Alaska, Visions d'un pèlerin de la Grande Terre

Émeric Fisset a parcouru à deux reprises cette " grande terre " des Aléoutes que les Russes baptisèrent Alaska. Pèlerin dans l'approche, puisque c'est à pied, à la rame, en kayak, à skis ou à l'aide de chiens de traîneau qu'il l'a visitée. Pèlerin aussi dans l'esprit de disponibilité et d'ouverture avec lequel il a abordé cet univers de chasseurs, pêcheurs et cueilleurs, et appris à connaître sa faune et sa flore. D'août 1990 à juin 1991, il a voyagé dans les pas de l'ours, de Barrow, à la pointe septentrionale des États-Unis, jusqu'à Cold Bay, à l'extrémité de la péninsule d'Alaska. Entre janvier 1994 et juin 1995, sous l'aile du grand corbeau, il s'est rendu de Seattle à Wales, au cap occidental de l'Amérique.

De ses traversées, Émeric Fisset a rapporté les visions présentées dans cet album. Qu'il croise des baleines et des otaries, qu'il entre dans le " port des Français " que découvrit Lapérouse en 1786 ou franchisse la chaîne de l'Alaska, ou bien qu'il rencontre les chercheurs d'or, les Indiens et les Inuit, il nous convie à le suivre jusqu'au bout de sa quête : relier le Nouveau et l'Ancien Monde, sur la traîtresse banquise du détroit de Béring...

Extrait : " Le froid, le vent et la neige sont trois formes d'une même ascèse, qui pousse l'impétrant à les traverser comme se meut le pèlerin, en état d'appel. Le froid est d'abord une mortification ; il oblige à penser et à anticiper le moindre geste, tant il en coûte à la chair d'être exposée. Le froid engendre aussi une forme de retrait, de coupure au monde, par le fait même des vêtements qui permettent de s'en prémunir, capuche et gants, blouson et bottes. Cet accoutrement tient de la bure des pénitents.

Le vent oblige à l'humilité, car il n'y a rien à faire contre lui hormis baisser la tête, courber l'échine et lutter. Le vent laisse aussi entrevoir au renonçant son extrême précarité car, pour peu qu'il forcisse, avec lui commence le blizzard, la poudrerie qui efface tout repère et livre l'être en marche à l'égarement, à la défaillance de sa raison et à l'éventualité de sa mort.

La neige, quant à elle, pousse à une certaine forme de légèreté, sous peine de sombrer ; elle requiert la vigilance car, sous elle, se tapissent les dangers, l'eau surtout, un trou entre les rochers, un ravin. Elle est la déréliction, elle est l'oubli aussi, car elle lisse et cache tout ; elle occulte la saleté, les destructions, l'usure, les flétrissures. Elle souligne ce qui est neuf, comme les traces, et donne ainsi à l'homme l'exacte mesure du chemin qu'il a parcouru. Elle lui apporte le sentiment d'être le seul, l'unique, le premier. Elle est le parvis du pèlerin, qui, mortifié par le froid et rendu humble par le vent, entre grâce à elle léger en paradis. "

Dans les pas de l'Ours, Une traversée solitaire de l'Alaska sauvage

Le 1er août 1990, Émeric Fisset quitte Barrow à pied, avec quarante kilos de bagages au dos, pour s'enfoncer dans les marécages de la toundra arctique. Une idée en tête : traverser l'Alaska du nord au sud, par ses propres moyens. Pour franchir trois mille cinq cents kilomètres à pied, à la rame et à skis, hors de toute route, de toute piste humaine, Émeric Fisset part seul, sans sponsor ni radio. Le 9 juin 1991, il parvient à Cold Bay après dix mois d'efforts, riches en péripéties et en rencontres.
Un ours le charge, des loups l'entourent, l'embâcle menace, le cratère d'un volcan le piège.
Dix mois marqués par la faim, le froid, la maladie, la solitude, mais également la découverte des paysages, des animaux et des hommes pétris par le rude climat boréal. Les difficultés matérielles et morales du raid en solitaire ont confronté Émeric à cet Alaska qui mêle Eskimos, Indiens et Aléoutes aux colons blancs, chasse et pêche à l'exploitation du pétrole, chaleur humaine et repli sur soi, modernité américaine et archaïsmes. Dans les pas de l'Ours vous entraînera dans une véritable traversée solitaire de l'Alaska sauvage.

Né en 1962, Émeric Fisset a l'âme aventureuse. Parti dès l'âge de 17 ans pour des missions humanitaires, puis affecté comme parachutiste au Gabon, il a entrepris depuis lors quatre grands raids individuels de longue durée, à la rencontre des hommes et de milieux naturels souvent difficiles, pour en témoigner ensuite par la photographie, l'écriture et la parole. De 1984 à 1986, il sillonne l'Europe à pied de la France à la Finlande, de la Pologne à l'Italie ; en 1987, c'est à bicyclette qu'en deux ans il parcourt Alpes et Balkans, Proche-Orient, Égypte, Yémen, Pakistan. En 1990-1991 puis en 1994-1995, il traverse seul, à deux reprises, l'Alaska. Dans le cadre de Transboréal, la maison d'édition qu'il dirige, il poursuit notamment son approfondissement des écosystèmes et des cultures du Grand Nord.

Extrait : " Là est ce qui me séduit dans l'abord en solitaire de régions et de pays différents. Je ne marche pas devant quelqu'un, auquel cas je me sentirais pressé ; ni derrière, auquel cas je me sentirais confiné. À mon rythme, je fraie ma voie. En réalité, je marche au-devant. Au-devant de nouvelles émotions, de nouvelles rencontres. Par ma seule volonté, je renouvelle à chaque instant la découverte et son plaisir. "