Un sous-marin brise-glace pour
transporter le pétrole
de l'Alaska
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Un
pétrolier sous-marin
brise-glace
Mécanique populaire - 1970 |
Le
bâtiment qui ressemble étrangement
à un sous-marin brise sur sa route la couche
de glace d'un mètre cinquante d'épaisseur,
son étrave labourant littéralement
la masse blanche et dispersant autour de lui d'énormes
morceaux. Il double la passe de Melville en progressant
lentement mais régulièrement vers
un port du Groenland. A environ quatre mètres
cinquante derrière lui il remorque une
gigantesque péniche cylindrique à
moitié immergée. Elle transporte
du pétrole brut extrait à Prudhoe
Bay, dans le Nord de l'Alaska.
ICEBERG en vue annonce un spécialiste
qui surveille le radar installé dans la
salle de contrôle. Et il ajoute:
- Distance : six mille yards (4600 mètres).
L'obstacle mesure au moins vingt-cinq kilomètres
carrés et sa hauteur atteint une trentaine
de mètres. Quatre mètres seulement
sont au-dessus de la surface, le reste est sous
l'eau.
Le commandant examine la situation et décide
que contourner l'iceberg prendrait trop de temps.
- Préparez-vous à plonger, ordonne-t-il.
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Le
kiosque du sous-marin, qui n'était qu'à
demi-sorti disparaît lentement à l'intérieur
de la coque puis le submersible, l'avant toujours dirigé
vers 11ceberg, plonge rapidement en entraînant
derrière lui sa péniche, comme une gigantesque
baleine qui viendrait d'être harponnée...
Cet
épisode est encore du domaine de la science fiction,
mais il deviendra peut-être très rapidement
une réalité.
La découverte, en 1968, dans le nord de l'Alaska,
des plus formidables gisements de pétrole jamais
décelés en Amérique du Nord a immédiatement
posé un sérieux problème.
Comment transporter ce pétrole depuis les glaces
polaires jusqu'aux raffineries américaines, particulièrement
celles situées sur la côte est des Etats-Unis
?
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Jusqu'à
présent trois solutions, dont deux classiques,
étaient offertes.
1. Construire un oléoduc. Au stade actuel
des prévisions cet oléoduc relierait
Prudhoe Bay près des gisements, à
un port de la côte sud de l'Alaska, à
1 280 kilomètres de là. Les travaux
coûteront un milliard de dollars et il faudra
encore transporter le pétrole de l'Arctique
vers la côte est des U.S.A.
2. L'utilisation d'un pétrolier brise-glace
Elle pose des problèmes car il est douteux
que des bâtiments de fort tonnage comme
le "S.S. Manhattan", qui fut le premier
navire de commerce à conquérir le
passage du Grand Nord, puissent opérer
de cette manière toute l'année,
ce qui est indispensable pour assurer le succès
commercial de l'opération. Un bâtiment
comme le "Manhattan" possède
une étrave trop large. Il na pas assez
de puissance pour se frayer un chemin à
travers une glace épaisse, et il est trop
long pour manoeuvrer entre les icebergs. Lorsqu'il
a accompli son exploit, le " Manhattan "
na trouvé devant lui généralement
que de la "glace d'été"
atteignant à peine trente centimètres
d'épaisseur par endroits. Et pourtant le
gros cargo s'est trouvé parfois bloqué
au point qu'il du demander l'aide d'un brise-glace.
En outre sa coque a été endommagée,
On imagine ce qu'un super pétrolier deviendrait
lorsque la glace, en hiver, atteindrait un mètre
cinquante à deux mètres dix d'épaisseur,
parfois même quatre mètres cinquante
par endroits, et que sa route serait parsemée
de blocs de glace qui peuvent atteindre jusqu
à douze mètres d'épaisseur.
3. Un pétrolier sous-marin à propulsion
nucléaire. C'est la General Dynamics Corporation
qui propose de construire de tels bâtiments
capables de transporter 170000 tonnes de pétrole.
Ils ne progresseraient que sous l'eau et ne pourraient
pas briser la glace.
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Amory H. Waite Junior |
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Dr.
Marcel J.E. Golay |
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Deux
spécialistes américains, Amory H.
Waite Junior, un électronicien de l'armée,
en retraite, dont la spécialité
consistait à inventer des moyens de mesurer
l'épaisseur de la glace en se servant d'ondes
à haute fréquence, et le Docteur
Marcel J.E. Golay, un physicien qui a également
appartenu à l'armée, ont formulé
de sérieuses critiques en ce qui concerne
ces projets.
Waite, qui pendant trente-cinq ans a parcouru
plus de 100000 miles nautiques sur des brise-glace
participant à douze expéditions
arctiques, et onze antarctiques, a souligné
les difficultés que rencontrerait un pétrolier
brise-glace. Il sait de quoi il parle: c'est lui
qui, en 1934, a réussi, avec laide de deux
compagnons, à sauver l'amiral Richard
E. Byrd tombé malade alors qu'il occupait,
seul, un avant-poste de l'Antarctique. Waite a
reçu la médaille du Congrès,
l'une des plus hautes récompenses américaines,
pour son acte d'héroïsme.
De son côté, le Docteur Golay qui
est actuellement ingénieur en chef à
la Perkin Elmer Corporation où sont fabriqués
des appareils à usage scientifique de haute
réputation, précise que le coût
de construction d'un sous-marin, nucléaire
est actuellement trop élevé. Le
Docteur Golay qui est à l'origine de nombreuses
réussites scientifiques, notamment la mise
au point d'un détecteur de son pendant
la dernière guerre, et qui est l'inventeur
d'un détecteur fonctionnant à l'infrarouge,
s'est associé à Waite pour mettre
au point un système qui permettra de transporter
le pétrole de l'Alaska vers la côte
est des Etats-Unis en passant sous les glaces
du pôle.
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Capacité
totale de 160 000 tonnes de pétrole brut. Le
sous-marin qui fait fonction de locomotive, commence
à remorquer la péniche en eaux relativement
profondes. Outre les câbles classiques, les deux
bâtiments sont réunis par des câbles
permettant d'établir des communications et de
transmettre de l'énergie électrique à
l'un ou l'autre. De cette manière, lorsque l'accouplement
est réalisé, la barre de la péniche
est commandée depuis le sous-marin remorqueur.
Les bâtiments soit en surface soit sous l'eau,
selon les difficultés qu'ils peuvent rencontrer.
Dans une mer démontée, par exemple ils
progresseront plus rapidement sous l'eau, en utilisant
le Snorkel du sous-marin permettant de servir de se
servir des moteurs Diesel. Si la glace devient trop
épaisse, ils progresseront en dessous et le kiosque
du sous-marin sera complètement rétracté.
Mais si la glace n'a que trente centimètre, ou
moins d'épaisseur, le kiosque sera sorti et l'avant
très profilé brisera la glace. Si celle-ci
atteint environ un mètre cinquante d'épaisseur
les deux bâtiments progresseront en surface et
l'avant en forme de soc du sous-marin pratiquera un
passage.
Si
des difficultés surgissent la péniche
utilisera ses propres moyens de propulsion et se contentera
de suivre le sous-marin qui fera uniquement le travail
d'un brise-glace. Le sous-marin remorqueur et la péniche
se dirigeront de cette manière vers un port du
Groenland du sud où le pétrole sera transféré
à bord de pétroliers classiques qui rejoindront
ensuite les raffineries de la côte est des Etats-Unis
pendant que le sous-marin, remorquant sa péniche
lestée d'eau retournera Trudhoe Bay. Ces transports
pourront s'effectuer toute l'année.
Par ailleurs, la profondeur des fonds sous-marins au
large de la côte-nord de l'Alaska tend à
se réduire considérablement à partir
de 50 miles. Les péniches peuvent être
cependant chargées très près du
rivage car elles se séparent en quatre sections
dont chacune peut évoluer par des fonds très
réduits. Le pétrolier brise-glace, et
le sous-marin nucléaire doivent disposer d'une
profondeur plus grande, pour pouvoir charger.
Le système Waite-Golay peut même être
développé. Le sous-marin tracteur sera
en effet capable de remorquer d'énormes péniches
de plus de trois cents mètres de long, ce qui
rendra ces transports encore plus économiques.
Le Docteur Golay estime que de telles péniches
pourraient transporter 240000 tonnes de pétrole
d'un seul coup. Si, par la suite, le besoin s'en fait
sentir, le sous-marin remorqueur pourra fonctionner
à l'énergie nucléaire.
En résumé, ce système est remarquablement
bien imagIné. Il reste à déterminer
s'il l'emportera sur les autres moyens actuellement
envisagés. Waite et Gotay ont breveté
leur invention et ils sont actuellement en pourparlers
avec plusieurs des compagnies pétrolières
qui s'intéressent aux gisements arctiques.
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Commentaires :
Si ce " retour vers le futur " nous
parait un peu fantaisiste, sa présentation " populaire
" n'est pas dénuée d'intérêt, voici
quelques explications et commentaires sur la situation en 2006 :
En 1960, les compagnies pétrolières explorèrent
pour la première fois la zone qui entoure la mer de Beaufort,
au nord de l'Alaska. En 1968, on estimait qu'elle équivalait
à 25 % de réserves avérées de pétrole
brut des USA et 10 % de leurs réserves de gaz. Prudhoe Bay
est le plus grand gisement de pétrole en Alaska, il fut découvert
en 1968 et mis en exploitation en 1977.
Ces réserves initiales de 13 milliards de barils en font
le plus gros gisement des Etats-Unis, et le deuxième d'Amérique
du Nord.
Le pipe-line "Trans-Alaska Pipeline" exploité aujourd'hui
par Alyeska Pipeline Service Company, traversant l'Alaska de nord
en sud de Prudhoe Bay à Valdez sur les côtes du Prince
William Sound dans le golfe de l'Alaska sur environ 1300 km fut
inauguré en 1977 permettant l'exportation du pétrole
de Prudhoe Bay.
Le coût de construction de cet oléoduc se chiffrait
entre 8 et 9 $US milliards.
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En 1989, se sont 127.500 litres d'hydrocarbures qui se sont échappés
du pipe line, cette même année le pétrolier Exxon
Valdez, échoué dans le détroit du Prince-William
a répandu 11 millions de barils de pétrole dans les eaux
de l'Océan.
Depuis 1996, les champs de pétrole de Prudhoe Bay et Trans-Alaska
Pipeline ont causé en moyenne 427 déversements par an, pour
la plupart des déversements de diesel et de pétrole brut.
En mars 2006 un important déversement de pétrole a eu lieu
dans la région de Prudhoe Bay, conséquence de l'apparition
d'un trou sous l'effet de la corrosion dans une conduite de cinq kilomètres
rejoignant l'oléoduc trans-Alaska. La rupture a provoqué
la fuite d'au moins 220.000 litres de brut dans la toundra. L'incident
dépasse par son ampleur une précédente pollution
de 32.000 litres de pétrole dans cette même région
du North Slope en 2001.
L'administration Bush, envisage d'ouvrir à l'industrie du pétrole
et du gaz ce territoire, qui se trouve dans l'Arctic National Wildlife
Refuge, une réserve naturelle d'environ 73 000 kilomètres
carrés. L'intérêt économique du projet semble
faible au regard de son impact écologique, l'administration Clinton
en 1998 avait empêché l'exploitation pétrolière
de cet écosystème.
Or l'exploration des plates-formes continentales de l'océan Arctique
pourrait au cours des prochaines décennies faire du Grand Nord
l'une des principales régions productrices d'hydrocarbures du monde.
Quant aux problèmes de navigations en zone arctique le problème
risque d'être réglé d'ici une trentaine d'années,
la banquise d'été devrait avoir tellement fondu libérant
le passage du Nord-Ouest. Des navires classiques seront peut être
même capables de le franchir.
Des problèmes de frontières et de droits maritimes apparaîtront,
le pétrolier américain S.S. Manhattan et le brise-glace
Northwind, en 1969-1970, puis le brise-glace américain CGS Polar
Sea, en 1985 - ont projeté au premier plan la question de la souveraineté
effective du Canada sur son territoire arctique et suscité un débat
public - le gouvernement canadien a instauré en avril 1970 des
projets de prévention de la pollution dans les eaux arctiques et
en 1986, le a proclamé sa souveraineté sur les eaux intérieures
de l'Arctique, mais les États-Unis et les autres puissances n'ont
jamais reconnu cette proclamation se basant sur le principe d'eaux internationales.
Il est a noter que les recherches fructueuses gazières effectuées
au Canada ne sont pas sans poser de problèmes en terme de transport
du gaz soit du delta du Mackenzie à l'Alberta ou soit du delta
du Mackenzie à Prudhoe Bay par gazoduc qui pourrait être
même sous-marin.
Sources pour approfondir le dossier des intentions canadiennes :
La
souveraineté du Canada dans l'Arctique
Division des affaires politiques et sociales - janvier
2006
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