Pêche industrielle sur le grand lac des Esclaves
Hearne Samuel
De 1770 à 1772, l'explorateur Samuel Hearne (1745-1792) qui
travail pour la Compagnie de la Baie d'Hudson effectue son troisième
voyage dans le Grand Nord canadien accompagné par Matonabee,
chef indien Chippewyan ( voyage commencé le 7 décembre
1770 - ses expéditions sont pour l'ensemble menées dans
le cadre de prospections minières, notamment à la recherche
de cuivre).
Lors de ce périple, il traverse plusieurs lacs en se dirigeant
vers le nord, le lac Island le 1er janvier 1771, le lac Partridge
le 7 février, le lac Clovey le 3 mai, le lac Peshew ...
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Le 13 juillet il atteint la rivière du Cuivre et continue son chemin
vers le nord. Il assiste à une tuerie entre les Indiens qui l'accompagnent
et des inuits. Ils arrivent finalement sur l'embouchure de la rivière
et découvrent l'Océan Arctique précisément au
golfe Coronation (71°45'N). C'est le 18 juillet 1771 qu'il entame le
chemin du retour.
Après avoir franchit de nouveau plusieurs lacs, ils traversent de
nord en sud le lac Athapuko - Le Grand Lac des Esclaves - du 24 décembre
au 9 janvier. Ils arrivent après 18 mois de voyage au fort Prince
de galles le 29 juin 1772.
Hearne a parcourut plus de 5 600 kilomètres. Il est sûrement
le premier Blanc à atteindre l'océan Arctique en passant par
le continent, il a par la même occasion sans le savoir aperçu
le Passage du
Nord Ouest.
Il a donc découvert le Grand lac des Esclaves et le réseau
fluvial de la rivière Mackenzie. S'il est rentré dans l'anonymat
et peu glorieux de son voyage, nous lui dédions cet article, trouvé
sur une étale de brocante, article paru dans un journal lui aussi
oublié: Mécanique Populaire.
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Où
la pêche est un rude métier
Mécanique populaire - octobre
1951 |
Un
voyageur, revenant transi d'une randonnée
aérienne au-dessus de la zone arctique canadienne,
fit cette réponse à un journaliste
qui l'interrogeait:
" Le Nord ? eh bien mon vieux, il n'y a rien
pendant des kilomètres et des kilomètres
si ce n'est des kilomètres et des kilomètres
de rien! . Il y a quelque chose de vrai dans cette
appréc1ation. Un vol en hiver au-dessus du
nord découvre des centaines de kilomètres
de terres nues rendues croûteuse par le vent,
de lacs et de rivières gelés. Après
des heures de vol, le terrain ne semble plus limité.
La plupart des coureurs du Nord Sont du même
avis que ce voyageur, avec cependant quelques réserves. Il
y a vraiment des kilomètres et des kilomètres,
mais il y a aussi une industrie et une activité,
et en puissance, ainsi qu'il est reconnu, une richesse
considérable et de grande portée.
Des rapports sont arrivés récemment
des territoires du Nord Canadien, indiquant de nouvelles
découvertes d'or et de métaux de première
nécessité.
Les gisements d'uranium du Grand Lac de l'Ours jetèrent
un certain émoi à la suite de l'utilisation
des bombes atomiques. Dans le Nord, d'autres richesses
moins spectaculaires augmentent l'importance de
ces régions lointaines.
Si l'avion de ce voyageur était un peu descendu
sur le Grand Lac des Esclaves, il aurait remarqué
des douzaines de petites constructions en bois dont
certaines à 40 km du lac. |
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Une
inspection faite de plus près lui aurait révélé
des hommes affairés à côté
de ces constitutions, des attelages de chiens circulant
sur la neige et la glace et des autos de neige faisant
la navette entre les camps et le rivage. Le trafic aérien
lui-même, qu'il a pu remarquer dans cette région,
joue un rôle vital dans l'industrie au sol. Les
hommes éparpillés dans cette vaste étendue
étalent des pêcheurs d'hiver et les constructions
des abris en peaux. Les attelages de chiens transportaient
rapidement le poisson pour son nettoyage et son empaquetage,
emmenaient les hommes et leurs filets vers de nouveaux
emplacements.
De là, des autos de neige et des avions conduisaient
le poisson au point d'embarquement sur camions à
Hay River où il était emporté par
train jusqu'aux marchés de New York et de Chicago.
Le Grand Lac des Esclaves s'étend sur 30 000 km².
C'est,
par ses dimensions, le douzième dans le monde,
et le cinquième de l' Amérique du
Nord, il a 525 km de longueur et une largeur moyenne
de 80 km, sa profondeur, par endroits, dépasse
600 m. Son existence fut découverte en I772.
Son nom ,vient des esclaves Indiens qui occupaient
ses rives.
Le lac prit soudain de l'importance ces dernières
années quand on découvrit des gisements
d'or près de Yellowknife. Depuis lors, par
suite des travaux gouvernementaux, le lac fut ouvert
au commerce de la pêche et sa première
production date de l'été 1945. Cet
hiver, plus de 600 pêcheurs ont chaque jour
lancé leurs filets dans les trous de la glace
du Grand Lac des Esclaves pêchant le poisson
blanc et la truite pour essayer de satisfaire la
forte demande des Etats-Unis et du Canada. |
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Abri d'un pêcheur
sur le lac |
L'ouverture
d'une nouvelle route franchissant la région du
Nord entre Grimshaw (Alberta) et Hay-River à
la pointe sud-ouest du lac est en grande partie la cause
de l'afflux sans précédent de pêcheurs
venant de presque toutes les parties de l'ouest. du
Canada. L'amélioration apportée aux transports
par cette route qui mène directement à
une tête de voie ferrée, fit naître
des espoirs de bénéfices financiers qui
furent réalisés par de nombreux pêcheurs
professionnels, mais perdus pour la masse de tous les
inexpérimentés qui vivent en troupe à
Hay-River. En vue de la protection et de la prolongation
de cette industrie, le gouvernement canadien fixa au
début de la saison de pêche d'hiver un
chiffre limite de 700 tonnes, la pêche devant
cesser immédiatement dès que ce chiffre
serait atteint. Les autorités augmentèrent
leur chiffre jusqu'à deux mille tonnes peu après.
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Bien
que la possibilité de devenir rapidement
riche soit en général une tromperie,
il n'y a aucun doute qu'un pêcheur expérimenté,
sachant utiliser le temps et tuer le poisson, puisse
faire une excellente saison dans son hiver. C'est
un supplément appréciable à
la plus vaste rémunération de l'état.
Mais, c'est une vie rude et hasardeuse qui nécessite
des ressources et une résistance formidable
contre le froid que les vents arctiques apportent
des régions polaires et qui brise les énergies.
Plus d'un pêcheur en germe est reparti, sagement
d'ailleurs, vers le sud, de bonne heure cette année
dès que la température au Grand Lac
s'est abaissée au dessous de -50°.
La plupart des risques et des épreuves viennent
du temps et de l'état de la "glace.
Avec les variations des températures, de
grands craquements et des crêtes apparaissent
sans prévenir si ce n'est par le terrifiant
" gurrurmp ), grondement de tonnerre bien familier
des pêcheurs d'hiver. Un blizzard peut survenir
avant que la surface ait de nouveau gelé,
bouchant complètement la fissure avec de
la neige. Le danger est évident.
Les crevasses et les arêtes vives, provoquées
par les pressions, sont imprévisibles. En
décembre dernier, un pêcheur de Hay
River avait parqué son camion près
de son abri à environ 13 km du rivage. Le
lendemain, plus de traces de camion, si ce n'est
l'évidence certaine que ta glace s'était
ouverte et l'avait absorbé sous 25m d'eau.
Une autre fois, un
bouleversement de la glace créa une surprise
désagréable pour cet ancien parachutiste
de l'armée canadienne qui péchait
avant guerre, et reprit son métier après.
Il était juste en train d'accéder
à sa couchette quand sa tente se mit à
faire des embardées, le déposant lui,
les plats, et tout ce qui n'était pas cloué,
en tas, au milieu du plancher. Il alla jusqu'à
la porte pour trouver une arête de glace produite
par la pression devant sa porte. Quelques pas de
plus et cette arête (certaines ont jusqu'à
6 m et plus) aurait pu renverser sa tente et peut-être
même la retourner sens dessus dessous.
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La
plupart des caractéristiques mécaniques
de base de la pêche sont inchangées depuis
l'origine. Pour les transports c'est différent.
Les progrès de la Corporation des produits Mc
Innes en est un exemple.
Les
opérations hivernales de Mc Innes commencèrent
dans le courant du 20e siècle. Des chevaux
ramenaient les poissons gelés des campements
dans le Saskatchewan jusqu'à la voie ferrée,
parcourant cette distance par une combinaison
de relais sur les routes d'hiver. Plus tard apparut
un avion qui transportait le poisson jusqu'à
des voitures conditionnées et permettant
de diriger rapidement le chargement vers le sud.
En 1946, la Société acheta trois
avions Anson et un Douglas. Celui-ci fonctionnait
l'hiver dernier sur le lac enlevant chaque fois
quatre tonnes de poisson frais ou gelé
de l'étab1issement principal Mc. Innes
à la Baie de Caribou Jusqu'à Hay
River. |
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A partir de Hay River, les Sociétés ont
toutes des camions jusqu'à Grimshaw, terminus
de chemins de fer de l'Alberta du Nord. Pour que le
Grand Lac des Esclave: puisse prendre la place normale
qu lui revient, il est de première importance
d'accélérer les manipulations. Les Sociétés
de pêche ont utilisé plusieurs méthodes
pour sortir rapidement le poisson de la glace et l'expédier
sur lès marchés. La machin. la plus révolutionnaire
sur le lac est l'auto des neiges, le " Bombardier
", véhicule fabriqué à Québec,
qui s'est avéré d'une valeur inestimable
pour la pêche sur le Grand Lac.
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Mus
par un moteur Chrysler et montés sur chenilles
en caoutchouc, ces " Bombardiers " en
contreplaqué sont au nombre d'une vingtaine
environ à Hay River, faisant rapidement
le tour des pêcheurs à des kilomètres
au large du lac. Ces voitures font 70 km à
l'heure avec une charge utile de 500 kg de poisson
; elles triplent ce poids quand les poissons sont
chargés dans un traîneau aux patins
acérés au lieu de l'être dans
e compartiment de fret de la voiture elle-même.
Utilisées par toutes les grandes sociétés,
ces voitures remplacent rapidement les camions,
car voitures sont plus sûrs et accélèrent
beaucoup le ramassage du poisson.
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Les
outils du pêcheur de métier n'ont pas beaucoup
varié au cours des années. deux changements
sont a noter. L'amélioration la plus importante
fut l'introduction d'un dispositif ingénieux,
facilitant la pose des filets en permettant de les tirer
avec une corde sous la glace.
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Ces
appareils en bois, de 2,40 m de long, sont passés
dans les trous creusés dans la g1ace par
les pêcheurs et la corde est attachée
solidement à un bras monté sur charnières
et passant dans une fente de l'appareil.
Quand
on a tiré sur la corde, l'appareil avance
sous la glace. En relâchant la corde, l'appareil
actionne un ressort qui ramène en arrière
le bras moteur. Celui-ci frappe alors la glace
avec la pointe acérée qui se trouve
à sa partie supérieure. Ces chocs,
que le pêcheur entend même quand la
glace a une grande épaisseur, lui permettent
de suivre l'avancement de l'appareil et de savoir
exactement où il lui faudra percer le second
trou. L'appareil est remonté à travers
celui-ci et la corde courante est détachée. |
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Les
filets, plombés (soit avec des pierres, soit
avec du plomb) pour la pêche au fond, comportant
des flotteurs en bois pour rester droits, sont alors
attachés à fa corde et tirés
sous la glace. Quand on songe que les premières
méthodes pour poser les filets utilisaient
des perches encombrantes, l'utilité de cet
appareil pour l'industrie peut être appréciée
à sa valeur. Actuellement les pêcheurs
posent leurs filets par bandes de 100 m entre trous
avec beaucoup plus de facilité et de sécurité.
Le matériel du pêcheur est simple,
mais efficace. Pour tailler le trou dans la glace
il utilise une broche. Son ciseau à glace
est pratique pour finir les bords du trou afin que
les filets puissent être tirés ou mis
en place sans accroc. Il possède en général
une pelle pour enlever les débris de glace.
Récemment la broche circulaire a été
remplacée par une barreà trois côtés
plus efficace.
Pour la pêche sur le Grand Lac des Esclaves
il est précisé par la loi que les
filets utilisés doivent avoir une maille
d'au moins 14 cm. Cette règle est évidemment
faite pour la conservation du poisson en limitant
la taille de ceux qui peuvent être pris au
filet.
Pour dix dollars de frais d'autorisation, le pêcheur
peut poser 1000 m de filet.
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En
plus de son équipement qu'il loue ou achète,
le pêcheur est responsable de sa hutte ou
de ses tentes, les dépenses de nourriture
sont à sa charge.
Chaque matin, il emmène 10 à 15 paires
de mitaines de laine, car il en change dès
qu'elles deviennent humides. Des sortes de combinaisons
avec des fermetures convenables constituent le vêtement
courant.
Le pêcheur travail généralement
en équipe avec un, deux ou trois autres,
car le travail d'un seul homme n'est pas productif.
En règle générale, les pêcheurs
sont associés, ou bien l'un d'eux est le
patron avec deux hommes qu'il loue. A l'occasion
la pêche devient une histoire de famille.
Les hommes accomplissent la rude et pénible
tâche de poser et retirer les filets, tandis
que les filles de la famille s'occupent de l'empaquetage.
Les équipes vivent réunies dans les
huttes sur les rives du lac ou dans des tentes au
large du lac. |
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Les
tentes sont faites de peaux et peuvent être halées
par les " Bombardiers " chaque fois que le pêcheur
décide de suivre le poisson qui a tendance à
émigrer vers des eaux de plus en plus profondes
à mesure que le temps devient plus froid. Chaque
partie ou la totalité des filets est relevé
et les poissons retirés.
Ils
sont aussitôt nettoyés, le pêcheur
employant pour cela le couteau de boucher à
bout rond, qui lui permet de faire le travail
en deux coups de couteau bien placés. Le
premier ouvre le poisson, le deuxième en
retire prestement toutes les entrailles.
Les poissons frais sont empaquetés dans
des caisses de bois avec de la glace, cependant
que le poisson gelé est souvent mis en
carton sur place pour être emmené
plus tard. Le poisson blanc et la truite sont
recherchés par tous les pêcheurs
du Grand Lac, car la rémunération
varie selon la prise aussi bien que selon la quantité.
Quand, dorénavant nos lecteurs canadiens s'assiéront
devant un plat de poisson du Grand Lac da Esclaves,
ils penseront à ces histoires et aux kilomètres
et kilomètres de rien, si ce n'est des
kilomètres et des kilomètres. Ayez
aussi une pensée pour le nordiques endurcis
et les familles indiennes qui bravent les rigueurs
de l'Arctique pour poser leurs filets.
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