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COUPURE DE PRESSE

LA BELLE AVENTURE DE LA STATION POLE NORD où quatre hommes restent sur la banquise et où quatre avions ont atterri
Source : La Vie Aérienne - N° 89 - 16 juin 1937

La première partie de l'aventure du Pôle Nord a pris fin. Le professeur Otto Schmidt, les quatre avions, pilotés par Vodopianov, Molokov, Mazuruk et Alexiev (celui-ci s'étant trouvé en carafe à quelque 150 kilomètres du but, mais ayant été dépanné par Golovine) les trente hommes, qui avaient installé dans les meilleures conditions possibles la station Pôle Nord, s'en sont allés et sont revenus à l'île Rodolphe (Terre François-Joseph) avant de regagner la Russie. Quatre hommes, quatre volontaires restent au Pôle, où plutôt à la Station Pôle Nord, où ils vont passer un an. Ce sont : Papanine, le chef de la mission ; Kienkel, le radiotélégraphiste ; Chirchov, le biologiste, et Fedorov, le physicien, versé principalement dans les questions de magnétisme et d'astrologie. Les premières recherches ont porté sur le sondage de l'océan. Il fallut dérouler la ficelle jusqu'à 4.300 mètres pour trouver le fond, formé de vase grise. En réalité, ces quatre hommes ne sont pas complètement isolés comme l'étaient autrefois - il y a à peine trente ans - les explorateurs polaires qui, au prix d'immenses efforts, parvenaient à gagner quelques kilomètres. Ils sont en relation constante avec l'île Rodolphe et avec Moscou. Ils peuvent faire la conversation chaque jour, comme chaque jour - en y mettant le prix - un ami de Paris peut échanger ses impressions par téléphone avec un ami de New-York. Si quoi que ce soit leur arrive, ils peuvent demander l'avion au garage de l'île Rodolphe, et en moins de huit heures - à moins que le temps ne soit exécrable - ils seront servis. La science, en deux de ses manifestations - radio et avion - a fait de grandes choses puisque, à présent, il n'y a plus de Pôle Nord, c'est-à-dire qu'il n'existe plus de sérieuses difficultés pour vaincre le Pôle Nord et qu'il ne s'agit plus que d'une adaptation pour en faire un endroit à peu près habitable. La radio n'a plus de secrets maintenant. Quant à l'avion évoluant dans le ciel des régions polaires, on manque encore de précisions sur ses données techniques. Voici, toutefois, quelques renseignements assez vagues, et l'on s'étonne un peu de constater que le ministère de l'Air, qui entretient des relations suivies en ce qui concerne sa partie avec les Soviets, n'ait pas pu obtenir les renseignements les plus complets possibles sur les avions et les moteurs. Voici, en effet, tout ce qu'il faut savoir :

" Les avions utilisés sont des quadrimoteurs analogues à ceux en service dans les unités de bombardement, mais aménagés et équipés en vue des vols dans les régions arctiques. " L'eau de refroidissement des moteurs a été remplacée par un liquide, dont on ne donne pas la composition, qui ne gèle qu'à moins 60° et bout à 150°. " Tous les instruments de bord ont été spécialement construits à Moscou pour fonctionner à basse température. " Les avions sont munis de tous les perfectionnements modernes : pilote automatique, radio-compas, compas solaire, etc. " Les commentaires les plus nombreux se rapportent à l'avion de Vodopianov qui, le premier, a réussi à atteindre le Pôle. Au départ, l'appareil, qui était naturellement muni de skis, pesait au total 24 tonnes et emportait l'essence nécessaire pour un vol de 2.000 kilomètres (aller et retour), plus une réserve correspondant à 500 km. " Le voyage de l'île Rodolphe au Pôle s'est effectué en 7 h. 20, soit à une vitesse moyenne d'environ 150 km.-h. " Pour éviter qu'à l'atterrissage l'appareil ne glisse sur une trop longue distance et, par suite, ne vienne se briser sur quelque glaçon, il était muni de freins aérodynamiques sur lesquels aucune précision n'est donnée. "

Pendant que nous sommes à l'île Rodolphe, qui fait partie de la Terre François-Joseph, donnons quelques précisions sur des détails géographiques de l'archipel que forme cette Terre. Il y a l'île Graham Bell, la baie Helen Gould, le détroit Pieper Morgan, la baie Teplitz, le détroit Neumeyer, le sund Cecil Rhodes, l'île Salisbury, l'île Salm, l'île Harmsworth, le fjord Mabel Bruce, la baie Weyprecht, la baie Gray, l'île Northbrook, le détroit de Bruyne, le canal Aberdare, le cap Leiter. Ainsi sont réunies un lot de célébrités de la fin du siècle dernier des Etats-Unis, d'Allemagne, d'Angleterre, d'Autriche et de Belgique. Ajoutons à cela l'île Rodolphe, à la mémoire du fils de l'empereur François-Joseph, créateur de la Terre. Le départ du Pôle Nord du professeur Schmidt et de sa mission a été solennel. Dans la nuit du 5 au 6 juin, l'expédition avait achevé tous ses travaux d'installation. A 2 heures du matin, par un soleil aveuglant - c'est bizarre, mais il en est ainsi - la station Pôle Nord a été officiellement ouverte. Après un court meeting - vous pensez bien que les Russes, qui ne sont pas bavards pour un kopeck, n'ont prononcé aucun discours - les explorateurs ont hissé le drapeau soviétique et poussé des hourrahs en l'honneur de M. Staline. Dans un message, le professeur Otto Schmidt déclara que ses compagnons et lui avaient quitté le Pôle Nord avec un sentiment de joie et en même temps un certain regret, car le Pôle s'est montré hospitalier à l'égard de la mission.

La grande idée du professeur Otto Schmidt est de faire du Pôle Nord une escale intermédiaire dans les relations futures entre l'Europe, l'Asie et l'Amérique du Nord : par exemple : Moscou-San Francisco ; Londres-Tokio ; New-York-Tokio ; New-York-Shanghaï ; San-Fancisco-Shanghaï. Pourtant, il faut croire que le professeur Schmidt voit grand, très grand, et que peut-être il faudra plus de temps qu'il ne pense pour aménager son Pôle Nord en station balnéaire. Ainsi en a-t-il été des préparatifs. Relisons ce que le professeur Otto Schmidt avait déclaré aux journaux russes avant son départ vers l'île Rodolphe, puis de là au Pôle.

" Embarqués à l'île Rodolphe, une centaine d'hommes connaissant les régions polaires : architectes, géologues, médecins et aussi une expédition cinématographique, seront lâchés au Pôle Nord par le seul moyen pratique actuel d'atteindre le Pôle : le parachute. " Ce sera durant un mois, tandis que les cinq appareils construits spécialement pour le Pôle se relaieront, une véritable pluie d'hommes tombant sur la glace. Mais auparavant, pendant les deux à trois premières semaines, trois de nos appareils seront uniquement réservés au transport du matériel : bois, poutres de fer, ustensiles nécessaires à l'aménagement de la vie pratique des colons du Pôle. " C'est qu'en effet il est indispensable que ceux-ci, en arrivant sur la glace, puissent vivre dans des conditions de confort relatif. " Nous lâcherons aussi des chiens et des traîneaux au-dessus du Pôle. Les chiens seront fort utiles pour aider les hommes à tirer les pièces de bois et les poutrelles qui, souvent, seront tombées assez loin de l'endroit voulu. " Ce n'est qu'au bout d'un mois et demi que l'équipe du Pôle Nord sera au complet et que la presque totalité du matériel sera apportée. " Etc., etc., etc.

Or il ne s'est rien passé de tout cela. On n'a pas lancé la pluie d'hommes sur le Pôle, non plus que le matériel, les traîneaux et les chiens. On s'est contenté de faire atterrir - si j'ose dire - quatre avions avec leur personnel et le matériel et les approvisionnements nécessaires à la vie de quatre hommes durant près d'une année. Et c'est beaucoup mieux ainsi, car il a été prouvé que les avions pouvaient se poser sur la glace sans dégâts en sept occasions et en repartir : Vodopianov, Alexiev, Molokof au Pôle ; Mazuruk à 60 kilomètres du Pôle, puis au Pôle ; Alexiev et Golovine, à quelque 150 kilomètres de l'île Rodolphe. C'est là la plus belle aventure du Pôle. On n'a pas eu besoin de lancer tout et tout par parachute. Les quatre avions, pouvant transporter une respectable charge utile, ont déposé tout le matériel avec lequel on a pu édifier une maison en bois pour le logement des quatre savants, ainsi que le matériel nécessaire au dépôt des approvisionnements d'une année. L'emploi de l'avion, au point de vue technique, est non seulement un succès, mais un triomphe, de même que l'organisation de l'expédition minutieuse, méthodique et ordonnée est un triomphe. Mais n'oublions pas que nous sommes en Russie, le pays où l'imagination est très vive et très fertile. On se laisse aller au rêve, et le rêve, croit-on, devient réalité. Aussi faut-il être un peu sceptique quant à l'utilisation de ce Pôle Nord, tournant et parfois vagabond, qui tourne comme un manège autour de ses degrés, à son utilisation comme escale de grandes lignes de navigation. Car, d'abord, on y voit clair ou à peu près pendant six mois, mais le reste du temps il y fait nuit. Et comment imaginer un Pôle Nord enfoui dans les ténèbres ? Y fera-t-on venir l'électricité pour l'éclairer ? J'admire le professeur Otto Schmidt quand il déclare, dans la Pravda, que la première ligne aboutira à San Francisco et que cette première ligne sera mise en exploitation dans le courant de l'année prochaine. Je l'admire encore quand il dit : " Le terrain d'atterrissage sera exécuté entièrement en bois ignifugé. Sur une longueur de près de deux kilomètres et sur une largeur de cinq cents mètres, la glace sera tout d'abord nivelée. Puis, plus tard, elle sera recouverte d'une sorte de plancher fait de madriers que, durant six mois, les appareils de relais ne cesseront de faire pleuvoir du ciel… " Ces madriers seront d'abord assemblés entre eux, puis scellés dans la glace, tandis qu'à une extrémité du " terrain " une véritable ville naîtra. " Ce ne sera plus, cette fois, un camp de baraquements provisoires, mais une vraie ville, construite à la manière de toutes les cités nordiques. Un hôtel très important sera monté dès la fin des travaux et pourra abriter - au nombre d'une centaine - les voyageurs qui désireraient passer quelques temps au Pôle avant de repartir pour l'Amérique. "

Quand on connaît les difficultés qu'il y a déjà à installer un aérodrome sur terre ferme, à niveler le terrain, à le drainer, à édifier des hangars, à stocker du carburant, on reste confondu devant l'optimisme du professeur Schmidt, qui toutefois ajoute : " La Station Pôle Nord sera, plus tard, aménagée en ville complète. Ce sera, pourrait-on dire, une oasis dans les glaces. Mais, pour l'instant, ceux qui sont les pionniers de cette grande œuvre devront, un an durant, travailler par des températures atteignant parfois moins 60°. "

Le professeur Schmidt, ici, revient à la réalité. On pourra peut-être faire du transport entre Moscou et San Francisco, mais il faudra donner au public de telles garanties quant à un voyage sans chaud-et-froid, avec tout le confort désirable - quoique ce voyage ne puisse durer plus de trente heures - qu'on peut douter du succès de la ligne pour l'an prochain.

Robert GUERIN



La grande aventure de Papanine : Coupure de Presse :
Ivan Dmitrievitch Papanine (1894 -1986) • La belle aventure de la station Pôle Nord
Les préparatifs de la grande aventure • Photos reportage
274 jours de dérive Voir aussi :
Les découvertes scientifiques • Vols russes - Une station et deux vols transpolaires
Après l'exploit • Les bases dérivantes en Arctique


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