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Accueil -> Rubriques -> Routes polaires -> EXPEDITION DE " LA RECHERCHE "

LES ROUTES POLAIRES

VOYAGES DE LA COMMISSION SCIENTIFIQUE DU NORD, EN SCANDINAVIE, EN LAPONIE,
AU SPITSBERG ET AUX FEROE, PENDANT LES ANNÉES 1838, 1839 ET 1840.




  RÉSUMÉ. - Entre 1838 et 1840, la corvette La Recherche effectue une expédition en Scandinavie dont la mission était principalement d'ordre scientifique : observations géologiques, zoologiques, botaniques, physiologiques et, plus accessoirement, quelques études en sciences humaines.
Paul Gaimard, médecin de la Marine et naturaliste était à l'origine de cette entreprise qui représente un des premiers exemples de coopération scientifique internationale puisque dix chercheurs scandinaves y participaient.

INTER-NORD n°20, 2002
 
par Einar-Arne DRIVENES

Université de Tromsø, Norvège.

" Par cette belle entreprise, la France a inauguré l'ère des explorations scientifiques dans l'Arctique et a donné un exemple fécond que les autres nations maritimes ont suivi, mais qu'elle-même a oublié. "
Charles Rabot (1935)

MOTIVATION, HISTOIRE DE LA RECHERCHE ET COOPÉRATION INTERNATIONALE   UTILITÉ DE L'EXPÉDITION POUR LES AUTORITÉS FRANÇAISES
L'EXPÉDITION QUE LA FRANCE A OUBLIÉE   UNE EXPEDITION DE RECHERCHE ARCTIQUE
DÉLIMITATION DE L'ARCTIQUE   LE PROGRAMME DE L'EXPEDITION
L' " EXPEDITION DE LA RECHERCHE " DANS L'HISTOIRE DE LA RECHERCHE   ... NI RACE HUMAINE, NI LANGUE, NI TRADITIONS, NI HISTOIRE... "
L'EXPÉDITION DE SAUVETAGE DEVIENT UNE EXPÉDITION DE RECHERCHE   COOPÉRATION INTERNATIONALE
ETUDE DES ARCHIVES   UNE EXPEDITION EN AVANCE SUR SON EPOQUE
LES MOTIFS DE L'EXPÉDITION    
     

Le 13 juin 1838, la corvette La Recherche quitte le port du Havre pour se diriger vers le nord, avec à son bord une commission scientifique chargée par le ministre de la Marine française de procéder à des observations scientifiques.

La commission est dirigée par le Français Paul Gaimard, médecin de la Marine et naturaliste. Aux scientifiques français, se joignent des savants danois, norvégiens et suédois. Pendant trois années, La Recherche effectuera trois expéditions d'été aux îles Feroë, dans le nord de la Norvège, dans la mer Blanche et à Arkhangelsk. Quelques chercheurs passeront l'hiver 1838-1839 dans le Finnmark, pendant que d'autres voyageront en Norvège, Suède, Finlande, Danemark et Russie.

  MOTIVATION, HISTOIRE DE LA RECHERCHE ET COOPÉRATION INTERNATIONALE

Il convient tout d'abord de replacer cette expédition dans son contexte historique : qui en prit l'initiative et quels en étaient les objectifs ?

Les historiens ont attaché peu d'importance à ces questions, privilégiant l'étude des rapports de l'expédition et négligeant les archives. L'étude détaillée du programme de recherche de la commission nous renseigne, dans une certaine mesure, sur les motivations et les objectifs. Les travaux préparatoires du programme de recherche, mettent en lumière, en particulier, le caractère international de cette entreprise. Nous n'insisterons pas sur son déroulement et ses résultats dont l'accès est aisé au travers des rapports connus de la commission.

  L'EXPÉDITION QUE LA FRANCE A OUBLIÉE



L'Expédition de La Recherche semble méconnue dans son pays d'origine, la France, où aucun ouvrage ne lui est, à ma connaissance, consacré ., en dépit de l'importance de ses résultats .

L'expédition n'est généralement pas plus mentionnée dans les ouvrages généraux consacrés aux expéditions scientifiques dans l'Arctique . Peut-être n'a-t-elle pas été considérée en tant qu'expédition polaire ou a-t-elle été oubliée ; difficile à dire, aucune définition des termes "
recherche arctique " ou " expédition polaire " n'étant donnée dans les ouvrages de référence.

  DÉLIMITATION DE L'ARCTIQUE

L'initiative de cette expédition s'inscrivait dans le même esprit que les expéditions anglaises de la même époque. Une grande partie du travail de recherche de l'expédition peut être considérée comme " arctique ".
Nous distinguerons ici les " territoires du Nord " et l'" Arctique " : les territoires du Nord désignent le nord du cercle polaire, terre et mer, l'expression " arctique " concerne la mer et la terre au nord du 10° isotherme de juillet (limite septentrionale des arbres).

Quant à la recherche arctique, il est plus difficile d'en donner une définition géographique. Dans le secteur arctique de la Scandinavie, la plupart de ceux qui exploitaient les ressources naturelles étaient originaires des zones subarctiques. La recherche en ethnohistoire et anthropologie arctique concerne souvent des sociétés situées en dehors de l'Arctique. C'est également vrai pour la seule population scandinave qui, selon la tradition, est considérée comme une population arctique : les Sames. Il faut ajouter que la recherche scientifique est très souvent localisée en dehors de l'Arctique.
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  L' " EXPEDITION DE LA RECHERCHE " DANS L'HISTOIRE DE LA RECHERCHE.

L' Expédition de La Recherche est intéressante à plus d'un titre. Pour l'historien de l'université la plus septentrionale de la Norvège que je suis, cette expédition a fourni des informations précieuses sur l'histoire en général et celle de l'extrême-Nord en particulier. Tous les spécialistes de l'histoire locale du nord de la Norvège connaissent l' " Expédition de La Recherche " ou " Expédition Gaimard ". De nombreux récits de voyage lui ont été consacrés, qui, ajoutés à d'autres récits analogues de la même période, ont contribué à une meilleure connaissance des territoires septentrionaux . Mais ce sont peut-être les dessins effectués au cours de l'expédition qui sont les plus révélateurs pour nous.
Il s'agissait de la première grande expédition de recherche interdisciplinaire, de la Norvège au Finnmark et des espaces marins situés entre le Svalbard et le nord de la Scandinavie. Pour la première fois, on tentait de réunir une documentation scientifique sur ces espaces, à une époque où les zones côtières du nord de la Scandinavie connaissaient une période de prospérité économique et démographique, liée principalement à l'exploitation des ressources naturelles. L'expédition constitue à ce titre un élément intéressant de l'expansion européenne dans les territoires arctiques.

L'entreprise s'était donné une dimension internationale. Aux côtés des chercheurs scandinaves, P. Gaimard avait engagé de nombreux savants européens renommés. L'exploration arctique dans les années 1870 a marqué un tournant dans l'histoire de la coopération scientifique internationale . Le premier témoignage de cette coopération fut, en 1882, l'Année Polaire internationale .

L'expédition, collaborant avec des chercheurs scandinaves, fait donc partie de l'histoire de la recherche de ces pays. Plusieurs parmi les meilleurs naturalistes nordiques ont participé ou se sont engagés dans cette expérience. Les documents et les archives de l'expédition apportent le
témoignage des travaux de ces chercheurs dans les territoires septentrionaux et l'Arctique, avant que les Scandinaves ne se lancent eux-mêmes dans l'exploration avec les grands pionniers : Nordenskjold (Suède) et Nansen (Norvège) .

L'Université de Tromsf porte un intérêt particulier à cette expédition, car elle marque le début des recherches sur l'aurore boréale au nord de la Norvège, domaine scientifique qui l'intéresse tout particulièrement.

L'expédition permet également d'étudier les interactions entre recherche et politique. Le responsable de l'expédition était, en effet, en étroite relation avec les autorités politiques françaises et nordiques. Cette période était dominée par les grandes expéditions anglaises maritimes et scientifiques en Arctique. L'intense activité de la Grande-Bretagne était essentiellement militaire et on peut se demander si l'Expédition de La Recherche ne témoigne pas aussi des intérêts que portait un autre grand pays européen aux territoires septentrionaux.

Dans le domaine arctique, la première moitié du XIXe siècle fut caractérisée par des expéditions maritimes à caractère résolument scientifique. Ce fut la Marine anglaise qui joua sans aucun doute le rôle le plus important, avec, en particulier, les expéditions dirigées par R. E. Parry, John Ross et John Franklin.

M. Kirwan, dans son ouvrage sur l'exploration polaire (1960), a montré la portée des progrès de la science et de la technologie sur la recherche polaire au XIXe siècle. Les plus importantes innovations technologiques - le passage de la voile à la vapeur, l'utilisation du fer dans la
construction navale, le télégraphe, etc...- ne virent le jour que dans la dernière moitié du siècle. Cependant, on voit apparaître dès la fin du XVIIIe siècle et au début du XXe siècle, un intérêt accru pour la documentation purement scientifique des " zones blanches " de la terre. Des associations se consacrant à l'exploration géographique se créent, telles l'Association africaine (Angleterre 1788), l'Association palestinienne (Angleterre 1804), la Société de Géographie de Paris (1821), la Gesellschaft für Erdkunde (Berlin 1828) et la Société géographique de Londres (1830).

Ces associations étaient plus orientées vers les sciences appliquées que les anciennes académies scientifiques nationales. Il devint primordial d'acquérir des compétences pratiques (celles des capitaines des flottes baleinières et de chasses au phoque). Tandis que les académies nationales scientifiques demeuraient les organes consultatifs des autorités pour les questions d'ordre scientifique, ces associations jouaient un rôle capital de conseil pour l'équipement et la mise en oeuvre des expéditions.

Elles contribuaient également à une spécialisation scientifique accrue et à la divulgation des résultats scientifiques auprès d'un large public, permettant ainsi aux expéditions de gagner en reconnaissance et en popularité.

La connaissance scientifique était bien sûr l'un des principaux enjeux de ces expéditions, mais il convient d'y ajouter des motifs économiques, politiques et nationalistes. La création de la Société de Géographie de Londres reposait sur la nécessité d'acquérir des connaissances plus précises dans le domaine de la géographie physique et humaine. En tant que grande puissance, la Grande Bretagne s'appuyait sur des raisons économiques et politiques. Au cours de la première moitié du XIXe siècle, la Grande Bretagne était, on l'a vu, très active dans le domaine de l'exploration polaire, répondant aux ambitions des deux autres grandes puissances intéressées par ces espaces : la Russie et les Etats-Unis . Pour cette raison même, l'activité anglaise dans la première moitié du XIXe siècle s'est concentrée autour de la partie arctique du Canada, la côte ouest du Groenland et enfin l'espoir de réaliser le vieux rêve de découvrir le passage du nord-ouest.

Mentionnons un autre aspect des expéditions polaires dans les années qui suivirent les guerres napoléoniennes : elles furent particulièrement maritimes et plus spécialement britanniques. Si la " liberté des mers ", comme la proclamait l'Angleterre, était une réalité, il convenait d'explorer les espaces marins jusqu'alors inconnus. La marine britannique en prit donc la responsabilité, se chargeant elle-même de maintenir et de garantir cette " liberté des mers ".

Selon M. Kirwan, les expéditions polaires changèrent de caractère dans la dernière moitié du XIXe siècle, du fait, sans doute, des nouvelles technologies de communication. Les grandes expéditions nationales de la Marine furent remplacées par deux autres types d'expéditions. On vit ainsi apparaître une série d'expéditions polaires mineures et plus individualistes dont la motivation reposait le plus souvent sur le goût de l'aventure et de la conquête. Par ailleurs, d'autres expéditions strictement scientifiques, accordant peu d'importance à de nouveaux territoires, furent organisées pour la plupart sur terre et sur la banquise. Vers 1880, les premières tentatives de coopération internationale dans le domaine polaire virent le jour, dans le cadre notamment de la Première Année internationale polaire de 1882. C'est dans ce deuxième type d'expérience qu'il faut ranger l'expédition française.
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  L'EXPÉDITION DE SAUVETAGE DEVIENT UNE EXPÉDITION DE RECHERCHE

Mais quel était l'objectif premier de cette expédition en Scandinavie ? De 1834 à 1836, la Marine française lança une expédition pour retrouver le bâtiment français La Lilloise, disparu entre l'Islande et le Groenland au cours de l'été 1833. La Lilloise, commandée par Jules de Blosseville, avait été chargée d'étudier l'est du Groenland, en parallèle avec une mission de garde-pêche des bâtiments français. En 1835, deux naturalistes, Paul Gaimard et Eugène Robert décident de se joindre à l'expédition et d'effectuer des recherches scientifiques en Islande tandis que le navire français entame les recherches. On ne trouva pas La Lilloise mais les travaux de recherche s'avérèrent si fructueux que Gaimard réussit à obtenir une extension du programme scientifique l'année suivante. Il parvint également à convaincre le ministre de la Marine, l'Amiral Duperré, de nommer une Commission scientifique d'Islande et du Groenland, dont il serait lui-même président et responsable des disciplines de zoologie, médecine et statistique. Les autres participants : Victor Lottin, responsable des recherches astronomiques, physiques et magnétiques ; Eugène Rover, pour la géologie, la minéralogie et la botanique ; Xavier Marmier pour l'histoire, la linguistique et la littérature, enfin, Louis Bevalet et August Mayer, dessinateurs de l'expédition, sans oublier le météorologue Raoul Angles qui n'a laissé aucun rapport écrit .

  ETUDE DES ARCHIVES

L'expédition dans les pays scandinaves, de 1838 à 1840, fut un prolongement direct des expéditions de 1835 et 1836. Une lettre datée du 22 mars 1837 révèle que P. Gaimard, E. Robert et X. Marmier préparaient un voyage à Copenhague et à Christiania (Norvège) dont le but était de rassembler des informations supplémentaires sur l'Islande et le Groenland. Ils pensaient collecter des informations en visitant les grandes bibliothèques de Norvège et du Danemark qui, du point de vue historique, étaient les plus proches de l'Islande et du Groenland, et prendre contact avec les spécialistes de ces régions . Selon cette lettre et la correspondance ultérieure, ce voyage était nécessaire avant la publication des rapports d'expédition en Islande et au Groenland. La commission, par l'intermédiaire de P. Gaimard, était à l'origine de ce projet de voyage.

Tout en craignant que la publication dont le ministère de la Marine avait la responsabilité n'en soit retardée, le ministre approuva formellement le voyage qu'il jugeait nécessaire, à condition que le séjour soit aussi bref que possible et que P. Gaimard participe lui-même à la " publication de l'ouvrage " . Le ministre donna enfin son accord fin juin 1837 et X. Marmier et E. Robert partirent pour le Nord en 1837, tandis que le départ de P. Gaimard était reporté plusieurs fois, entre autres en raison du décès de l'un de ses frères. L'autre préoccupation de P. Gaimard était certainement l'extension des recherches en Scandinavie . Il semble que les savants envisageaient un voyage plus étendu au nord de l'Europe avant l'approbation du ministre de la Marine .

Il était aisé pour P. Gaimard d'argumenter en faveur d'une extension du voyage en se référant aux directives données par les ministères et en particulier celui de la Marine. Ces directives (voir ci-après) et surtout les réponses données par les institutions scientifiques françaises auxquelles P. Gaimard s'était adressé, lui donnèrent une liberté plus grande encore. Celles-ci envisageaient une expédition de recherche particulière en Scandinavie, qui porterait essentiellement sur les régions les plus septentrionales.

C'est la raison pour laquelle P. Gaimard, à la fin octobre, proposa une expédition en Scandinavie et au Spitsberg. Il sut manoeuvrer habilement en faisant valoir qu'il s'agissait uniquement de l'extension d'un projet déjà approuvé :

" Projet d'un Voyage par terre au Cap Nord, suivi d'une Excursion au Spitsberg "

Paris, 21 octobre 1837

Amiral,
J'ai l'honneur de soumettre à votre Excellence le projet d'un voyage par terre au Cap Nord, suivi d'une excursion au Spitsberg.

Ce n'est point à proprement parler un Voyage nouveau, mais seulement une extension donnée à celui que vous m'avez autorisé à faire en Norvège, dans le but de comparer ce pays, sous tous les rapports, à l'Islande qui lui doit ses habitants. Avant de soumettre ce projet à votre Excellence, j'ai recueilli l'opinion des juges les plus compétents. Le Bureau des Longitudes, le Muséum d'Histoire naturelle, les physiciens, les naturalistes et les médecins les plus distingués de l'Institut l'ont tous approuvés, d'une voix unanime " .


Le ministre de la Marine, M. Rosamel, fit rapidement connaître sa décision et, avant la fin du mois, il s'adressa au roi en recommandant une subvention et lui demanda de contribuer à l'acquisition des instruments de recherche nécessaires. Le ministre proposa que le dessinateur Mayer et les naturalistes Lottin et Bravais se joignent à l'expédition. A. Mayer et V. Lottin avaient participé au voyage de 1835, tandis qu'Auguste Bravais, officier de Marine, astronome et physicien, était nouveau. Plus tard, le botaniste Charles Martins se joignit à la commission. P. Gaimard désirait également inclure Raoul Anglès et Louis Bevalet qui participèrent ainsi à l'expédition de 1838.

L'expédition se composait donc de ces neuf Français et de dix savants scandinaves (voir ci-après). En 1839 et 1840, des changements intervinrent que nous n'évoquerons pas ici .

La lettre de P. Gaimard à l'ambassadeur suédois, datée de décembre 1837, montre le vif intérêt du roi Louis-Philippe pour l'expédition, il mena lui-même des expériences lors de son voyage dans le nord de la Scandinavie mais il ne semble pas qu'il ait lui-même prit l'initiative de recherche dans les territoires du Nord.

" ... a reçu de Sa Majesté Louis-Philippe l'approbation la plus gracieuse et la plus complète. Le Roi a trouvé ma demande trop modeste et il veut lui-même nous donner ses instructions particulières sur la Norvège et la Laponie qu'il a visitées en 1796 " .
En automne 1837, la décision de principe était déjà prise : une grande expédition d'étude et de recherche s'effectuerait en Scandinavie et au Svalbard. L'ambition et le territoire à couvrir par cette expédition s'étaient considérablement accrus, en comparaison du projet de voyage du printemps 1837 ; ce qui, initialement, n'était que la conclusion des expéditions islandaises, devint une véritable expédition de recherche. Les sources consultées démontrent le rôle décisif de la commission scientifique de l'expédition de 1836, sous la direction de Gaimard, dans l'aboutissement de ce projet.
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  LES MOTIFS DE L'EXPÉDITION

Il semble difficile de définir l'ensemble des motifs et les raisons profondes de ce projet. D'une part, beaucoup d'acteurs sont en jeu et on y trouve mêlés des objectifs scientifiques, documentaires, d'information administrative et des intérêts politiques supérieurs. En outre, la documentation concernant le programme est vaste et difficile à cerner. La correspondance de P. Gaimard constitue le matériau le plus important et le plus riche susceptible de nous éclairer sur le but et le programme de l'expédition. Certaines lettres sont capitales (voir ci-après). Dans les archives de P. Gaimard, se trouve également une lettre du ministre de la Marine au roi sur le projet et, dans les archives de l'expédition elle-même, des lettres fort intéressantes de ce point de vue .

Les documents les plus marquants sont les " instructions " données à P. Gaimard par les institutions et les personnalités contactées à propos du voyage. Elles ont été publiées et comprennent environ 550 pages dont la plupart concernent le voyage en Scandinavie. On sait quel statut attribuer à ces instructions, mais elles ne peuvent être considérées véritablement comme le " programme de recherche " de l'expédition. Il est préférable d'y voir une déclaration consultative émanant des groupes scientifiques et des organes administratifs, ou encore comme une distribution des tâches incombant à l'expédition :

" ... vous m'avez fait l'honneur de me demander quelques instructions propres à guider vos recherches.... "


Ce matériel documentaire est cependant important, car il montre de quelle manière les groupes d'intérêt évaluaient l'utilité de ce projet. Distinguons quatre groupes d'acteurs agissant derrière cette expédition : le roi Louis Philippe ; les autorités de décision avec le ministère de la Marine, responsable du projet ; la commission scientifique sous la direction de P. Gaimard et enfin les institutions scientifiques françaises.
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  UTILITÉ DE L'EXPÉDITION POUR LES AUTORITÉS FRANÇAISES

Pour une grande part, les instructions transmises par les ministères n'étaient qu'une copie des réponses données par les organes administratifs. Elles exprimaient les désirs de l'administration publique. Sept ministères étaient représentés. Le ministère des Affaires Intérieures demandait des renseignements sur les voies de communication, sur les prisons et sur l'administration des communes. Le ministère des Travaux publics, de l'Agriculture et du Commerce cherchait à se documenter sur le commerce intérieur et sur l'organisation médicale. Le Ministère de l'Armée s'intéressait aux " manuscrits ou imprimés sur la législation, l'Histoire, les Sciences et les Arts, qui ont un intérêt direct pour la Marine. " Les demandes du ministre de l'Instruction publique concernaient, pour la plupart, les grandes bibliothèque et les musées où on désirait surtout compléter les collections, se documenter aussi bien sur les caractères runiques que sur les papiers de Descartes : " … il y a lieu d'espérer que la Suède a gardé avec plus de soin ceux que le philosophe français y avait laissés. " Le musée scientifique de Paris demandait des squelettes de " narhval " (baleine), d'élan, de glouton, des têtes d'ours bruns et autres ours terrestres du Nord. "

A la lecture des instructions données par les ministères, on a le sentiment que ce projet fut considéré comme un voyage de recherche financé par les autorités publiques, le but étant de recueillir des renseignements utiles pour les autorités françaises, et des écrits et documents destinés aux bibliothèques et aux musées publics. Dans les déclarations des ministères, les motivations politiques de l'expédition ne sont pas mentionnées. On ne dit rien non plus sur les territoires du Nord ou de l'Arctique. Cependant, tout porte à croire que les ministres de la Marine, MM. Duperré et Rosamel, considéraient l'expédition en Islande et dans les pays nordiques, comme la réponse de la France à l'exploration active de la Grande Bretagne dans les territoires du Nord. En tout cas, Gaimard utilisait de tels arguments pour valoriser son projet :

" La France avait exploré les contrées les plus reculées des mers du Sud… et le Nord ne nous était guère connu que par les relations des Anglais, des Hollandais, des Allemands. Il y avait là une lacune dans le cours de nos voyages, un vide dans le cercle de nos études. "

" … M. l'amiral Duperré, ministre de la Marine, toujours zélé pour la gloire nationale, donna son entière approbation au projet de M. Gaimard… M. l'amiral Rosamel, animé pour la science et pour l'honneur de la marine… "

Quand Gaimard parle de la France, il pense plus à son prestige sur le plan de l'exploration qu'à des motivations politiques. Ses sentiments et ceux de la commission sont d'ailleurs clairement exprimés dans une longue lettre adressée au ministre de la Marine de 1840 pour une demande d'hivernage dans le Finnmark :

" Vous n'ignorez pas, Amiral, qu'une grande série d'observations magnétiques et météorologiques simultanées vient d'être organisée par les puissances européennes… La France n'est restée étrangère à ce mouvement… "

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  UNE EXPEDITION DE RECHERCHE ARCTIQUE

Les autorités politiques ne sont donc pas intervenues dans l'orientation " arctique " de l'expédition qui résultait plutôt du soutien que les milieux scientifiques français et étrangers accordèrent à Gaimard.

Leurs recommandations portent aussi bien sur les disciplines des sciences naturelles que sur les sciences humaines. P. Gaimard regroupait les " instructions " des milieux scientifiques en six grandes disciplines : (1) physique générale, (2) géologie et minéralogie, (3) zoologie, (4) botanique, horticulture et agriculture, (5) physiologie, médecine et chirurgie, (6) science sociale et législation.

Nombre d'organismes scientifiques soulignaient l'importance des observations dans les territoires arctiques et la réponse du Bureau des Longitudes, en septembre 1837, semble avoir joué un rôle important dans l'approbation du ministre de la Marine en octobre :

" C'est toujours sur les variations diurnes d'inclinaison et de déclinaison que l'attention se portera naturellement. C'est toujours pendant l'apparition des aurores boréales que les variations irrégulières offrent un grand intérêt… La comparaison des variations régulières aux époques des jours les plus longs et les plus courts est également importante. "

Dans son rapport au roi, le ministre de la Marine, M. Rosamel, a souligné ce point. Les instructions données après la décision confirmaient le souhait d'une expédition " arctique ". Ce fut le cas pour Alexandre Humboldt (Berlin) avec qui P. Gaimard était en correspondance suivie. A. Humboldt souligne dans sa lettre, l'importance des " observations à faire à l'extrémité de l'Europe boréale. " Cette argumentation fut également utilisée lors d'un hivernage dans le Finnmark en 1840 :

" D'après l'opinion des savants du Nord, d'après celle de MM. Lottin et Bravais, il paraît constant que des observations faites près du Cap Nord seraient même d'un intérêt supérieur à celles que l'on peut effectuer dans les zones tempérées ou équatoriales. "

- Les documents émanant des milieux scientifiques ainsi que les instructions des ministères témoignent d'une profonde volonté d'approfondissement des connaissances dans de nombreux domaines. L'Académie royale des Sciences de Paris fit un rapport sur la " Météorologie et la physique du globe dans l'Europe septentrionale. " Le rapport est épais -plus de 30 pages imprimées- et concerne :

  - Anomalie touchant la distribution de la température dans l'atmosphère.
- Température de la terre dans les régions polaires et sur le croupe des montagnes élevées
- Sources thermales
- Effets de déboisement
- Réfractions atmosphériques
- Courants sous-marins
- Vents
- Phénomènes de lumière atmosphérique
- Aurores boréales
- Electricité atmosphérique
- Electricité près des cascades
- Marées
- Couleur de la mer
- Trombes

Contrairement aux instructions données par l'administration publique, celles des milieux scientifiques étaient dominées par les sciences naturelles. P. Gaimard avait aussi établi un groupe de science sociale et législation, mais de relativement peu d'importance, les points principaux concernant la " constitution sociale de la Scandinavie ", l'enseignement public dans les pays nordiques, la législation du commerce et le " Droit des gens. " Dans ce groupe, seul M. Brossais s'intéressait à l'observation de l'homme physique dans ses rapports avec l'homme moral. " Voilà qui posait la question de l'incidence des conditions climatiques sur la morale et le comportement social.
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  LE PROGRAMME DE L'EXPEDITION

Les " instructions " des autorités et des milieux scientifiques comprenaient tant de thèmes et posaient tant de questions, qu'il semblait impossible que l'expédition réponde à toutes. Au début, on envisageait seulement une expédition d'été suivie d'un hivernage. J'ai donc recherché un programme de recherche plus précis et plus concret émanant de la direction de l'expédition.

Un résumé des études envisagées figure dans la lettre de P. Gaimard datée du 23 mars 1838, au directeur de l'Académie scientifique suédoise, le chimiste Jacob Berzelius . M. Nissen considère cette lettre comme le " programme de l'expédition " . Il ne s'agit en fait que d'une partie des travaux dont l'expédition était chargée au début. Cependant, le document est important, car c'est la seule présentation détaillée du programme et on peut la considérer comme sa partie " arctique ".

P. Gaimard y a souligné la nécessité d'adapter le programme aux " circonstances imprévues de la route, du temps… " Il a noté rapidement les observations qui devaient être entreprises dans les territoires marins entre le Cap Nord et le Svalbard, au Svalbard et pendant l'hivernage dans le Finnmark.

Ainsi, pendant la traversée du Svalbard, on avait projeté d'examiner " les courants… des épreuves de températures sous-marines ", et de " recueillir de l'eau à de grandes profondeurs. " On devait aussi y procéder à des mesures barométriques analogues à celles qui avaient déjà été faites par les capitaines Phipps et Sabine ; on devait également observer les conditions de température dans l'atmosphère et donc se munir d'un ballon à gaz hydrogène à l'aide duquel on espérait pouvoir faire des mesures jusqu'à 1000 m d'altitude. Dans l'arrière-pays, on devait mesurer la température interne des glaciers (moins 30 pieds) et étudier la vie animale et végétale, la végétation et la germination. On désirait déterminer si les plantes " manquent de respiration nocturne " sous exposition du soleil de minuit. On espérait comparer les taux d'acide carbonique contenus dans l'air du Svalbard avec celui des latitudes plus méridionales. P. Gaimard ignorait comment procéder à ces observations et il demanda conseil à J. Berzelius. Des relevés minéralogiques et géologiques devaient également être effectués dans l'arrière-pays. P. Gaimard projetait en outre des recherches hydrographiques sur la côte est et sud du Svalbard, conditionnées par l'état des glaces et la mise à disposition d'un bâtiment de secours. Enfin, pendant la traversée et le séjour au Svalbard, on projetait des observations magnétiques, de latitude, de longitude et de marées.

Il était également prévu de procéder à des observations magnétiques et astronomiques au cours de l'hivernage dans le Finnmark. P. Gaimard s'intéressait surtout aux aurores boréales : déterminer la hauteur de l'aurore et son rayonnement vers l'espace ainsi que son mouvement de translation ; vérifier l'existence d'une influence de l'aurore boréale sur le baromètre, enfin, étudier le phénomène au moyen du cerf-volant électrique.

Les savants devaient relever la hauteur des étoiles passant près de leur horizon afin d'étudier l'influence du froid et des changements de température dans l'atmosphère sur les réfractions astronomiques près de l'horizon. La question des réfractions terrestres devait également être étudiée en plaçant des mires graduées dont les hauteurs seraient prises au-dessus de l'horizon. L'expédition se devait aussi, selon la lettre de Gaimard, observer la hauteur et la direction des étoiles filantes et, à l'aide du ballon, examiner les températures et les densités dans les différentes couches de l'atmosphère. La température interne du sol à trente pieds devait être mesurée plusieurs fois par jour, ainsi que celle des sources, sans oublier celle de la mer sur la côte et à peu de distance au large. On devait relever aussi la température interne des troncs d'arbre, particulièrement des pins de la forêt d'Alta. On projetait également de recueillir des échantillons surtout en milieu marin, peu connu. En outre, les membres de la commission désiraient étudier " l'homme physique dans ses rapports avec la connaissance de l'homme moral. "

P. Gaimard s'engagea à continuer les observations que J. Berzelius avait proposées. Il s'agissait entre autres d'analyses de roches, de tourbes, d'eaux minérales, de l'air contenu dans l'eau et de la vessie natatoire des poissons. Cependant, de nombreux autres sujets d'étude étaient envisagés par les savants hivernant dans le Finnmark : influence du froid sur la vie animale, mesure des températures des hommes et des animaux, analyse de la composition du sang et de ses propriétés physiques, observations du temps (vent et pluie), observations de la cristallisation de la neige et des courants marins.

P. Gaimard ne donna pas d'indications précises sur le programme des membres qui devaient poursuivre le voyage par terre vers le sud : " Ceux-ci exploreront la Laponie et opéreront leur retour par Tornea, Umea et Stockholm. "
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  " ... NI RACE HUMAINE, NI LANGUE, NI TRADITIONS, NI HISTOIRE... "

L'examen du programme " arctique " de l'expédition montre le peu d'importance accordée aux sciences sociales. Elles sont à peine mentionnées dans la lettre de P. Gaimard.

Xavier Marmier, responsable du secteur histoire, littérature et langue, s'inquiétait évidemment du rôle prédominant des sciences naturelles. Il demanda à ne pas participer au voyage au Svalbard et, dans une longue lettre à P. Gaimard, datée du 20 août il en donne les raisons : ne devant " trouver ni race humaine, ni langue, ni tradition, ni histoire.... ", il pensait plus raisonnable d'étudier la population scandinave septentrionale.

Dans cette lettre et dans une autre de l'automne 1839 , X. Marmier propose un programme de recherche pour la Scandinavie septentrionale. Evidemment impressionné par les capacités de survie des populations maritimes dans ces conditions extrêmes, il s'interrogeait sur l'influence de ces dernières sur le développement intellectuel de la population. Il s'intéressait principalement à l'enseignement public et voulait orienter son étude sur la situation du commerce et le développement de la pêche, ainsi que l'activité commerciale dans le Finnmark.

Cependant, X. Marmier faisait porter l'essentiel de sa recherche sur la population same (lapone) : " Et c'est là un sujet d'étude plus neuf encore, plus curieux et plus étendu. Toute cette pauvre race, dispersée le long des côtes ou à travers les montagnes, est encore très peu connue et très méconnue. "

X. Marmier critiquait ceux qui avaient répandu une image superficielle et injuste de ce peuple et qui considéraient les Lapons comme inférieurs sur le plan culturel et intellectuel. Après avoir vécu avec eux sous la tente et partagé leurs repas, il se fit une idée plus nuancée de ce peuple. Certes, il s'était heurté à leur méfiance et regardait l'alcoolisme comme un réel problème. Cependant, il soulignait leur bienveillance et leur hospitalité. Sur le plan culturel, il indiquait qu'il avait vu des familles où le père chantait des cantiques et les enfants apprenaient à lire " sur les genoux de leur mère. "

X. Marmier faisait preuve d'une connaissance impressionnante de l'histoire, la culture et la langue du peuple same. Pour comprendre la situation difficile dans laquelle se trouvait selon lui la culture same, il recommandait fortement l'étude historique du développement de la culture et de la langue. Il attachait surtout de l'importance au changement de religion qui avait entraîné une mutation de culture. Dans le même temps, il insistait sur la nécessité d'une observation de ce peuple sur une plus longue période. En 1839, il demanda l'autorisation à P. Gaimard de passer l'automne et l'hiver parmi les Sames, afin " de suivre leur migration et d'observer diverses circonstances de leur vie. " et souhaitait la présence d'un dessinateur de l'expédition pour qu'il puisse dessiner " des têtes des Lapons, des tentes, des groupes de familles et toutes les scènes étrangères qui surprendront nos regards... "
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  COOPÉRATION INTERNATIONALE

" Une foule de motifs rendent désirable la présence de ces personnes étrangères dans le sein de notre Commission. " (P. Gaimard dans une lettre adressée au ministre de la Marine en 1840).

Les rapports et les archives de l'expédition font apparaître l'importance de la coopération internationale moins profitable cependant que prévue, en raison de la brièveté des temps de préparation et de réalisation du projet. M. Nissen le souligne et note que la lettre de P. Gaimard à J. Berzelius, contenant le programme " arctique " de l'expédition, ne fut adressée qu'assez tard (mars 1838). Ce programme fut envoyé en effet à plusieurs savants et explorateurs polaires célèbres en Europe afin de recueillir leur opinion et notamment MM. Humboldt, Buch, Gauss (Allemagne), Franklin, King, Parry, Ross et Sabine (Angleterre), Hansteen et Keilhau (Norvège).

Selon M. Nissen le milieu international de la recherche n'a certainement pas disposé de suffisamment de temps pour accorder toute l'aide souhaitable à l'entreprise. Au moment où P. Gaimard adressa sa lettre à J. Berzelius, l'expédition, décidée dans la hâte et pressée par le temps, ne put étudier complètement l'intégralité des rapports envoyés par ces savants.

Cependant, M. Nissen réfute l'importance de la coopération internationale au cours des préparatifs, sans prendre en considération les contacts déjà établis par nombre de participants français de la commission scientifique. Ainsi, il semble que les échanges avec A. Humboldt aient été effectifs depuis longtemps.

De même, il est inexact d'affirmer que P. Gaimard n'obtint pas de réponse à sa demande de mars 1838. L'expédition avait dès 1838 et ultérieurement, de bonnes relations avec Alexandre Humboldt et d'autres savants européens qui prodiguèrent conseils et assistance pratique, allant jusqu'à la construction d'instruments scientifiques destinés spécifiquement à l'expédition. En fait, J. Berzelius était très satisfait du programme de recherche de P. Gaimard :
" Il paraît que vous avez parfaitement saisi tous les points qui méritent d'être l'objet de vos recherches, du moins je n'ai rien trouvé à y ajouter. "

Paul Gaimard essaya en 1840, je le répète, de persuader les autorités françaises de subventionner encore un hivernage dans le Finnmark. Sa lettre au ministre de la Marine révèle que, dans les années 1830, on tenta de coordonner les observations magnétiques et météorologiques réalisées dans plusieurs pays européens. Alexandre Humboldt y jouait un rôle important. Il souhaitait un engagement plus actif de la France dans les milieux internationaux .

Cependant, c'est surtout la coopération avec des savants scandinaves qui caractérisa cette expédition. Des relations avec ces milieux scientifiques s'étaient nouées au cours du séjour de X. Marmier et E. Robert en 1837-1839. Il semble que le directeur de l'Académie Royale de Suède, Jacob Berzelius, ait joué un rôle important de coordinateur. Comme on peut le constater dans la lettre de mars 1838 que lui a adressée P. Gaimard, le contact était déjà établi auparavant. D'autres savants furent également sollicités pendant leur voyage dans les pays nordiques, un an avant la réalisation de l'expédition.

P. Gaimard profita aussi de la présence à Paris de savants scandinaves pour mieux se familiariser avec le milieu scientifique de ces pays. On trouve ainsi des lettres amusantes de Michael Sars, océanographe, qui passa l'été 1837 à Paris et écrivit en juillet 1837 plusieurs lettres d'introduction pour P. Gaimard en Norvège, notamment auprès du géologue Keilhau .

La participation de savants scandinaves à l'expédition française n'avait pas seulement des motivations idéalistes. Certes, en établissant des rapports avec les chercheurs locaux, l'accès aux documents et à la littérature nordiques fut plus aisé, mais le but de Gaimard était de " faire connaître la Scandinavie d'une manière grave et sérieuse. " Les chercheurs scandinaves s'en chargeraient. En pratique, l'avantage d'avoir des participants qui parlaient la langue et connaissaient les conditions locales était évident et Gaimard pensait qu'une attitude positive à leur égard devrait renforcer la bienveillance dont les autorités faisaient preuve.

L'idée d'adjoindre des savants scandinaves à la commission scientifique fut lancée par P. Gaimard dans une lettre à l'ambassadeur suédois en décembre 1837, juste après avoir obtenu l'approbation par les autorités d'une expédition de " recherche " . L'accueil favorable que Marmier et Robert avaient rencontré chez les savants et les autorités suédoises, surtout chez le roi Karl Johan, n'y était pas non plus étranger. Les autorités de ces pays devaient désigner leurs propres participants.

La partie scandinave de la commission comprenait en 1838 cinq Suédois : Carl Bertil Lilliehöök, officier de marine, qui s'occupait des observations astronomiques et magnétiques ; le physicien Per Adam Siljeström, le zoologiste Carl Jacob Sundevall, le prêtre et botaniste Lars Levi Laestadius et le comte de Gydenstolpe, officier d'Etat. Les Danois étaient représentés par le botaniste Jens Moestue Vahl et le zoologiste Henrik Kröger. Les trois membres norvégiens étaient le médecin, physiologue et zoologiste Christian Boeck, Christian Due, officier de marine, qui s'occupait de l'hydrographie et des observations magnétiques au sol et l'officier d'ordonnance E. G. Meyer.

La coopération avec des chercheurs et leurs longs séjours sur place, permirent à Marmier et Gaimard d'établir des contacts avec les spécialistes des territoires arctiques qui ne participaient pas à l'expédition. Ce fut le cas de deux chercheurs norvégiens bien connus : Hansteen et Keilhau.
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  UNE EXPEDITION EN AVANCE SUR SON EPOQUE

L'expédition de La Recherche constitua une expédition scientifique très complexe de la Marine, essentiellement consacrée aux observations scientifiques. Elle était caractéristique de son époque et les occupations politiques et stratégiques y occupaient une faible place.
L'expédition n'avait pas pour but la recherche des passages du Nord-Ouest ou du Bassin central du Pôle. Elle se distingue donc des expéditions anglaises arctiques de cette période. Ce qui en fait une expédition avant-gardiste, c'est la grande importance attachée à la coopération internationale et l'année 1880 marque un tournant dans ce domaine.

Les riches archives et les rapports nous font mesurer les problèmes pratiques que l'expédition eut à résoudre et de quelle manière P. Gaimard dut improviser. Son talent dans ce domaine apparaît dans le fait que l'expédition n'est programmée qu'année après année. La préparation, aussi bien que la réalisation étaient toujours effectuées en hâte. Toutes les lettres de l'hivernage à Alta font état de cette pression. Quelques membres de l'expédition exprimaient également leur embarras quant à la réalisation de certaines instructions. Le grand nombre des rapports permet d'évaluer les résultats de ces objectifs ambitieux et pourrait faire l'objet d'un article ultérieur.

 
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