HOMMAGE A NAOMI UEMURA
Jean MALAURIE
Centre d'Études Arctiques (CNRS-EHESS), Paris, France
Pôle Nord 1983 - Editions du CNRS.
Mars 1984 : Les recherches viennent d'être abandonnées:
le grand explorateur japonais Naomi Uemura est porté définitivement
disparu en Alaska, sur les pentes du mont McKinley.
C'est
le 16 février qu'il devait être repéré
pour la dernière fois par un pilote américain dans
un abri de neige, à une altitude 5100 rn après avoir
atteint, le 12 février, le plus haut sommet de l'Amérique
du Nord (6196 m), où il venait de fêter, seul, quarante-trois
ans.
La décision de faire, pour la seconde fois, l'ascension mont
McKinley, mais en hiver - ce qui n'avait jamais core été
tenté, - Naomi Uemura l'avait, semble-t-il, 'se " soudain
"...
Il m'avait, en effet, et depuis longtemps, promis de participer
au présent colloque, où il devait présenter
des observations scientifiques sur la neige et les aérosols
des abords du pôle puis il s'était brusquement décommandé,
hOn sans " un vif regret, m'assurait-il, de ne pas rencontrer
les quatre autres conquérants du pôle " qui devaient
se rendre à Paris avec lui. Il souhaitait préparer
sur place tette périlleuse expédition.
Hélas, le dernier rendez-vous, qu'il avait pris au mont McKinley,
était, sans doute, irrésistible, et le surnom que
s'était donné sa femme, la " veuve de l'aventure
", tragiquement justifié.
Naomi Uemura, né en 1941 dans une famille paysanne pauvre
de la région de Hyogo, près d'Osaka - il en était
le sixième fils - avait fait ses études à l'université
de Meiji, Petit - 1,52 m, - de son corps ramassé, puissant,
émanait une force intérieure souveraine. Son visage
était changeant: parfois douloureux, il s'éclairait
soudain avec les Inuit d'un rire d'enfant [Uemura était lié
à la France; il a vécu pendant son adolescence dans
un petit village alpin, près de la frontière suisse.
Il y resta trois ans, se perfectionnant dans les techniques alpines,
Uemura était membre d'honneur de la Société
arctique française.].
.
Alpiniste, il escalade seul, en 1968, l' Aconcagua, le plus haut
pic de l'Amérique latine. Il descend seul, sur un radeau,
les six milles kilomètres de l'Amazonie.
Le Il mai 1970, il réussit l'ascension de l'Everest et, en
août de la même année, seul et en sept jours,
celle du mont McKinley.
Est-ce le souvenir du grand explorateur F.-A. Cook qui le pousse
à tenter, par deux fois, l'ascension de ce mont McKinley,
où il devait trouver la mort ?
Si l'on considère le choix de ces expéditions arctiques,
on peut, certes, penser que l'héroïsme de Naomi Uemura
avait de prestigieux inspirateurs, en particulier Cook et Peary.
Outre le mont McKinley, il va, en effet, à son tour et en
empruntant le même itinéraire que Peary depuis le cap
Columbia, conquérir le pôle Nord, le 29 avril 1978,
en traîneau à chiens, après avoir parcouru 800
terribles kilomètres de banquise à travers glaces
tourmentées, hummocks et crevasses.
Quoiqu'il ait été, contrairement à ses illustres
prédécesseurs, régulièrement ravitaillé
par des parachutages aériens, il faut insister sur le fait
que c'est en solitaire que Naomi Uemura devait accomplir cette conquête
(alors que Cook, en 1908, était accompagné de deux
Esquimaux, et Peary en 1909, de quatre, sans compter son serviteur
noir, Matt Henson).
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Route empruntée par Naomi Uemura lors de sa conquête
solitaire du pôle Nord (5 mars-29 avril 1978). |
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Route empruntée par Noami Uemura lors de sa traversée
du Groenland en solitaire (12 mai - 22 août 1978). |
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Il faut aussi, pour mesurer à sa juste valeur l'endurance exceptionnelle
de l'explorateur japonais, savoir que cet exploit avait été
précédé par un parcours fantastique encore solitaire
- de 12000 kilomètres en traîneau du Groenland à l'Alaska,
et immédiatement suivi après le pôle, d'une prodigieuse
" première " : la traversée longitudinale du Groenland,
du nord (cap Morris-Jesup) au sud (Narsarssuaq) (10 mai 1978 - 22 août
1978).
Mais ce raid de cinquante-cinq jours, qui s'est achevé au pôle
Nord, est surtout d'un immense intérêt pour l'histoire de
l'exploration polaire, car il permet de réexaminer sous un jour
nouveau avec beaucoup d'attention et dans le détail (résistance
des hommes et des traîneaux, temps de parcours en fonction de l'itinéraire
et du nombre d'hommes, etc.), les itinéraires de la première
conquête du pôle toujours controversée. On sait que
nombreux sont encore les spécialistes, à travers le monde,
convaincus que Cook fut victime de " la plus grande escroquerie de
l'exploration de tous les temps ".
La mémoire de Naomi Uemura ne sera pas embuée, elle, de
ce halo maléfique... Elle a ému, unanimement et profondément,
non seulement le Japon, l' Alaska et tout le monde de l'exploration polaire,
mais aussi le Groenland et particulièrement Thulé, où
l'explorateur japonais avait résidé pendant une année,
en 1977-1978, et que les Esquimaux polaires considéraient comme
un frère de race et un " géant ".
Naomi Uemura leur avait emprunté leurs techniques (conduite des
traîneaux à chiens, méthodes de chasse...) et leurs
costumes. Il les avait choisis entre tous les In comme ses " maîtres
à penser " pour la conquête du et certes, même
s'il était seul physiquement, c'est avec du moins en esprit, qu'il
devait la réussir.
Ce qui finalement différencie le plus l'exploit l'explorateur japonais
de celui de ses prédécesseurs, c' que ceux-ci furent d'abord
habités - voire harcelés l'idée fixe d'être
les premiers à atteindre l'axe de la Te
Naomi Uemura, lui, ne fut porté que par la passion infiniment
gratuite du dépassement de soi... et peut par le souffle héroïque
de ces lointains an extrême-orientaux qui, venus de Sibérie,
il y a dix mille ans, ont conquis l'Arctique américain et groenlandais.S
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