Nous avons retrouvé un article sur le Net dans les archives de
ParaMag (02/03/01).
Nous l'avons annoncé dans notre précédente
édition : l'expédition Millénium sur le Pôle
Sud ne s'est pas déroulée comme prévue à cause
de la météo. Les 2 Français ayant pris part à
cette aventure, Mario Gervasi et Jean-Claude Laffaille du club des Eperviers
(Nancy-Azelot), sont même restés bloqués pendant près
de 3 semaines dans des conditions extrêmes. Nous avons interviewé
l'un d'entre eux à son retour du "paradis blanc" : très
bronzé, un peu amaigri mais très enthousiaste.
Propos recueillis par Bruno Passe - photos Klaus Renz
Programme initial de l'expédition (dates
européennes)
14.12.99 : Cérémonie de départ à
Moscou. Les cosmonautes russes offrent un drapeau de Paix provenant de
la station Mir.
21.12.99 : Arrivée des participants à Santiago du
Chili. Sauts d'entraînement.
22.12.99 : Rassemblement de l'expédition à Punta
Arenas au Chili. Départ de l'expédition en Illiouchine 76
(avion gros-porteur russe) vers Patriot Hills, en Antarctique. Mise en
place d'un camp sur la base de Patriot Hills, située à 1
500 kilomètres du Pôle Sud.
25.12.99 : Départ des véhicules "snow bugs" de Patriot
Hills vers le Pôle Sud. Leur mission est d'installer des stations
intermédiaires, de mettre en place notre camp sur le Pôle
Sud et d'amener les montgolfières.
26 au 31.12.99 : Programme d'entraînement, d'acclimatation
et préparation du matériel.
31.12.99 : Les "snow bugs" arrivent au Pôle Sud avec les
montgolfières.
31.12.99 au 01.01.2000 : Programmes pour les télévisions
et célébration de l'an 2000. Les parachutistes rejoignent
le Pôle Sud en avion (Twin Otter ou DC-3) et y sautent. Survols
des montgolfières.
02 au 04.01.2000 : Départ du Pôle Sud avec les "snow
bugs" et retour vers Patriot Hills
05.01.2000 : Départ des participants de Patriot Hills vers
Punta Arenas avec l'IL-76.
06 au 10.01.2000 : Transport du matériel de Patriot Hills
vers Punta Arenas avec l'IL-76.
11.01 2000 : Départs de Punta Arenas.
ParaMag
: Nous avons déjà présenté à nos lecteurs
les grandes lignes de l'expédition (voir ParaMag n°150 de
novembre 99). Peux-tu nous rappeler quel en était le but principal
?
Jean-Claude Laffaille : Avec une quarantaine de parachutistes de 18 pays,
nous devions sauter sur le point zéro du Pôle Sud, le soir
du 31 décembre. Nous avions tous l'expérience du Pôle
Nord les années précédentes. Quelques premières
étaient prévues notamment en voile contact, en vol relatif
et il y avait également une dizaine de montgolfières. Puis
nous devions envoyer 24 messages de paix vers les 24 fuseaux horaires,
dans le cadre de l'année internationale de culture de la paix,
parrainés par la République de Djibouti (berceau de l'humanité
depuis la découverte de Lucie...), et pour fêter le 40ème
anniversaire du traité de l'Antarctique.
En réalité, vous n'avez pas eu
la possibilité de sauter sur le Pôle Sud. Pour quelles raisons
? Première embûche : l'avion gros porteur russe
Illiouchine 76 est un matériel militaire à l'origine. Il
s'agissait en fait d'une version "démilitarisée" par le
Russe Valera Bouloussof, un des organisateurs de l'expédition.
Tout était en règle, mais les tracasseries administratives
ont commencé dès que nous sommes arrivés au Chili.
Lorsque nous avons confirmé notre destination polaire, l'autorisation
nous a été tout d'abord refusée, conformément
au traité de protection de l'Antarctique qui y interdit tout activité
industrielle et militaire. En fait l'immatriculation de l'avion était
encore militaire et il a fallu "parlementer". Nous avons perdu 3 jours
avant même d'arriver en Antarctique ! Une fois sur place, la mauvaise
météo s'est installée et nous avons perdu toutes
nos chances de sauter comme prévu sur le Pôle Sud, le jour
du réveillon de l'an 2000.
En quelques sortes, vous rentrez bredouilles...?
Non, je ne pense pas ! Les Russes ont réussi la performance
de poser l'Illiouchine 76 en Antarctique, c'est déjà un
exploit en soi. Puis nous y avons effectué le premier largage massif
(40 parachutistes) qui comportait lui-même des premières
mondiales en vol relatif (par Bob Chris et sa femme Karen) et en voile
contact par les 2 Français. Nous sommes maintenant détenteurs
d'une sorte de doublet : nous sommes les premiers et - pour le moment
- les seuls à avoir réalisé un voile contact au Pôle
Nord et au Pôle Sud. Puis Mario Gervasi et moi-même avons
effectué le premier saut de montgolfière, le plus près
du Pôle Sud.
Comment
en êtes-vous arrivés là ?
Lorsque nous avons compris que nous ne pourrions pas sauter sur le
Pôle Sud pour la nuit du réveillon, nous avons décidé
de sauter sur place, sur la base même de Patriot Hills qui est située
à 1 500 km du pôle géographique et à 1 200
mètres au-dessus du niveau de la mer. Là les conditions
étaient favorables et nous avons pu procéder à un
largage de masse en 2 passages : un premier à 1 500 mètres
en automatique pour les Russes, et un autre à 3 500 mètres
pour le reste de l'expédition.
Il y a eu un moment d'euphorie avant et après le saut. Toute l'équipe
parlait le même langage, nous avions la même religion, un
simple regard suffisait à communiquer, le courant passait à
fond et on se comprenait tous, quelles que soient nos différences.
En Antarctique, Mario et moi-même étions restés à
l'heure française. Ça n'a pas grande incidence puisque là-bas
le soleil ne se couche jamais à cette période. Ce n'est
qu'une fois posés en voile contact à 2 que nous avons constaté
l'heure : il était minuit 10 en France, nous venions d'entrer en
l'an 2000 !
Les Russes avaient amené un sapin, seul arbre de tout l'Antarctique
et nous avons commencé le réveillon : le champagne et la
vodka se sont mis à couler au rythme des chansons internationales.
Il faisait soudain très chaud !
Une fois passé ce long réveillon,
vous n'avez pas renoncé au Pôle Sud ?
C'est la mauvaise météo persistante qui nous a poussé
à y aller en voiture pour tenter le saut, l'avion qui devait nous
larguer étant cloué au sol. Les "snow bugs" (voitures des
neiges équipées de gros pneus basse pression et fabriquées
spécialement par les Russes avec des moteurs Peugeot, en fait des
prototypes) étaient prévues pour acheminer les 10 montgolfières
au Pôle et ensuite ramener toute l'expédition. Ces engins
n'étaient pas parti au moment prévu, toujours à cause
de la météo. Le 2 janvier, nous avons donc organisé
un raid composé de 8 voitures en direction du Pôle Sud, soit
1 500 kilomètres pour l'aller et autant pour le retour.
Le nouveau plan était donc d'y aller en voiture, de sauter sur
place avec le Twin Otter et de rentrer en voiture. Nous (les 2 Français)
avions également négocié de pouvoir sauter depuis
une des montgolfières.
Mais à 200 kilomètres du Pôle, après 4 jours
de raid, la météo continuant de se dégrader et les
voitures tombant en panne les unes après les autres, nous avons
décidé de sauter. Le saut s'est déroulé le
8 janvier aux Thiel Montains, une zone de crevasses et de montagnes assez
dangereuse. Seuls 3 voitures et une montgolfière ont pu ensuite
rejoindre le Pôle avec quelques représentants des diverses
nationalités. Ils ont pu faire un survol du Pôle Sud en montgolfière.
Revenons
sur ce saut de montgolfière, le plus près du Pôle
Sud. C'était plutôt symbolique ?
Oui c'est vrai, il fallait "sauver les meubles". Mais c'était un
saut difficile, dans des conditions extrêmes. La température
était de - 24 degrés au sol, le plafond limité à
700 mètres et le vent de 10 à 15 noeuds. À cause
de la dérive qu'il génère, le vent est gênant
lorsque l'on saute de ballon sur une zone de crevasse au beau milieu de
l'Antarctique ! Nous avons effectué un repérage autour de
la zone de largage et nous ne sommes pas monté plus haut dans la
couche pour ne pas quitter cette zone repérée, au risque
de tomber dans une crevasse. Nous nous sommes posés près
du campement, en sécurité. Ensuite nous sommes restés
bloqués 4 jours sur place, toujours aux Thiel Montains, à
cause de la tempête.
Finalement 3 voitures seulement ont pu atteindre le Pôle Sud, mais
il n'y avait pas de place pour tout le monde et nous sommes en fait restés
aux Thiel Montains, nous avons été récupérés
au passage sur le chemin du retour. Nous avons du abandonner du matériel
sur place (dont nos parachutes !) pour alléger les véhicules
et assurer le retour. Nous avons laissé un véritable dépôt,
une "cache" comme on dit en Antarctique, balisé et repéré
par G.P.S.
C'est
donc à Patriot Hills que vous êtes restés bloqués
en final ?
Effectivement, nous avons eu une décision à prendre avant
de quitter l'Antarctique. À l'aller, l'Illiouchine 76 avait effectué
2 voyages pour mettre en place toute la logistique (matériel, voitures,
tentes et 75 personnes dont les 40 parachutistes). Par conséquent,
c'était la même organisation au retour.
Lorsque nous sommes revenus de Thiel Montains le 13 janvier, le premier
gros groupe était déjà prêt à partir.
Pour certains, c'était d'ailleurs un besoin vital à cause
de leur état de santé. Étant donné la distance
à parcourir, il fallait compter 22 heures d'attente entre les 2
voyages. Il faut préciser que Patriot Hills n'est qu'une piste
d'atterrissage naturelle en glace, avec un campement provisoire.
Les conditions météos s'étant améliorées,
cela nous laissait le temps de retourner au Pole sud avec le Twin Otter
pour tenter le fameux saut. C'était le 14 janvier, nous aurions
dû être rentré au Chili depuis le 8 janvier, nous étions
donc déjà en retard et il n'y eut que 7 volontaires pour
cette opportunité de dernière minute : les 2 Français,
3 Américains et 2 Russes.
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Couverture médiatique
Télévision : Canal +, LCI, M6, France 2
(interview en direct grâce au téléphone satellite
Irridium, avec diffusion d'images d'archive), France 3 et TV5.
Presse : Le Point, le Figaro, Paris Match.
Anecdotes Antartique
- La base américaine installée en permanence à
proximité du pôle géographique accueille en moyenne
250 personnes. Ce sont des scientifiques qui effectuent des recherches
sur les micros organismes et du carottage. Ils ont notamment trouvé
un lac à 2 800 mètres de profondeur sous la glace. Il y
a un seul Français parmi eux, la majorité est américaine.
Ils sont en place pour un an. Il n'y a aucune possibilité de se
baser sur place pour sauter, les accidents mortels survenus en 1997 ne
favorisent pas les choses.
- En Antarctique, les notions de temps et de distances sont complètement
faussées. Durant 6 mois, le soleil ne se lève pas et à
l'inverse il ne se couche pas pendant l'autre partie de l'année.
Il est à 45 ° au-dessus de l'horizon, il tourne toujours à
la même hauteur. Il faut essayer de manger et dormir à la
même heure, pour ne pas trop dérégler le cycle biologique.
- Parmi les participants américains, il y avait quelques personnalités
remarquables : les astronautes James Lowel (Apollo 13) et Owen Garriott
(Skylab 2) étaient venus chercher des météorites
pour la N.A.S.A., ils en ont trouvé 19. B.J. Worth, organisateur
du récent record de grande formation VR en Thaïlande a également
pris part à cette expédition.
- Il a fallu évacuer un Autrichien en urgence suite à
des problèmes de reins, dus à l'alimentation.
L'Antarctique en quelques mots et quelques chiffres
- Plusieurs pays dits "possessionnés" détiennent une portion
de l'Antarctique, dans l'hémisphère sud. Parmi eux :
la Grande-Bretagne, la Norvège, l'Australie, la Nouvelle-Zélande,
le Chili, l'Argentine et aussi la France. Ces portions sont découpées
en sorte de quartiers de tarte, mais de parts inégales.
- Le statut du continent est régi par le traité de l'Antarctique
de 1959 et par le Protocole de Madrid qui protège l'environnement
(interdiction de laisser des déchets).
- Superficie (en km2) : 13 000 000, dont 140 000 (îles), 200 000
(roche nue), 12 160 000 (continent sous la glace), 2 400 000 (plate-forme
continentale libre de glace), 1 600 000 (plate-forme de glace flottante).
- Altitude moyenne : 2 300 mètres - maximale : (glace) 4 270
mètres, (roche, Mont Vinson) 5 140 mètres.
- Températures : minimum absolu - 88,3°, minimum moyen -
58°
Remerciements
Mario et Jean-Claude remercient tous les gens qui les ont soutenus
et aidés :
- Parafun qui a préparé le matériel (parachutes)
- I.T.S. Info Télec Service à Toulouse et les parachutistes
d'essai de la S.T.A.T. qui ont fourni le matériel d'alimentation
en oxygène
- Les casques E.L.N.O. (modèle proposés pour les pilotes
de Rafale)
- Les lunettes de chute E.L.S. (protection U.V.)
- A LO TEC (basé à Vannes) qui a fourni le matériel
de survie, les tentes et les sacs de couchage
- Les rations Lyofal, devenues réellement vitales les derniers
jours
- Rossignol qui a élaboré spécialement pour l'expédition
les combinaisons et les équipements grand froid
- Nexte Destination qui a fourni les G.P.S. Magellan indispensables pour
le raid en voiture
- Irridium et le réseau Ogara qui ont fourni respectivement le
téléphone et la liaison satellite, indispensables pour garder
le contact journalier avec les médias et surtout pour organiser
notre évacuation !
- La F.F.P. le centre de Nancy-Azelot et les collectivités régionales.
Nous remercions Bruno Passe, Directeur de ParaMag ( http://www.para-mag.com
) pour son autorisation de publication.
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