reflets somptueux sur
les eaux de lacs et de rivières. La forêt a des
couleurs crues de verts dégradés, mélange
d'épinettes, de pins et de feuillus tels que les bouleaux
ou les saules.
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Les couleurs des fleurs sont éclatantes, dans des tons dominants
de rose fushia et de jaune vif. Etant donné qu'en juin le
soleil ne se couche pas, la lumière de l'été
dure longtemps. C'est une bonne occasion de faire des dîners
dans les jardins, avec des ami(e)s. Pendant l'été,
tout le monde vit dehors et part camper le plus souvent possible.
L'automne arrive dès la fin août. Le soleil
est toujours là mais les températures chutent
brutalement entre 15°C et 0°C. Les mélèzes
prennent une teinte jaune tendre en septembre. Le vent commence
à souffler. Dès la mi-octobre, les premières
neiges tombent. N'ayant pas de voiture, je faisais tous mes
déplacements en ville à pied. Cela m'a permis
de "sentir" les différentes textures de neige
sous mes semelles : neige sèche et dure sous les pas
; neige humide et collante à la semelle ; neige en
grains qui crissent en marchant ; neige glaciale chargée
du vent de l'Arctique ; neige poudreuse qui cingle les jambes
; neige douce par un beau matin ensoleillé, ni collante,
ni trop sèche, bref une neige parfaite pour aller faire
du ski. Mais ce n'est pas encore le moment de pratiquer ce
sport puisque les lacs ne sont pas encore gelés. |
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Novembre marque fortement la baisse de luminosité.
Les jours raccourcissent très vite. Mi-décembre,
à 16 heures, mes enfants rentrent de l'école
à la nuit noire. A ce moment de l'automne, le jour
se lève le matin à 10h30 et se couche à
partir de 15h30. Le fait d'avoir de l'électricité
permet de pallier le manque de lumière. Néanmoins,
en plein coeur de février, ça fait déjà
trois mois qu'il fait sombre. Et, certains matins, en me levant,
je me demande si c'est vraiment le matin ou bien si c'est
le soir. Il y a une forme de perte de repères par manque
de lumière. Le soir, on a juste une envie dès
19h : se mettre au lit et dormir, dormir. Une envie qui, fin
février, vous prend aux tripes, au coeur et au cerveau
et il faut faire de gros efforts pour se convaincre d'aller
au boulot ou à l'école. Les températures,
dès janvier, descendent en-dessous de -45°C, pour
deux bons mois. Les lacs gèlent et gagnent une épaisseur
de plus de 1,20 m de glace dans la baie du Grand Lac des Esclaves.
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La ville est toujours active, les gens se visitent les uns les autres.
De nombreuses associations proposent des activités pour tous
les goûts et dans plusieurs langues. L'hiver est la période
idéale pour m'entraîner à la couture de perles
à la façon dénée.
En mars, les températures remontent au-dessus de -40°C
et se maintiennent dans les -30°C à -25°C. On peut
commencer à déboutonner le col du manteau et à
enlever les bonnets. Les habitants sortent les skis, les luges,
les motoneiges. Une sorte de fièvre de sortir dehors s'empare
de toute la population. La durée du jour augmente de près
de 10 minutes par jour. Oh ! Les belles perspectives de camping
dans le bois enneigé. Dès avril, les campeurs s'en
vont passer des nuits dans des tentes de prospecteurs ou dans des
tipis modernes. Les nuits marquent encore -25°C à la
mi-avril, mais comme il fait bon sortir enfin de chez soi. Des mamans
promènent leur bébé sur le lac gelé,
des retraités font des marches rapides en groupes, les avions
se posent encore sur la piste de glace, plus pour très longtemps.
En mai, les routes de glace pour les voitures sont définitivement
fermées, le dégel va commencer bientôt.
Début juin, des sons cristallins résonnent dans la
baie du Grand Lac. La glace romp, la glace se fend en centaines
de morceaux qui, en se dessoudant les uns des autres, vibrent et
rendent des sons comme des verres de cristal qui seraient entrechoqués.
Des amis sont partis un soir en canot pour aller écouter
ces sons, loin de la ville, par une belle nuit enlunée. La
neige en ville fond à toute vitesse. La pluie du printemps
va durer deux semaines et nettoyer la plupart des rues. Mais il
y a tant de déchets mis à nu que les habitants des
quartiers nettoient ensemble, sac poubelle en main, jusqu'aux plus
petits coins de trottoir. Enfin la ville, fin juin, rayonne de sa
propreté retrouvée. Le port accueille les bateaux
de plaisance, les kayaks et les canoes sillonnent la baie et s'aventurent
vers la rivière Weledeh. Les voitures se dirigent sur la
Ingraham Trail pour rejoindre les bords d'un des lacs qui bordent
cet ancien chemin de chasse des Dénés. Tirant leur
bateau, leurs provisions et leurs moyens de secours, les aventuriers
du dimanche vont camper er pêcher pendant deux jours.
Quant à nous, sans voiture pour quitter la ville, nous dépendions
de nos ami(e)s pour faire des balades campagnardes. Les moustiques
sévissent de mi-juin à mi-juillet et je peux garantir
que c'est infernal : avec les petites mouches noires, c'est la plaie
du Nord. Heureusement, cela ne dure pas longtemps et surtout, avec
un bon moyen de protection, ils ne peuvent pas gâcher le plaisir
immense de parcourir, à pied ou en kayak, les merveilleux
coins de nature autour de Yellowknife".
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