"Tant il est vrai qu'un voyage doit son succès aux relations
tissées autour du projet... Une amie habitant à Yellowknife,
Roxanne, a montré tellement d'enthousiasme par rapport à
ma venue en ville qu'elle m'a beaucoup aidée à y voir
clair dans mes possibilités de logement et de travail. Grâce
à ses conseils toujours dynamiques et optimistes, grâce
aussi à son appui auprès d'une régie de logements,
je suis partie avec confiance.
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Par téléphone, j'avais réservé
un appartement de deux chambres auprès de la régie
d'immeubles de Roxanne. Deux semaines avant le départ,
je ne savais pas encore si je pourrais me loger. Etant donné
que c'était l'aspect déterminant pour bien commencer
le séjour, j'attendais avec impatience une réponse.
Et puis, à peu près dix jours avant le départ,
je reçois enfin une réponse positive. Mais il
faut que je choisisse tout de suite un bail de un mois, trois
mois, six mois ou un an, sachant que le loyer avec un bail
d'un an est beaucoup mooins cher. Je coche oralement la case
"bail d'un an". Pour un deux chambres, je devrai
payer 1 345 $ par mois. Tout est compris : les taxes, le chauffage,
l'électricité, l'eau chaude et même une
place de stationnement avec prise électrique. |
En arrivant, j'ai la surprise de découvrir un logement
très propre, avec cuisine équipée, orienté
plein sud, donc vers le soleil. De grandes baies vitrées
laissent la lumière envahir les pièces. Maintenant,
il faut meubler cet appartement. Là encore, grâce
aux conseils de Roxanne et à son prêt ponctuel de
voiture, j'ai pu aller à la "dump" (la déchetterie
municipale) pour récupérer des meubles, de la vaisselle,
des rideaux, des draps, et même des vêtements. Des
pinceaux et de la peinture pour rafistoler les objets trop usagés.
Ensuite, au "flea market" (marché aux puces)
de la paroisse St Patrick, j'ai trouvé des lits, des matelas,
des chaussures et des manteaux d'hiver, des skis, des patins,
des joujoux, des livres, des vêtements de toutes saisons,
des cadeaux, enfin, nous avons pu nous équiper complètement
à des prix défiant toute concurrence.
Les enfants ont commencé l'école francophone
fin août et moi, un emploi à l'association
franco-culturelle de Yellowknife début septembre.
Je pouvais aménager mes horaires de manière
à déposer les enfants et à les récupérer
à l'arrêt du bus scolaire. Même par -52°C,
ils ont été à l'école et moi
au bureau. Car, à Yellowknife, protégée
par la forêt, il n'y a pas de blizzard. Et, comme
c'est l'une des régions les plus sèches du
Canada, il n'y a pas non plus de grosse tempête de
neige humide. Les horaires scolaires étaient très
agréables : école du lundi au vendredi, de
8h30 à 15h30. Deux semaines de vacances pour Noël
et deux semaines en mars. La qualité de vie était
supérieure à celle que je connaissais en France
grâce à ce rythme régulier. Et tout
est fait pour faciliter la vie familiale : bus scolaires
aménagés, horaires fixes et tenus toute l'année,
facilités pour aménager le temps de travail
si on doit s'occuper de ses enfants, activités sportives
et ludiques après l'école si l'enfant le souhaite,
magasins ouverts 7 jours sur 7, cliniques familiales nombreuses
et hôpital bien équipé... Bref, dans
cette ville "au milieu de nulle part", la vie
est douce pour élever une famille.
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L'une de nos gâteries préférées était
sans nul doute le poisson du Grand Lac et du Mackenzie. Toute
l'année, Nancy vend du poisson. Elle habite sur un bateau
et elle coupe des filets de poisson à la semaine longue.
Cette femme a un sourire pour chacun, toujours une blague à
raconter, un geste gentil, une attention pour demander de vos
nouvelles. Elle vend le poisson sur le lac gelé en hiver
et, le reste du temps, en ville. J'achetais souvent du brochet
et du "white fish", parfois du doré. Pour 5 $,
Nancy me donnait l'équivalent de deux kilos de poisson
bien frais. Un jour, elle m'a dit que des Dénés
sont rentrés sur son bateau. L'un des hommes lui dit :
"Donne-nous ton poisson". "Ben ! Je ne peux pas
te le donner, parce que je vis avec ça. Mais je peux t'en
vendre", répond-elle. L'homme s'énerve, il
hausse le ton. Il l'apostrophe : "Dis-donc, tu pêches
dans nos lacs, dans notre territoire et tu attrapes nos poissons.
Ces poissons sont à nous, pas à toi." Nancy
répond tranquillement :"Ecoute, c'est pas ton lac,
c'est pas tes poissons. Moi je paye une patente pour mon entreprise,
donc mon travail est régulier. Si tu veux du poisson gratuit,
va en pêcher toi-même, personne ne t'en empêche".
Et, dans un grand éclat de rire, Nancy aux yeux bleu marine
me sert de splendides filets de "white fish", tout en
serrant son mégot de cigarette entre ses lèvres
encore entrouvertes.
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Une vie tranquille près de ce lac magnifique, dans
cette ville où l'hiver subarctique est supportable
car elle est équipée pour vivre en hiver. Lorsque
la fin de semaine arrivait, je me réjouissais d'avance
à l'idée d'inviter des ami(e)s ou d'en visiter.
Chaque samedi, nous allions à la piscine avec Aude
et Olivier. On prenait un taxi en hiver et j'ai fait connaissance
avec des Somaliens, des Ethiopiens, des Russes, des Hongrois,
des Vietnamiens, et un Jamaïcain qui affichait des versets
du Coran dans son véhicule. Il m'a dit que sa famille
habite à Toronto et qu'il va la voir une fois par an.
Il lui arrive de travailler parfois 24 heures en ligne. Il
est là pour faire de l'argent et partir. Le dimanche,
on pouvait profiter gratuitement des animations au musée
anthropologique et aller à la bibliothèque,
où on trouvait des livres et des cassettes vidéo
en français. Je profitais de l'après-midi pour
préparer les repas jusqu'au mercredi. Car ma fille
emportait sa boîte à lunch pour l'école
et moi la mienne au bureau. Parfois, je préparais du
sucre à la crème, à base de sirop d'érable
importé du Québec. Les fins de semaine en famille
étaient calmes. Dès que le jour est revenu en
mars, on allait faire de la luge pendant toute une après-midi,
c'était très délassant. Les pistes étaient
en pleine ville, nichée entre des petites maisons ou
des blocs appartement. |
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J'avais délibérément choisi de ne pas
avoir d'ordinateur ni de TV à la maison. Les enfants
avaient une Game Boy, Roxanne m'ayant prêté une
TV que j'ai gardée pour regarder des cassettes vidéo
empruntées à la bibliothèque de l'école.
Nous n'avons senti aucun manque. Au point de vue des amitiés
nouées à l'école, elles se sont faites
très rapidement. Aude a eu deux bonnes copines et Olivier
a participé à tous les anniversaires organisés
à la piscine. Les enfants, comme leurs parents, sont
très sociables et veulent profiter de bons moments
ensemble. Quant à moi, de part mon emploi de directrice
de projet NTIC, j'étais en contact avec la population
francophone pour animer des ateliers de formation. J'ai connu
de "belles" personnes, c'est-à-dire des femmes
et des hommes porteurs de projets de vie sains, sincères,
généreux aussi bien dans leurs actes que dans
leurs paroles. Peut-être que ces belles rencontres émergeaient
de disponibilités réciproques, entre eux et
moi, ou entre moi et eux. Je ne me souviens pas qui faisait
les premiers pas, ce n'est pas si important que ça.
Je n'ai gardé que les très beaux moments (repas,
fêtes, balades, visites) passés à partage". |
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