Les Belges Alain Hubert et Dixie Dansercoer, auraient
pu sortir d'un roman de Jules vernes. Mais au contraire
de Philéas Fog ou Samuel Fergusson ils sont bien
réels. En novembre 1997 le duo se lance dans une
traversée intégrale de l'Antarctique, à
pied, à ski et à la voile. Le défi
était gigantesque et faillit tourner au drame à
plusieurs reprises. Les deux compagnons atteindront toutefois
leur objectif à l'issue d'une fabuleuse aventure
humaine qui aura duré 99 jours. Dixie Dansercoer,
présente en Belgique le film " La Traversée
de l'Extrême " qui retrace cet exploit accompli
à l'occasion du centenaire de la Belgica (voir
notre dossier) et du premier hivernage de l'homme
dans les eaux antarctiques. Nous avons rencontré
cet ancien champion de windsurfing sans cesse à
la recherche de nouveaux défis. |
|
 |
Cette traversée est avant tout une fantastique aventure
humaine. La complicité avec Alain (Hubert) a été
une des clefs du succès, non ?
Bien sûr, une telle performance sportive est un plus si
on peut la partager. J'avais déjà été
le co-équipier d'Alain lors de l'expédition tibétaine
du Cho Oyu et dans la traversée du Groenland. J'avais
déjà pu apprécier l'incroyable énergie
et la force de caractère qui l'habitaient. La connivence,
la tolérance et la compréhension sont des facteurs
indispensables pour réaliser un défi de cet ampleur.
Il y a des aventuriers qui préfèrent réaliser
la traversée en solitaire mais peut-être sont-ils
avant tout des marginaux.
Qu'est ce qui vous a poussé à participer
à une telle odyssée ?
La passion avant tout . L'ambition aussi de partir vers des
horizons inconnus. Et puis le sensation de se fondre dans
l'infini est grisante. Je suis devenu un homme plus riche
au niveau personnalité à mon retour. On acquiert
également une vision des choses différentes
par rapport aux personnes qui subissent les pressions de la
société.
Il faut également avoir beaucoup de caractère
et de courage pour repousser les limites de l'extrême
?
Supporter le froid, mentalement cela reste très très
dur ! Nous avons toutefois gagné beaucoup d'expériences
au cours de nos différentes expéditions. C'est
pareil pour un coureur de marathon, il parvient à franchir
la ligne d'arrivée grâce à sa préparation.
Sans passion, sans les entraînements et sans la volonté
c'est sûr que l'on n'y arrive pas.
Quelles ont été les principales difficultés
du raid ?
Les débuts furent chaotiques. Il y eut d'abord les
énormes blizzards antarctiques qui nous ont bloqués
sous la tente pendant cinq jours. Ensuite les casses successives
des traîneaux. Pendant 1500 km, les sastrugis (dangereuses
vagues de glace formées par les vents) nous ont empoisonné
l'existence. De plus Alain a été victime d'une
intoxication au CO à cause du réchaud MSR et
je me suis cassé deux côtes lors d'une chute
- deux accidents qui ont failli faire échouer l'aventure.
Vous avez égalé la première traversée
de l'Antarctique réalisée en 1958 mais ce que
la cohorte de véhicules lourdement ravitaillés
avait accompli à l'époque, vos voiles auront
pu le faire en flirtant avec la seule force du vent.
Pour effectuer 4.000 km à travers les glaces, franchir
deux chaînes de montagnes, monter à 3.600 mètres
d'altitude en tirant de lourds traîneaux, il nous fallait
bien ces chauves souris de toile.
Nous avons mis plusieurs jours pour nous familiariser avec
cette nouvelle technique de traction par voile et commencer
à progresser comme il le fallait, c'est à dire
en respectant un timing serré sans lequel l'autre côté
du 6ème continent aurait été définitivement
inaccessible. Nous avons accompli des moyennes historiques
de l'ordre de la centaine de kilomètres par jour. A
un peu plus de 500 km de l'arrivée, le vent nous a
entraîné dans un véritable sprint. Grâce
à Eole, nous avons effectué 271 km en moins
de 24 heures. Personne n'avait jamais fait cela auparavant
dans l'Antarctique. Lorsque le vent ne soufflait pas suffisamment
ou qu'il était trop violent, nous avons progressé
à ski. Plus de 500 kilomètres ont été
parcourus de la sorte.
Et puis il y a l'aspect scientifique de l'expédition
démontrant l'importance des recherches sur le réchauffement
climatique ?
Nous avons choisi d'aider les scientifiques qui ne peuvent
pas se rendre sous de telles latitudes. Ce n'est pas donné
à tout le monde de partir " en vacances "
là-bas (rires
). L'Antarctique est un grand laboratoire.
Notre travail s'est ainsi intégré dans un vaste
programme de recherche et d'études des facteurs d'évolution
de la neige polaire. Nous avons ainsi récolté
des échantillons pour le Laboratoire de Glaciologie
et de Géophysique de l'Environnement (LGGE) à
Grenoble. Dans nos traîneaux, on pouvait trouver du
matériel pour faire du carottage : 7.4 kg ce qui est
énorme, compte tenu que tout notre paquetage avait
été compté, pesé. La nourriture
surtout !
Nous avons été confronté aux menaces
réelles qui planent sur les pôles lors de notre
expédition sur les glaces mouvantes de l'océan
arctique en 2002.
Vous aviez alors reconstitué le tandem avec Alain
pour traverser l'Arctique des îles de la Nouvelle Sibérie
au Canada en passant par le Pôle Nord (2400 km en ligne
droite). Après 68 jours de progression la décision
fut d'arrêter la progression, la banquise de l'Arctique
étant particulièrement accidentée.
Exact ! L'hiver 2001-2002 avait été moins froid
que d'habitude. La glace avait tendance à fondre et
à bouger. Contrairement à l'Antarctique qui
est une masse de terre encerclée par l'océan,
l'Arctique est un océan entouré de terres. S'il
est un endroit au monde où l'on peut constater les
effets du réchauffement de la planète c'est
bien la banquise arctique dont l'épaisseur moyenne
diminue radicalement. Les générations à
venir vont devoir subir les conséquences de l'humanité
d'aujourd'hui. Le problème du réchauffement
global est choquant. Tout le monde en parle mais personne
ne réagit. Les scientifiques présentent des
résultats sur le long terme tandis que les politiciens
et chefs d'entreprises ont plutôt une vision à
court terme. Il y a là un réel contraste ! Tirer
sur la sonnette d'alarme est important cependant il ne faut
pas toujours noircir le tableau comme le fait Greenpeace,
par exemple. Il y a des initiatives prises par les industries
qui sont très positives.
Vos aventures en 1997-98 et 2002 ont réussi à
influencer les responsables de la politique scientifique en
Belgique dans la voie de l'intensification de la recherche.
Grâce à l'initiative d'Alain, une fondation internationale
polaire devrait voir le jour dans un avenir proche à
Bruxelles. Et puis il est question de créer une nouvelle
base permanente en Antarctique en 2007/2008 avec des investissements
privés et une aide du gouvernement japonais. Tout cela
est positif mais ce continent du bout du monde reste finalement
un no man's land et il est très difficile pour un petit
pays d'affronter une logistique aussi coûteuse. Pourquoi
dès lors ne pas réunir nos forces avec d'autres
nations de la Communauté Européenne ?
En 2000 vous êtes retournés dans l'Antarctique
pour grimper et explorer une chaîne de montagnes - les
Ellsworth Mountains. Vous êtes insatiable Dixie ! Prêt
à accomplir de nouveaux défis ?
Toujours, je suis encore trop jeune pour arrêter (rires
).
Je reviens juste de l'Antarctique où j'ai surtout visité
la péninsule afin de compléter mon image de
la région. Chaque fois que je me suis rendu dans le
plus grand désert du monde, c'était pour découvrir
l'infini du blanc glacé, un environnement sans vie,
alors qu'il y a énormément de faune et de flore
aux alentours des côtes.
Au mois de mars, je me rends en Alaska préparer la
logistique pour la double traversée du détroit
de Behring que je compte effectuer l'année prochaine
(en compagnie de l'Américain Troy Henkels).
L'aller se fera en autonomie totale jusqu'en Sibérie
et nous comptons effectuer le trajet inverse vers l'Alaska
en Montgolfière. Fin 2005, je compte également
me rendre en bateau vers la côte nord-est du Groenland
pour atteindre le nunatak de Gerlache. Voilà, plein
d'aventures en perspective
Propos recueillis par Philippe Saintes
Philippe est un de nos premiers correspondant ( quand Transpol'air
se cantonnait aux premiers vols transpolaires, il est à
l'origine du site : "Les
Chevaliers du Ciel".
|